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THAÏLANDE – POLITIQUE : Les portraits de Gavroche : Prayut Chan Ocha

Date de publication : 13/05/2023
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Prayut portrait

 

Notre collaborateur et chroniqueur Philippe Bergues est un avide commentateur de la politique Thaïlandaise. Logique donc, de lui demander de nous brosser le portrait de quelques leaders politiques locaux. Voici celui du premier ministre…candidat à sa succession.

 

Par Philippe Bergues

 

Prayut Chan-o-cha, le candidat protecteur de l’ordre établi

 

Le général Prayut Chan-o-cha est né le 21 mars 1954, d’un père, Prapat Chan-o-cha, colonel de l’armée, et d’une mère institutrice, Kemphet Chan-o-cha. Originaire de la province de Chaiyaphum, il est l’aîné de quatre frères et sœurs. Après avoir été diplômé de l’Académie royale militaire de Chulachomklao, Prayut a commencé sa carrière en tant que major. Il était garde royal sous le Premier ministre Prem Tinsulanonda en 1987. Trois ans plus tard, Prayut a servi dans le 21ème régiment d’infanterie, stationné dans l’Est de la Thaïlande, qui se voit accorder le statut de garde royale en tant que « Gardes de la Reine ». En 2001, il a servi comme commandant général adjoint de la 2ème division d’infanterie, devenant son commandant général un an plus tard. En 2005, il devient général commandant adjoint de la 1re armée, qui comprend la 2e division d’infanterie. Il était considéré comme l’un des leaders de l’alliance à l’origine du coup d’État du 19 septembre 2006 destituant le Premier ministre Thaksin Shinawatra. Avec Anupong Paochinda et Prawit Wongsuwon, Prayut va former ces influents « Tigres de l’Est » qui vont occuper des postes prestigieux dont celui de chef des armées thaïlandaises. Prayut succédera à Anupong en 2010 juste après le soulèvement des « Chemises rouges » à Bangkok (dont il organisa la dispersion) pour tenir le leadership militaire jusqu’en 2014. En prenant la relève à la tête des forces armées, Prayut avait déclaré que ses missions seraient « de protéger la monarchie et de défendre la souveraineté de la Thaïlande ». Déjà, dans une perspective comparative entre la Thaïlande et l’Indonésie, le regretté Arnaud Dubus, grand expert de l’Asie du Sud-Est, journaliste à Libération et à Radio France, chroniqueur régulier dans ces colonnes de Gavroche, questionnait dans son livre « Armée du peuple, armée du roi » co-écrit avec Nicolas Revise, la place de l’armée dans la vie politique et l’activité économique outre sa tâche naturelle de défense nationale.

 

Prayut Chan-o-cha, de chef de l’armée à leader politique

 

En juin 2011, juste avant les élections générales, le général Prayut a savamment distillé de petites phrases montrant clairement sa réprobation de la nouvelle formation thaksinienne d’alors, le Pheu Thai. J’écrivais pendant cette campagne sur le site nonfiction.fr : tout en affirmant que « l’armée doit rester en dehors du jeu politique, qu’aucune consigne de vote ne sera donnée aux soldats, que son rôle est de préserver l’unité nationale et de protéger la monarchie en veillant à ce que les candidats ne politisent pas l’institution royale », le chef militaire thaïlandais est apparu sur deux chaines nationales du corps pour appeler le peuple à donner ses suffrages « aux bonnes personnes déterminées à travailler pour le bien du pays ». Allusion à peine voilée à ne pas voter pour Yingluck et ses colistiers du Pheu Thai et à leur préférer les candidats du camp Abhisit. On comprenait alors dans cette neutralité déguisée la tension régnant dans les sphères des élites traditionnelles qui redoutaient la victoire du camp Thaksin. On connaît la suite : Yingluck a été largement élue en 2011 et la « rue jaune » menée par le Comité populaire de réforme démocratique (PDRC) dirigé par le baron politique du sud, Suthep Thaugsuban, a provoqué une crise politique grave en 2013 et 2014 contre le gouvernement Yingluck. Crise insoluble selon Prayut ce qui l’a conduit à déclarer la loi martiale le 20 mai 2014 deux jours avant le coup d’État du 22 mai.

 

Prayut, le cumulard

 

Approuvé par le roi Bhumibol, ce qui a été considéré comme légitimant ce coup de force des militaires. Prayut a alors vite réprimé toute forme de dissidence en déclarant un couvre-feu sur tout le territoire, en interdisant les rassemblements d’au moins cinq personnes dans tout le pays, en arrêtant des politiciens ou militants anti coup d’État et en censurant la presse et internet. En justifiant ces limites à la liberté d’expression comme un préambule à la « réconciliation nationale ». Ce virage autoritaire valut à la Thaïlande de voir ses relations avec les pays occidentaux (UE, Etats-Unis) ramenées au minimum le plus strict. Construisant sa junte sous le nom de Conseil national pour la paix et l’ordre (NPCO), le général Prayut devenu Premier ministre s’invitait chaque semaine à la radio et à la télévision pour chanter (au sens propre) les mérites du « retour au bonheur pour le peuple ». Jusqu’en octobre 2014, date officielle de sa retraite d’officier militaire, Prayut cumulait donc trois postes : chef de l’armée, chef de la junte et Premier ministre. Son credo maintes fois répété de lutte contre la corruption ne l’empêcha pas d’être critiqué par des affaires touchant son entourage et son camp politique. Un tournant, dont les répercussions perdurent encore, se déroula le 11 novembre 2014 à Khon Kaen : alors que Prayut s’exprimait lors d’un discours, cinq étudiants appelés « groupe Dao Din » de l’université de Khon Kaen se sont levés près de l’estrade et ont fait le salut à trois doigts inspiré du film « Hunger Games » pour dénoncer silencieusement un « État autoritaire brutal ». Ce salut est devenu depuis emblématique des manifestants pro-démocratie depuis 2019 et plus généralement, de la « Milk-Tea Alliance » qui unit la jeunesse de Thaïlande, de Hong Kong, de Taïwan et de Birmanie dans leurs aspirations démocratiques. Ces cinq étudiants thaïlandais ont ensuite été amenés dans une caserne militaire pour « ajustement d’attitude » et l’un d’entre eux, Pai Dao, est devenu en 2020 l’un des leaders du mouvement demandant une réforme sans précédent de la monarchie.

 

Prayut ou comment ne pas répéter les « erreurs » postérieures au coup d’État de 2006

 

Pressé par les partis de l’opposition et par de nombreux partenaires internationaux de la Thaïlande, dont l’abaissement des relations économiques handicapait la croissance du royaume, Prayut devait envisager une promesse de retour aux urnes et, en même temps, verrouiller les futures élections à son avantage pour éviter le retour aux affaires des Thaksiniens. A son initiative, un référendum constitutionnel a eu lieu le 7 août 2016. La charte n’offrait qu’une semi-démocratie et était considérée comme renforçant le régime militaire en Thaïlande. Cependant, ce référendum a été approuvé par 61% des électeurs avec un taux de participation de 59%. Une deuxième proposition pour que le prochain Premier ministre soit élu conjointement par les sénateurs et les députés a également été approuvée. Prayut y a vu un pas « vers une véritable démocratie ». Cependant, les groupes d’opposition à la constitution ont été empêchés de faire officiellement campagne contre elle par le gouvernement militaire, ce qui a été largement dénoncé par les Nations-Unies, l’UE et les Etats-Unis. Tandis que la junte a activement fait campagne pour son adoption. Le tout dans un contexte délicat : le roi Rama IX, à la santé devenue bien fragile, allait décéder peu de temps après, le 13 octobre 2016. Il ne semble pas outrancier de dire que Prayut et l’armée souhaitaient être aux manettes durant cette période de succession, conjointement avec le Conseil privé du roi alors dirigé par Prem Tinsulanonda. Prayut ordonna un deuil national d’une année, ce qui par la force des choses, repoussait à une date indéfinie la convocation d’élections générales. Le roi Vajiralongkorn a succédé à son père et a renforcé certaines prérogatives royales sans que Prayut et les membres du Conseil privé n’y voient à commenter.

 

Monarchie et armée

 

Le consensus entre deux piliers du royaume, la monarchie et l’armée, se poursuivait donc. On sait ce qu’il advint lors de la campagne électorale de 2019 et du scrutin de mars : la princesse Ubolratana fut empêchée par ordre royal de se présenter pour un parti thaksinien et, fort des 250 voix des sénateurs, Prayut conserva son poste de Premier ministre, soutenu par le Palang Pracharat. Parti créé de toutes pièces pour soutenir sa candidature et dirigé par le général Prawit Wongsuwon, son ancien compagnon des « Tigres de l’est » avec le général Anupong Poachinda. Les « 3P » allaient marquer de leur empreinte la législature 2019-2023 que certains spécialistes ont appelé « une démocrature » tant Prayut s’est appuyé sur des alliés à la Cour constitutionnelle et à la Commission électorale. Pour faire taire par exemple les critiques du jeune parti Future Forward et interdire son charismatique leader, Thanathorn Juangroongruangkit, d’exercer un mandat politique à compter de février 2019 ainsi que deux autres de ses dirigeants primordiaux, Piyabutr Saengkanokkul et Pannika Wannich. L’opposition est donc constamment surveillée et les libertés civiles restreintes. Dans la seconde moitié du présent mandat de Prayut, une sur-utilisation de l’article 112, ou crime de lèse-majesté, a été constatée par les médias et les ONG des droits humains. Notamment vis-à-vis des manifestants demandant « une démocratie véritable et une réforme de l’institution monarchique pour aller vers une monarchie constitutionnelle à l’anglaise ». La Thaïlande, plutôt bonne élève de la région pour la démocratie et la liberté d’expression au début du présent millénaire, a nettement régressé sur ces questions sous Prayut comme en témoignent les classements internationaux publiés chaque année.

 

Comment « Oncle Tuu » (surnom donné par ses partisans) va organiser son projet électoral ?

 

Gavroche, dont l’auteur de ces lignes, dans de récents articles, a décrit comment Prayut vient d’adhérer au Ruam Thai Saang Chart (United Thai Nation Party – UTN), dans le but d’être son candidat lors du vote pour le Premier ministre après les prochaines élections générales. Pour quel projet politique ? Entendons les propos du Dr Trairong Suwankiri, ancien vice-Premier ministre, lors du lancement de l’UTN début janvier en présence de Prayut Chan-o-cha : « une idéologie est la direction générale qu’un parti politique veut donner à la nation pour préserver son avenir pour la future génération ». Puis s’en prenant « aux grandes puissances » qu’il accuse de faire de l’ingérence dans les affaires intérieures thaïlandaises « pour endoctriner nos jeunes afin qu’ils détestent cette nation ». On remarque donc que la rhétorique utilisée vise à soutenir le conservatisme de Prayut et maintenir l’ordre établi considéré comme immuable. Le Dr Trairong a poursuivi en affirmant « que de mauvais politiciens étaient élus car les gens n’utilisent pas leur cerveau » (en votant). Il a conclu en disant qu’il soutenait Prayut pour être de retour au poste de Premier ministre car « il est une bonne personne, honnête et propre. Aucun politicien ne peut être comparé à lui ».

 

Ces propos ne sont pas sans rappeler ceux de Suthep Thaugsuban en 2013 et 2014 dans leur volonté d’un conservatisme défendant les élites et la « Thaïness » de toute évolution « progressiste ». Le général Prayut incarnera cette ligne dans son programme électoral. Pour mieux se démarquer du général Prawit, candidat désigné du Palang Pracharat, dont les nombreuses rumeurs d’alliances pour des coalitions possibles l’entraînent vers une image plus politicienne que Prayut. Lequel se veut le défenseur durable et le protecteur de l’ordre militaro-royaliste établi. En surfant sur ce conservatisme ultra-radical, Prayut aura beaucoup de mal a trouver un écho électoral favorable auprès de la jeune génération.

 

Philippe Bergues

3 Commentaires

  1. C’est bien vrai, à l’instar de Jean-Marc Eyraud, premier ministre de Hollande qui rata la confirmation d’achat du TGV français, ou bien encore l’indifférence et les jugements hâtifs des démocratures européennes et du fainéant Obama !..ce qui poussa un peu plus la Thaïlande dans le giron du cousin chinois .
    Ce qui étonne dans cet article c’est que : pas un mot sur la chasse aux hauts fonctionnaires de police corrompus (40 virés), les annulations de permis de construire illégaux à Pattaya ou dans la petite suisse thaïe. Ou encore la réalisation de grands projets souvent “oubliés” par les équipes Thaksiniennes : gare centrale de Bangkok, les extensions des lignes BTS sur plus de 60km pour limiter le trafic routier, le train rapide puis TGV à venir pour le sud :
    PAS UN MOT ? Monsieur Bergues ? …étonnant …on en conclut que le journaliste gauchiste anti-royaliste ne met pas les pieds dans le royaume depuis de nombreuses années !
    Ce n’est pas un portrait, c’est un réquisitoire.

  2. Il ressort clairement de cet excellent article que le général Prayut représente la continuité de l’État et de la société thaïlandaise ; vraiment, le roi Bhumibol fut un grand roi qui voyait loin ; il est dommage que la France ne s’en soit pas aperçue et qu’elle n’ai pas songe à en faire un ami.

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