Dans un contexte très lourd dans le royaume, entre l’état de santé défaillant de la Princesse Bajrakitiyabha et le naufrage de la corvette HTMS Sukhothai, la politique thaïlandaise nous offre en cette fin d’année des soubresauts dignes d’un jeu de go bien connu dans ces latitudes. Tout d’abord, le Premier ministre Prayut Chan-o-cha a confirmé ce vendredi qu’il rejoignait le Ruam Thai Sang Chart (Nation thaïlandaise unie) et s’est dit prêt à être candidat à son poste actuel pour ce parti.
Le général Prayut a finalement clarifié ses intentions après que le Palang Pracharat ait déclaré qu’il présenterait son chef de parti Prawit Wongsuwon, numéro deux du présent gouvernement, comme seul candidat au poste de Premier ministre pour les prochaines élections générales. Cette annonce est loin d’être anecdotique dans la mesure où les deux « frères généraux » avaient jusqu’alors lié leur destin politique depuis le coup d’État de 2014. D’habitude assez avare de commentaires politiciens, Prayut a cru bon se justifier depuis Government House : « les préparatifs ont été faits plus tôt (quand le PPRP a nommé Prawit). J’ai décidé de rejoindre Ruam Thai Sang Chart et c’est aux gens de décider s’ils me soutiendront ou non. Nous avons travaillé ensemble tout au long de notre service gouvernemental jusqu’à présent. Ce lien ne peut être effacé. Il (le général Prawit) ressent également cela ». Tel un tacticien, Prayut a fait en sorte de partir avec une cartouche d’avance en nommant le 20 décembre Pirapan Salirathavighaga, chef de son nouveau parti, comme secrétaire général de son gouvernement, ce qui peut être considéré comme un « Premier ministre bis ». Ce qui risque d’être interprété par le vice-Premier ministre Prawit comme un caillou dans sa chaussure car, avec ce rôle, Pirapan sera chargé de contacter et de travailler avec des politiciens de divers partis pour les orientations présentes, mais aussi en vue de préparer les coalitions futures pour Prayut.
31 députés quittent le Palang Pracharat pour le Bumjamthai d’Anutin
Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, 31 députés du parti majoritaire soutenant Prayut viennent de démissionner, non pas pour s’engager dans la nouvelle formation de Prayut mais dans celle du troisième homme, Anutin Charnvirakul, également vice Premier Ministre et ministre de la Santé publique. Et chef du Bumjamthai, parti incontournable faiseur de coalition gouvernementale. La 3ème force selon un concept IVème République française. Car le pragmatique Anutin a le vent en poupe avec sa loi dépénalisant le cannabis et se verrait bien aussi Premier ministre. Mais pour ne pas heurter le camp conservateur, il serait prêt à un ticket d’attente avec Prayut en prenant la main en 2025, année où la loi interdira ce dernier à être chef de gouvernement après 8 ans de pouvoir, selon le décompte de la Cour constitutionnelle.
Clairement, la politique pro-marijuana d’Anutin fissure le camp conservateur aujourd’hui majoritaire.
Les Démocrates sont vent debout dans l’opposition alors que Prayut et Prawit ont laissé faire, sachant l’opinion publique et sociétale favorable. Donc Prayut et Prawit, dans une perspective de rivalité électorale difficile à imaginer il y a peu, doivent aussi penser à d’autres coalitions possibles. On dit que Prawit serait capable de conclure des accords avec le Pheu Thai avec la bénédiction de Thammanat Promphao, limogé du gouvernement par Prayut pour traîtrise, mais aussi ancien membre du feu Thai Rak Thai thaksinien dans les années 2000. Même si le Pheu Thai ne mise rien de moins qu’une victoire écrasante pour s’assurer de former le prochain gouvernement. Leur récente promesse d’augmenter le salaire minimum, qui est actuellement d’environ 350 bahts, selon la région, à 600 bahts d’ici 2027, a dominé les discussions politiques sur les médias d’information et sociaux pendant ces derniers jours et constitue leur atout face aux autres partis. Le choix fait par le Pheu Thai de Paetongtarn Shinawatra comme candidate au poste de Premier ministre continuera de diviser les esprits car elle est la fille de Thaksin, ancien Premier ministre déchu et en exil à Dubaï.
En vertu de la charte actuelle, il sera intéressant de voir où iront les voix des 250 sénateurs, nommés par Prayut sous la junte, car ils ont toujours le pouvoir de voter conjointement avec les députés pour le Premier ministre. Les combinaisons multiples de coalitions possibles si un parti n’est pas sur-dominant -on penserait au Pheu Thai dans ce cas selon les derniers sondages- décideront du prétendant ou de la prétendante qui siègera à Government House en 2023.
Joyeux Noël Thaïlandais !
Philippe Bergues