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BIRMANIE – POLITIQUE : La guerre et les urnes en 2023, année électorale

Journaliste : François Guilbert Date de publication : 13/01/2023
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élection Birmanie

 

Notre chroniqueur François Guilbert brosse le portrait d’une Birmanie où la junte militaire au pouvoir entend bien consolider sa main mise sur le pays en verrouillant les urnes.

 

Depuis le début de l’année 2023, le chef de la junte birmane s’emploie activement à mettre en avant les élections générales qu’il entend tenir d’ici quelques mois. S’il n’a pas encore précisé la date du scrutin, il vient de lever un premier voile en annonçant que dorénavant les parlementaires seront élus à la proportionnelle. S’il laisse entendre que ce nouveau système de sélection des élus sera à l’avantage des minorités ethniques et est le fruit de discussions entre la Commission électorale de l’Union (UEC) et certaines formations politiques, il se garde bien de dire que cette évolution politique est une violation de la Constitution de 2018 dont il se présente pourtant comme un ardent défenseur. En 2014, la Cour constitutionnelle avait en effet, fait savoir que la représentation à la proportionnelle n’était pas compatible avec la loi fondamentale élaborée six plus tôt par et pour l’armée. Par ailleurs, le général Min Aung Hlaing n’a pas précisé comment cette réforme va entrer dans le corpus juridique. On voit mal le régime, né du putsch du 1er février 2021, passer par la voie référendaire pour adopter la mesure. Il n’en a d’ailleurs guère le temps puisque le scrutin promis devrait intervenir d’ici la fin juillet 2023.

 

Selon le calendrier que le chef de l’armée dit vouloir respecter, la Birmanie verra au 31 janvier s’achever constitutionnellement la période de deux années maximales d’état d’urgence. Une réunion du Conseil de défense et sécurité nationale (NDSC) sera convoquée d’ici la fin du mois et confiera à une autorité dite de transition – le Conseil d’administration de l’État (SAC) pourrait bien prendre un nouveau nom à cette occasion – le mandat d’organiser des élections générales sous six mois. Le NDSC étant totalement à la main des généraux putschistes, ils se donneront à eux-mêmes le pouvoir de poursuivre leur action en orchestrant un simulacre électoral, le parti vainqueur à qui le pouvoir doit être remis in fine étant connu d’avance. Néanmoins, pour donner un semblant de légitimité institutionnelle au processus engagé, ils sortiront peut être de leurs discrètes retraites le général Myint Swe (ex. vice-président de la République depuis 2016) et l’ex chef milicien pro-militaire T Khun Myat (président de la Chambre des représentants de 2018 à 2021) mais les 6 autres membres du NDCS sont tous des membres éminents du Conseil d’administration de l’État (n°1 et 2 de l’armée, ministres des Affaires étrangère, de la défense, de l’Intérieur et des Affaires frontalières).

Le SAC n’a jamais caché son intention de passer par les urnes pour demeurer au pouvoir. Le retour d’une démocratie disciplinée multipartis selon le lexique politique des hommes en treillis constitue, depuis près de deux ans, l’un des 5 points de leur Feuille de route. Celle-ci trône d’ailleurs, chaque jour, en haut de la première page du quotidien The Global New Light of Myanmar. Les militaires n’auront aucune difficulté à trouver des formations politiques qui se prêteront au jeu. On peut considérer qu’il existe plus d’une trentaine de partis qui sont pleinement disposés à se présenter devant les électeurs. Nombre de ceux-ci ont été créés ex nihilo et ont été suscités par le régime militaire précédent en prévision du scrutin de 2010. S’il est encore trop tôt pour dire tous ceux qui seront sur les rangs le jour venu, il est généralement convenu que l’on retrouvera des candidats issus, bien évidemment, du relais historique de l’armée, l’Union Solidarity and Development Party (USDP), mais également de l’Arakan Front Party, du Mon Unity Party, du National Democratic Front, du People’s Pioneer Party, du People’s Party ou encore du Shan Nationalities Democratic Party. A contrario, il ne semble pas exister de scénario crédible d’une possible participation de la National League for Democracy d’Aung San Suu Kyi. Mais de manière plus générale, il existe une sérieuse inconnue sur les organisations partisanes susceptibles de concourir puisque les militaires auraient pour intention prochaine d’adopter une nouvelle loi sur les partis politiques afin, à la fois, d’en réduire le nombre (93 ont un statut légal), tout en s’assurant que nombre d’entre eux seront bien présents au rendez-vous électoral de 2023.

 

Si le paysage partisan de la future consultation est encore extrêmement flou, les modalités de vote le sont tout autant. Pour l’heure, les électeurs ne connaissent pas le nombre des circonscriptions qui seront mises en jeu ou encore l’implantation des bureaux de vote. L’un comme l’autre de ces points est pourtant un enjeu majeur puisque le général Min Aung Hlaing a proclamé dans son discours du jour de l’indépendance (4 janvier 2023) que la participation des électeurs fut bien moindre du temps du gouvernement civil évincé (novembre 2020) qu’à l’époque des scrutins orchestrés par ses devanciers militaires (2010, 2015). Puisqu’il mesure la désaffection populaire non pas tant par le taux de participation que par le nombre de townships où la votation a pu se tenir, il lui appartient maintenant de pouvoir mener à bien la consultation électorale dans plus de 320 des 330 townships du pays. Ce ne sera pas si facile, tant les violences sont dispersées sur le territoire.

 

Pour parvenir à ses fins, le régime militaire peut être tenté de réduire le nombre des bureaux de vote en les installant seulement dans des lieux pleinement sous son contrôle, en reportant à 2025 les consultations qui ne pourront se tenir pour des raisons de sécurité et en demandant la bienveillance de certains groupes ethniques armés « amis ». La semaine dernière les militaires ont explicitement sollicité le Shan State Progress Party, l’United Wa State Army et l’United Wa State Party de les laisser tenir les élections dans leurs zones. Une démarche du même acabit a été faite fin décembre 2022 auprès de 5 autres petits groupes ethniques armés (Arakan Liberation Party, Democratic Karen Benevolent Army, Karen National Union/Karen National Liberation Army-Peace Council, Lahu Democratic Union, Pa-O National Liberation Organization). A supposer que cette manœuvre réussisse partout, elle n’est pas une garantie suffisante pour montrer au monde que le scrutin de 2023 sera, non seulement, libre et équitable mais aussi organisé à l’échelle de tout le pays.

 

En attendant, le régime militaire entend démontrer qu’il se prépare avec sérieux et que ses opposants ont peur de se présenter devant les électeurs (ex. rappel par la propagande militaire que la NLD d’Aung San Suu Kyi s’est imposée en 2020 grâce à des fraudes massives) et recourent à la violence pour empêcher l’expression des citoyens. Dans cette perspective le 6 janvier, le général Min Aung Hlaing a solennisé le début du processus électoral. Il a réuni autour de lui à Nay Pyi Taw les ministres de l’Union et ses représentants dans les États et les régions et a annoncé le début du recensement des électeurs. Celui-ci a commencé officiellement lundi 9 janvier et se poursuivra jusqu’au mardi 31 janvier 2023. Les personnels des ministères de l’Intérieur et de l’Immigration et de la population n’ont pas le droit de prendre de congés ce mois pour effectuer ce travail en bon ordre. Il est vrai qu’en 2010 et 2015 les listes établies étaient, pour le moins, emplies d’erreurs. En 2020 également mais la Commission électorale publia par deux fois ses listes dans les quartiers et villages et sollicita, à la vue de tous, les corrections apportées par les citoyens. Aujourd’hui, le processus engagé est bien plus opaque et verrouillé. Après avoir au cours des derniers mois après avoir appointé parmi les militants de l’USDP et les retraites de l’appareil de sécurité des nouveaux chefs de wards et townships chargés d’encadrer la population, les agents administratifs passent ces jours-ci de maison en maison, accompagnés de policiers ou de soldats pour établir les listes des citoyens-électeurs. Les personnes qui s’y refusent risquent gros. En provinces, il a été fait déjà état de menaces d’arrestations et d’incendies des habitations des contrevenants. Cette pratique coercitive est aussi celle employée par des nervis du régime militaire qui convoquent les électeurs à des réunions d’informations politiques avec les responsables de l’USDP.

 

De manière plus soft, il peut être proposé aux potentiels électeurs une contrepartie en nature (huile, riz) pour venir écouter la bonne parole des relais du pouvoir.

 

Il ne fait aucun doute que l’USDP est déjà en campagne. Son président désigné en octobre 2022, le général (cr) Khin Yi, est à la manœuvre et multiplie les réunions aux quatre coins du pays. En réaction, l’opposition entre, elle aussi, dans la bataille électorale. Bien que la NLD ne soit pas en position de faire connaître son point de vue, Aung San Suu Kyi est incommunicado et a été condamnée à 33 ans derrière les barreaux dont 3 années de travaux forcés, les oppositions font connaître leurs refus de l’orchestration du scrutin de 2023. Les groupes ethniques armés chin, kachin et kayin ont publiquement déclaré par la voie de leurs porte-paroles leur hostilité à ces élections « fictives » et dit leur détermination à s’y opposer les armes à la main. De son côté, le gouvernement issu de la vague parlementaire NLD de 2020 (NUG) a incité ses partisans à faire connaître de « fausses informations » aux personnels chargés du recensement, tout en étant bien conscient qu’être inscrit sur une liste électorale est en rien une garantie pour le SAC que l’électeur se rendra à l’urne le jour venu. Il a également demandé que soient rapportées des informations sur les administrateurs de quartier et tous ceux qui sont chargés des opérations de collectes des données personnelles à des fins électorales, qui servent aussi à surveiller la population voire réprimer les opposants. Il a par la voix de son ministère de l’Intérieur menacé le 9 janvier de « poursuites légales », au nom de la loi antiterroriste, toute personne qui se joindra à la junte pour tenir des élections « illégitimes ».

 

Dans ce contexte, le recensement électoral qui s’engage est source de nouvelles tensions, pour ne pas dire de drames sanglants. Dès le premier jour, dans la région du Tanintharyi un policier accompagnateur a été abattu. Le 10 janvier, la Yangon Underground Force (YUF) a attaqué militairement l’enceinte du Comité de développement du township rangounais de Mingaladon où sont collectées les listes électorales. Le 11, dans la municipalité de Tamwe, une grenade a été lancée dans la voiture d’un administrateur de quartier chargé d’assemblée la liste des électeurs d’une rue.

 

Si l’opposition entend bien démontrer son emprise territoriale dans les mois qui viennent, la junte fait tout pour que le sang coule. Sans même parler de ses opérations combattantes recourant systématiques à l’arme aérienne et à la destruction des villages des insoumis pour éradiquer ses ennemis dans le nord-ouest et le sud-est de la Birmanie alors qu’un cessez-le-feu unilatéral a été énoncé par le bureau du commandant-en-chef de la Tatmadaw la veille du jour de l’An jusqu’au 31 décembre 2023, la junte fait volontiers de tous ceux qui se prêtent au processus électoral des cibles humaines pour ses adversaires.

 

Ainsi, elle contraint pour son opération de recensement des électeurs nombre de non-fonctionnaires, à commencer par des employés de structures caritatives et d’organisations de la société civile. Ce n’est pas ainsi que le SAC va se bâtir de nouvelles loyautés en interne et convaincre la plupart des nations de la communauté internationale qu’il s’engage sur une voie irénique et de réconciliation nationale. Les Américains croient si peu à une dynamique vertueuse des élections « militaires » qu’ils en ont déjà récusé l’objet au plus haut niveau de leur diplomatie, quant aux Etats-membres de l’Union européenne, ils se sont mis d’accord pour mettre sous sanction tous les membres de la Commission électorale de l’Union (février 2021 et 2022, novembre 2022). Du côté de l’ASEAN, de Phnom Penh à Jakarta en passant par Kuala Lumpur et Singapour, on ne croit pas plus dans les élections qui se profilent pour constituer une sortie de crise crédible et honorable. On est bien loin du climat politico-diplomatique qui prévalait à la veille des élections générales de 2010 conduites par le général Thein Sein.

 

François Guilbert

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