Nous publions ici des extraits de la conférence de presse tenue par le président Français à l’issue du G20 à Bali. Emmanuel Macron est arrivé à Bangkok mercredi 16 novembre à 23 heures locales.
«La première conclusion importante de ce sommet est que le G20 n’a pas détourné le regard de la guerre en Ukraine, bien au contraire. Nos débats, sur la base d’ailleurs de propositions que nous avions faites, montrent qu’il existe un espace de convergence, y compris avec les grands émergents comme la Chine et l’Inde, pour pousser la Russie à la désescalade et ceci dans la droite ligne de ce que la France avait pu défendre à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies, il y a quelques semaines, en septembre. En effet, même si le président Poutine n’est pas venu, le message que lui envoient les plus grandes puissances économiques du monde réunis à Bali est très clair. La grande majorité des membres du G20 condamnent explicitement la guerre en Ukraine. C’est un fait, nous l’avons constaté à l’ONU lors du vote de la dernière résolution et le G20 en prend acte. Mais au-delà de la résolution de l’ONU, le communiqué acte aussi au sein du G20, incluant la Chine et l’Inde, que face à la multiplication des crises et des défis globaux, le G20 ne veut pas de la guerre, le G20 ne veut pas du chantage nucléaire qu’il juge inadmissible. Que si le G20 est avant tout une instance de coopération économique, tous ses membres affirment qu’il repose aussi sur le respect du droit international. Et comme j’ai eu l’occasion de le rappeler à plusieurs égards, c’est bien le respect et l’effectivité de ce droit international qui est en jeu dans la guerre en Ukraine.
Par ailleurs, en marge du sommet et très clairement au lendemain de la libération de Kherson, nous avons aussi pu voir que les lignes ont bougé. L’occasion qui nous a été offerte de pouvoir échanger avec le président chinois qui a très clairement manifesté une volonté, là aussi, de s’exprimer clairement contre toute escalade nucléaire, mais nous a permis de rentrer plus en détail sur la situation. La Chine peut jouer à nos côtés, j’en suis convaincu, un rôle de médiation plus important dans les prochains mois pour éviter, en particulier, une reprise des offensives encore plus forte sur le plan terrestre à partir de début février. Et j’ai pu échanger avec le président XI Jinping sur ce sujet comme sur le principe d’une visite à Pékin début 2023, avec pour objectif d’intensifier notre dialogue sur ce point précis.
Vous l’avez compris sur ce volet, ce G20 a été utile. Il a permis de marquer des convergences fortes et d’élargir cette coalition pour la paix et un travail diplomatique que nous poursuivrons dans les prochaines semaines et les prochains mois.
Le deuxième objectif de ce G20 à mes yeux était le sujet alimentaire. Car vous le savez, et j’avais eu l’occasion d’ailleurs de le dire dès le mois de mars dernier en marge d’un sommet de l’OTAN, le principal risque de court et de moyen terme de cette guerre est évidemment la déstabilisation de nos chaînes alimentaires. Compte tenu de ce que et la Russie et l’Ukraine représentent sur le plan du marché des céréales comme des engrais, cette guerre déstabilise le monde entier. Sur les céréales, alors que les marchés anticipaient une crise majeure en raison du blocage de la mer Noire, nous avons agi ces derniers mois pour apporter des réponses, et ce G20 a permis de les pérenniser. En effet, je veux ici rappeler que l’Union européenne, d’abord, a permis, avec ce qu’on appelle les « corridors de solidarité », d’exporter depuis le mois d’avril près de 15 millions de tonnes de céréales hors d’Ukraine. Ces corridors représentent 60 % des volumes de céréales qui ont été sortis de la région. Il y a eu ensuite l’accord négocié cet été sous l’égide des Nations unies et qui a permis à date de sortir près de 10 millions de tonnes depuis le mois d’août. Le résultat, c’est que depuis le mois d’avril dernier, les prix alimentaires ont pu ainsi rebaisser et nous sommes en train de retrouver les voies et moyens de garantir des flux réguliers de sortie des céréales.
Et alors que la Russie menaçait de mettre ce mécanisme en péril, conduisant à une nouvelle remontée des prix céréaliers, le G20 a envoyé un message très clair au président Poutine. Il y a eu un travail important de discussions techniques sous l’égide des Nations Unies et du Secrétaire général, que je remercie pour cela. L’accord sur l’exportation de céréales en mer Noire doit impérativement être reconduit à la fin de cette semaine. Plusieurs modalités techniques ont été précisées. Il sera reconduit tacitement, on a donné une perspective justement pour poursuivre ce travail. Ce qui veut dire que nos dispositifs, tel qu’acté depuis le mois d’août dernier, vont pouvoir se poursuivre et les différentes routes que nous avons ouvertes permettent de sortir donc des céréales comme nous le faisons aujourd’hui depuis l’Ukraine.
Sur la question des engrais, nous avons aussi avancé depuis la réunion stratégique que nous avions convoquée à New York en septembre dernier, en actant lors du Forum de Paris sur la Paix la semaine dernière avec le Partenariat alimentaire mondial, un nouveau corridor pour acheminer des engrais russes de l’Europe vers l’Afrique. Les premières cargaisons seront livrées dès la semaine prochaine et la France contribuera financièrement. Nous venons de mobiliser 7,5 millions d’euros et ça fait partie des facilités très concrètes et du plan d’urgence que nous avions acté en septembre dernier.
Et alors que la Russie a annoncé ces derniers jours sa volonté de mettre en place des nouvelles taxes sur les exportations d’engrais, le G20 a, là aussi, passé un message très clair. Il serait irresponsable d’imposer des obstacles au commerce agricole et nous avons pris une option, là aussi très claire, pour accroître la transparence des marchés, notamment à travers le mécanisme du G20 AMIS (Systèmes d’information sur les marchés agricoles) qui avait été lancé sous la présidence française du G20 en 2011 et qui doit permettre des échanges d’informations sur les stocks et les flux agricoles, y compris les engrais.
Le troisième grand message de ce G20 est un message de solidarité à l’égard du Sud. En effet, ce G20 se devait d’être un G20 de solidarité et la présidence indonésienne puis la présidence indienne ont à cœur, évidemment, que le G20 tienne ses promesses. Nous l’avons dit là aussi très clairement : les pays les plus pauvres ne doivent pas payer le prix fort pour une guerre qu’ils n’ont pas voulue. Depuis le sommet de Rome l’année dernière, nous avons fait des progrès considérables qui montrent là aussi que le G20 permet d’avoir des résultats concrets.
Vous l’avez compris, ce G20 à Bali nous montre que malgré les tensions et les risques de division, le multilatéralisme et la défense de la paix continuent de prévaloir car c’est l’intérêt de tous. La Russie n’a pas souhaité s’isoler face à une majorité de fait au G20 sur ce point et au-delà des négociations pendant ces deux jours de sommet et dans les jours qui ont précédés au niveau de nos sherpas. La Russie doit désormais entendre le message qui lui a été très clairement envoyé par la communauté internationale ici réunie et revenir à la table des négociations. Ce G20 nous montre aussi que nous sommes dans un monde en recomposition. À bien des égards, cette guerre interroge les règles de la gouvernance, nos propres institutions internationales et c’est aussi pour cela que nous avons souhaité prendre l’initiative d’une réforme de nos institutions financières pour l’année prochaine. Mais nous devons aller plus loin. C’est aussi pour cela que la France soutient l’intégration pleine et entière de l’Union africaine au G20, ce qui est un élément clé de cette recomposition. Si nous voulons pleinement prendre en compte la solidarité à l’égard du Sud, nous devons accepter que l’Union africaine, comme l’Union européenne soit autour de la table. Voilà les quelques mots que je souhaitais avoir en conclusion de ce G20 en félicitant la présidence indonésienne et le Président Joko Widodo pour tout le travail fait, son accueil et pour avoir réussi à porter, pas simplement ce message d’unité, mais des avancées très concrètes qui vont dans le sens de l’unité pour la rendre plus effective à l’issue de ce sommet».
Retrouver ici la vidéo de conférence presse.