Par Ioan Voicu. Notre ami chroniqueur nous redit les fondamentaux de l’OIF qui vient de se réunir en congrès à Djerba.
L’Organisation internationale de la francophonie (OIF) est une organisation, personne morale de droit international public, créée en 1970, regroupant 88 États ou gouvernements en 2018. Elle a pour mission de promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique, la paix, la démocratie et les droits de l’homme, l’éducation et la recherche et développer la coopération. Sa devise est : « Égalité, complémentarité, solidarité ».
L’instrument juridique le plus important de l’OIF est la Charte de la Francophonie, adoptée par la Conférence ministérielle de la Francophonie le 23 novembre 2005.
L’article premier de la Charte contient deux références à la valeur de solidarité. Nous citons l’article dans son intégralité :
« La Francophonie, consciente des liens que crée entre ses membres le partage de la langue française et des valeurs universelles, et souhaitant les utiliser au service de la paix, de la coopération, de la solidarité et du développement durable, a pour objectifs d’ aider : à l’instauration et au développement de la démocratie, à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits, et au soutien à l’État de droit et aux droits de l’Homme ; à l’intensification du dialogue des cultures et des civilisations ; au rapprochement des peuples par leur connaissance mutuelle ; au renforcement de leur solidarité par des actions de coopération multilatérale en vue de favoriser l’essor de leurs économies ; à la promotion de l’éducation et de la formation. Le Sommet peut assigner d’autres objectifs à la Francophonie. La Francophonie respecte la souveraineté des États, leurs langues et leurs cultures. Elle observe la plus stricte neutralité dans les questions de politique intérieure ».
La Déclaration de Djerba est le dernier document diplomatique adopté par l’OIF lors de la XVIIIe Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage qui s’est tenue en Tunisie, les 19 et 20 novembre 2022.
La Conférence a réuni 89 pays, 31 chefs d’État et de gouvernement, 5 députés (Premiers ministres), un grand nombre de ministres des Affaires étrangères et ministres en charge de la Francophonie, ainsi que des ambassadeurs et des représentants des organisations internationales et régionales.
Quatre ASEAN pays ont été présents : le Cambodge, le Laos et le Vietnam, en tant que membres à part entière, et la Thaïlande en tant qu’observateur.
Analyse de la Déclaration finale
Cette Déclaration complexe de Djerba du 20 novembre compte 38 longs paragraphes. Nous allons analyser ci-dessous uniquement ses références spécifiques à la valeur universelle de solidarité. En fait, la solidarité faisait partie intégrante de tout le thème officiel de ce grand événement diplomatique, comme annoncé : « Décidons de consacrer ce XVIIIe Sommet au thème : « La Connectivité dans la diversité : le vecteur numérique de développement et de solidarité dans l’espace francophone. »
La première référence est insérée dans un paragraphe qui se lit comme suit : « « Saluons la tenue de ce Sommet, initialement prévu en 2020, qui se déroule aujourd’hui sur l’île de Djerba, terre de coexistence pacifique entre les religions et les civilisations depuis plus de trois mille ans et symbole de la beauté et de la richesse culturelle et historique de la Tunisie ; Tenons à remercier vivement l’Arménie pour avoir présidé le Sommet de la Francophonie au cours des quatre dernières années et exprimons notre solidarité avec ce pays face aux défis sécuritaires auxquels il est confronté. »
Gardant à l’esprit que la pandémie de Covid-19 n’est pas terminée, les chefs d’État et de gouvernement de la Francophonie déclarent :
« Préoccupés par les effets persistants de la pandémie de Covid-19 sur la situation sanitaire, socio-économique, éducative et culturelle dans nos États et gouvernements ainsi que par l’exacerbation des inégalités entre les femmes et les hommes qui en découle, et convaincus de l’importance de la solidarité, de la diversité et de l’égalité, valeurs cardinales de la Francophonie, pour y répondre… »
Représentant une organisation sensible aux réalités mondiales actuelles, les dirigeants de la Francophonie ont exprimé leurs vives inquiétudes sur la situation de notre planète en affirmant : « Déplorons les conséquences mondiales sur le plan énergétique, alimentaire, économique et humanitaire ainsi que l’accroissement des inégalités qui découlent de l’agression militaire de l’Ukraine par la Fédération de Russie ; Appelons les États et gouvernements de l’espace francophone à la solidarité et résolvent la communauté internationale à tout entreprendre pour réduire rapidement leur impact délétère sur les populations touchées. »
Le phénomène du terrorisme ne saurait être oublié dans un document de cette nature. Le langage utilisé n’est pas ambigu, mais assez direct et accusateur : « Condamnons sans réserve le terrorisme sous toutes ses formes, notamment dans le Sahel ; restons mobilisés et solidaires, et appelons à une action concertée dans la lutte contre le terrorisme ainsi qu’en faveur de la prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents pouvant conduire au terrorisme ; exprimons toute notre solidarité aux États et gouvernements membres et aux populations touchées par ce fléau. »
La Déclaration de Djerba est un document d’action et d’avenir. C’est pourquoi elle dit tout naturellement : « Souhaitons que la connectivité, notamment à travers les interactions numériques, soit un vecteur de solidarité et de connaissance mutuelle tout en acceptant un sentiment d’appartenance et de stimulation mutuelle au sein des États et gouvernements membres de la Francophonie et entre eux. »
La valeur de la solidarité est multidimensionnelle et doit être visible dans la pratique. La Francophonie peut offrir des exemples probants dans ce domaine. C’est pourquoi ses dirigeants promettent : « Nous attachons à créer les conditions et à coopérer pour améliorer la mobilité des personnes et à renforcer les liens économiques au sein de l’espace francophone, en faisant prévaloir les valeurs et les principes de solidarité et de tolérance, ce qui permettra d’ouvrir de nouvelles perspectives aux étudiants, aux universitaires, aux enseignants, aux chercheurs, aux auteurs, aux entrepreneurs, aux artistes, aux professionnels des médias et aux différents autres talents. »
Enfin, guidés par la solidarité, les dirigeants de la Francophonie annoncent quelques engagements précis : » Soutenons la démarche de l’AUF de création d’un cadre d’échange, de coopération et de solidarité active dans l’espace francophone visant notamment à : – Développer l’accès au numérique dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche ; – Renforcer l’interaction entre le politique et le scientifique en favorisant la collaboration entre les acteurs concernés ; – Valoriser l’édition scientifique et la recherche francophones, notamment par l’intermédiaire de l’Académie internationale de la Francophonie scientifique, à Rabat. »
Conclusion
Les références à la solidarité ne se limitent pas à la Déclaration de Djerba. Elles sont présentes dans des contextes appropriés également dans d’autres documents adoptés par la XVIIIe Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage.
Dans une interprétation doctrinale des documents diplomatiques contenant des références substantielles à la valeur de la solidarité, on peut affirmer que ce fait peut indiquer une orientation crédible vers certaines intentions prometteuses annoncées au début de ce siècle dans le processus de la diplomatie multilatérale. A cet égard, on peut citer la déclaration finale adoptée par consensus le 11 février 2000 par les parlementaires nationaux présents à la CNUCED X à Bangkok. Elle dit notamment : « Nous sommes persuadés que seul un renforcement de la solidarité et de la coopération internationale peut permettre à tous les peuples de bénéficier du processus de mondialisation et de la libéralisation du commerce. »
Dans ce domaine, il est tout à fait approprié de citer le message envoyé par le Secrétaire général de l’ONU Antonio Gutteres à la Conférence de Djerba le 19 novembre 2002 dans lequel il a déclaré : “Aujourd’hui, votre Organisation rassembleuse des pays de tous les continents .Dans un contexte de divisions croissantes entre le Nord et le Sud, la Francophonie peut bâtir des ponts et contribuer à placer la solidarité au cœur de la coopération internationale. Vous pouvez compter sur le soutien de l’Organisation des Nations Unies ».
La prochaine Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage est prévue en 2024 en France. Dans une approche optimiste de cet événement diplomatique à venir, nous pouvons anticiper que la valeur universelle de solidarité sera encore renforcée non seulement par déclarations, mais aussi par des réalités politiques, économiques et sociales persuasives sur la scène mondiale, fondées sur les principes granitiques du droit international.