Un entretien avec la fondatrice de NAT Association
Gavroche : Créer une association, l’idée vous est-elle venue tout de suite ?
Élisabeth Zana : Nous avons mon époux Jean-Claude Zana (qui a fait toute sa carrière comme reporter à Paris-Match) et moi-même créé NAT Association assez rapidement après l’horreur du tsunami qui a couté la vie à notre fille. Nous étions tellement dévastés qu’en fait nous avons surtout songé à ne pas survivre à Natacha. Nous ne pouvions imaginer notre vie sans elle, plus rien n’avait de sens. Et puis, son corps n’étant toujours pas retrouvé il nous fallait au moins attendre pour pouvoir organiser une cérémonie pour elle avant de décider de nos propres vies. Ainsi est née NAT Association, le 15 avril 2005, destinée dans un tout premier temps à aider les enfants directement victimes du Tsunami.
Natacha ne sera identifiée qu’en septembre 2005, nous l’avons portée en terre le 26 septembre, à Paris, après avoir fait rapatrier son corps. J’ai décidé immédiatement après d’essayer de venir en aide aux enfants, dans l’esprit qui animait Natacha et qui est le nôtre depuis toujours. Ainsi ai-je tout quitté pour venir m’installer en Thaïlande fin 2005 ; Jean-Claude faisant, les premières années, des Allers/Retours entre la Thaïlande et la France. Ni l’un ni l’autre ne pouvions songer à ce que NAT Association allait pouvoir développer. Ni l’un ni l’autre ne pouvions imaginer que nous pourrions survivre à ce drame. Jean-Claude est parti la rejoindre le 10 janvier 2020 et jusqu’au bout a souhaité que nous continuions à donner de l’espoir aux enfants. Pour lui comme pour moi, il s’agit du sourire de Natacha qui continue au pays du sourire. Après 18 ans, en particulier à travers Natacha School j’ai des projets plein la tête mais je suis, en même temps, en train d’organiser ma succession… Le réseau de parrainage, véritable pont d’entraide qui s’est créé dans l’urgence du drame et qui aujourd’hui s’enorgueillit de plus de 100 filleuls, certains sont désormais dans la vie active, est un vrai succès avec des histoires humaines magnifiques entre les parrains/marraines et les enfants. Ni Jean-Claude, ni moi-même, pensions que l’on trouverait des sponsors pour créer la bourse NAT Association afin d’aider les plus défavorisés à entrer à l’Université. La devise créée dès le début par Carole Sédillot, marraine de Natacha et mon amie d’enfance et Présidente de NAT Association : Naître Aider, Transmettre a trouvé ainsi tout son sens. C’est réellement cet esprit qui m’anime et qui a permis avec le soutien de tous, de venir en aide à beaucoup d’enfants et d’espérer pouvoir continuer d’en accueillir plus.
Gavroche : Pourquoi cette volonté d’intervenir dans le domaine de la culture ?
Élisabeth Zana : Venant du monde culturel, je suis une ancienne danseuse puis professeur de danse et organisatrice de spectacles, je suis également formée à la relation d’aide à travers l’art ; il m’avait paru intéressant au départ d’aider les enfants victimes d’exprimer par le corps leurs souffrances, leurs chagrins, leurs questions souvent sans réponse… Et puis, au fur et à mesure qu’a grandi Natacha School et que j’étais de plus en plus intégrée dans le monde thaï, rural en particulier, j’ai découvert l’immense richesse des arts traditionnels thaïs et l’importance que l’enseignement de l’art occupe dans les écoles même dans la campagne reculée. Ainsi peu à peu avons-nous pu créer une salle de musique avec de nombreux instruments traditionnels et engager un professeur de musique. Aujourd’hui j’ai plusieurs enfants qui commencent une carrière artistique ou qui s’y destinent. NAT Association a également pu faire venir plusieurs artistes français, amis de Natacha en particulier, qui ont organisé des stages à Natacha School. 2 grands chorégraphes français sont venus et après les animations ont créé un spectacle qui a enchanté petits et grands. Un ami d’enfance de Natacha a animé 2 années de suite un travail sur la couleur et en est sortie une fresque murale extraordinaire. Une association en Normandie, avec sa tête une femme peintre, Valérie Bezard a organisé au profit de l’Association « Le voyage des crayons de couleur », superbe idée qui nous permit de recevoir une grande valise pleine de boîtes de crayons de couleur, puis elle vint en Thaïlande, très contente de la découvrir et d’animer en même temps des stages en étant au plus près de la population locale. Ce sont toutes ces expériences alliées à l’observation qui m’ont conduite à proposer ce colloque, prévu avant la pandémie à Paris avec des artistes thaïs. Et quand Français du Monde Thaïlande m’a proposé de donner corps à ce projet il m’a paru intéressant d’allier nos idées.
Gavroche : Quelles seront vos priorités ?
Élisabeth Zana : Ma priorité est en premier de réussir ces journées Educ’Art des 27 et 28 janvier afin que le concept soit lancé mais la 2e priorité est d’étendre un maximum le réseau artistique, toutes les formes d’art et de faire découvrir à un grand nombre d’enfants leur propre richesse artistique mais aussi celle de la culture européenne, française en premier ; je crois beaucoup à l’enrichissement artistique lors d’échanges multi-culturels. Nous allons donc développer des ateliers, des rencontres et également des réflexions avec des professeurs thaïlandais et français. A long terme, mon rêve secret serait d’étendre ce concept d’Educ’Art, non seulement auprès d’enfants défavorisés mais pourquoi pas dans les hôpitaux et autres lieux d’éloignement sociaux où l’art peut être une réelle thérapie.
Gavroche : Thaïlande et culture, les deux mots ne sont pas toujours associés, pourquoi ?
Élisabeth Zana : Je ne suis pas d’accord. Je trouve qu’au contraire la culture est très présente dans la vie quotidienne thaïlandaise. Elle est différente de la nôtre certes mais je trouve que les enfants, même défavorisés, peuvent développer des dons sans trop de difficulté à les réaliser, en particulier je pense à tout ce qui est manuel. Un problème se pose cependant mais ce problème est depuis plusieurs années en train de naître en Europe, je pense à la lecture naturellement. On le dit souvent, plus personne ne lit, malheureusement, en dehors de Facebook et autres réseaux sociaux et ce n’est donc pas propre qu’à la Thaïlande. C’est pour cela qu’en particulier cette année consacrée au 80e anniversaire de la publication du Petit Prince nous avons à Natacha School plusieurs ateliers prévus pour susciter l’envie de savoir, connaître, explorer. C’est aussi pour cela que nous sommes heureux d’accueillir à Educ’Art, Khun Supoj Lokunsombat à l’origine du projet « le Petit Prince en dialectes ». Il y a dans notre pays d’accueil une grande diversité culturelle qu’il est intéressant de découvrir, et ce à tout âge et tout moment de la vie. « La culture, ce n’est pas ce qui reste quand on a tout oublié, mais au contraire, ce qui reste à connaître quand on ne vous a rien enseigné ». Cette citation de Jean Vilar me paraît appropriée pour mieux mesurer le travail immense et passionnant à accomplir partout dans le monde.