Notre collaborateur et chroniqueur Philippe Bergues continue de suivre de près la politique thaïlandaise, sommet de l’APEC ou pas…
Au moment où le général Prayut Chan-o-cha, chef du gouvernement, va connaître son heure de gloire en recevant les leaders mondiaux lors du sommet de l’APEC à Bangkok, l’institut de sondage NIDA dresse un tableau compliqué pour son avenir politique à quelques mois des prochaines élections générales. Les électeurs des cinq grandes régions thaïlandaises ont récemment été testés pour donner leurs trois préférences comme candidat Premier ministre et voilà les résultats.
Hormis dans le Sud plutôt conservateur, Prayut n’arrive en tête dans aucune région. Sa rétrogradation à la 2ème place dans la capitale comparée à la majorité des sièges obtenus par le parti qui le soutenait en 2019, le Palang Pracharat, montre clairement un essoufflement, voire un rejet d’une partie des électeurs. Rappelons que le Premier ministre Prayut n’appartient officiellement à aucun parti même si l’on sait que le PP a été construit pour sa victoire en 2019 après un pouvoir de cinq ans sous sa junte militaire. Cette impopularité, souvent exprimée dans les médias thaïlandais depuis la pandémie, semble confirmée par cette photographie sondagière. On remarquera aussi que Paethongtharn Shinawatra, fille de Thaksin et seulement entrée en politique en 2021, arrive en tête dans trois régions sur cinq (sauf Bangkok).
Le parti Pheu Thai rêve, sur son nom de famille, réaliser un grand chelem et revenir ainsi aux affaires que Yingluck, sœur de Thaksin, avait dû abandonner suite au coup d’Etat de 2014. Il n’est pas étonnant de constater que les deux bastions du Nord et du Nord Est la placent en 1ère position. A l’inverse, le Sud, davantage anti-thaksinien comme le montrait la force déployée contre Yingluck par Suthep Thaugsuban lors des manifestations de 2014, confère à Paethongtharn un encourageant classement. Il faut aussi remarquer la performance durable du Move Forward avec son leader Pita Limjaroenrat, placé en tête dans la capitale et trois fois deuxième. Cela confirme l’implantation de ce jeune parti, surtout auprès des jeunes. Celui-ci avait créé la surprise en mars 2019 (6 millions de voix) avec son dirigeant charismatique Thanathorn Juangroongruangkit et la première mouture de ce parti, le Future Forward (dissous en février 2020 par la cour constitutionnelle trois mois après que Thanathorn fut déchu de son mandat de député).
Des prétendants nombreux
On pourra regretter que ce sondage n’ait pas mesuré l’influence de Prawit Wongsuwan, intérimaire Premier ministre pendant un mois en septembre, quand les autorités judiciaires avaient suspendu Prayut de son poste de chef de gouvernement pour dire quand son mandat avait commencé. On sait maintenant que 2025 sera une date butoir et qu’en cas de victoire l’an prochain, Prayut devra laisser la place deux ans après. Est-ce la raison pour laquelle le Palang Pracharat, actuel parti majoritaire, n’ait pas encore défini qui seront ses candidats Premier-ministrables ? La récente naissance du nouveau parti d’appoint Ruam Thai Sang Chart, clone du PP, pourrait laisser Prayut défendre ses couleurs au cas où Prawit soit désigné au premier rang de ce dernier. Deux cartes valent mieux qu’une dans les rangs militaro-royalistes. Cependant, le troisième homme de l’actuelle majorité parlementaire, le ministre de la Santé publique, Anutin Charnvirakul, ne cache pas son ambition de devenir Premier ministre. Chef du parti « central » Bumjaithai et incontournable faiseur de coalition, Anutin se dit que ça pourrait être son tour. Dopé après avoir porté victorieusement en 2022 une loi sur la dépénalisation contrôlée de l’usage du cannabis en Thaïlande, une première en Asie. Quant au chef du parti démocrate et actuel ministre du Commerce, Jurin Laksanawisit, sa déclaration du mardi 15 novembre est sans ambiguïté : «je n’ai jamais été aussi sûr d’être prêt (à devenir Premier ministre) ». En espérant que la plus ancienne formation politique du pays, les Démocrates, retrouve son lustre d’antan et efface sa terrible déconvenue de 2019.
Les potentiels Premier-ministrables ne cachent donc plus leurs ambitions. Penser que les élections de 2023 se résumeront à un match entre partis proches de l’establishment et thaksiniens est une erreur. D’une part, le Move Forward trace sa propre voie vers une démocratisation plus aboutie, y compris sur des questions sensibles liées à la monarchie. D’autre part, les rumeurs récurrentes d’une alliance entre Prawit et le Pheu Thai sont à suivre de près. Ce qui paradoxalement ferait de Prayut le candidat idoine des conservateurs les plus durs. Prayut bien qu’affaibli, n’est donc pas encore éliminé.
Philippe Bergues