Notre ami et chroniqueur Yves Carmona n’a pas été sensible à nos arguments. Nous lui propositions de parler davantage de l’Asie du Sud-Est. Mais en fin diplomate, l’ancien Ambassadeur de France au Laos et au Népal préfère à l’évidence les grandes puissances. Gavroche est donc heureux de reparler, avec lui, de l’incontournable Chine.
Oui, encore la Chine !
Par Yves Carmona
Comment ne pas suivre un débat sur une puissance mondiale comme la Chine ?
Un ancien ministre a commencé par livrer ses impressions.
1/ Il ne voyait pas se produire de « scenarios extrêmes ».
Il fallait être bien conscient de la spécificité de l’emprise du Parti Communiste Chinois (PCC) et de Xi Jinping à sa tête. Un changement pouvait bien sûr se produire, mais il n’anticipait ni une attaque de Taïwan ni un isolement total du reste du monde.
Un retour à la ligne Deng Xiaoping, c’est-à-dire à la libéralisation de l’économie, personne n’y croyait. Toute la politique du « pivot » engagée par le président Obama visait à empêcher la Chine de devenir la première puissance mondiale. Les Etats-Unis avaient cru que l’entrée de la Chine à l’OMC la rendrait plus démocratique et avaient depuis compris leur erreur.
2/ Xi Jinping allait rester au pouvoir jusqu’en 2032.
Il pourrait se produire bien des aléas d’ici là tels que le mécontentement de la population dont de nombreuses manifestations témoignaient, le risque écologique auquel les Chinois étaient de plus en plus sensibles, le COVID ou d’autres virus pouvaient encore frapper.
Quant à la puissance militaire permettant d’attaquer Taïwan, elle ne serait pas disponible selon les experts avant 2025-2027 mais l’orateur n’était pas convaincu que cela se produise, car tout dépendrait de l’anticipation par le PCC des réactions de Washington, or si celle-ci ne faisait rien, il n’y aurait plus de garantie américaine nulle part…
En Afrique, la domination chinoise ne s’exerçait pas sans difficultés et depuis 1 ou 2 ans, les faiblesses chinoises étaient plus apparentes.
3/ Entre les Etats-Unis et la Chine, il ne pouvait y avoir de victoire totale. La RFA par exemple avait besoin du marché chinois. Le vocabulaire du non-alignement était revenu, ceux qui s’abstenaient à l’ONU représentaient les 2/3 de l’humanité sans pour autant que l’unité règne entre eux, si ce n’est pour refuser de s’aligner derrière la Chine.
4/ Dans l’UE, l’Allemagne ne pouvait à la fois se priver du gaz russe et du marché chinois. Les Etats-Unis ne pouvaient donc l’enrégimenter. Répondant à des questions, l’ancien ministre rappelait que Deng Xiaoping avait voulu libéraliser l’économie chinoise mais n’avait jamais parlé de supplanter l’Occident. Le chaos qui avait présidé au déconfinement sanitaire en était un intéressant exemple.
Kishore Mahbubani (« The Asian 21st century » 2021) qui était proche de Deng avait évoqué la fin de la parenthèse et avec lui beaucoup voulaient un avenir non-occidental mais il n’y avait pas d’unité entre eux.
La Chine venait de publier un plan de paix pour l’Ukraine, dont certains points pouvaient être acceptés par Zelenski. Elle prônait surtout la stabilité et c’est pourquoi elle prenait date pour une paix quel qu’en soit le médiateur. Si 3 ou 4 États européens importants refusaient le leadership américain, une alliance avec de grands hommes d’affaire américains était possible. Ont suivi plusieurs table-rondes d’experts.
I. La première table-ronde traitait le cas africain.
Elle examinait les votes aux Nations Unies. Ceux en faveur de la Chine n’avaient pas progressé alors qu’elle en était devenue en 2000-2020 le premier créancier (150Mds USD), contrôlait 62% de la dette extérieure africaine, mais investissait peu avec 42 Mds. L’EXIM Bank en constituait le principal instrument. La Chine avait dépassé la Russie quand l’Union soviétique s’était effondrée. L’endettement était corrélé avec l’affinité et les thèmes qui rapprochaient la Chine de l’Afrique étaient le Moyen-Orient, le désarmement et le nucléaire. Cependant, cela avait un caractère conjoncturel, distancié et on ne pouvait en conclure à un soutien politique durable.
II. Une deuxième table-ronde s’interrogeait sur l’image de la BRI.
Celle-ci avait produit 3 déclinaisons :
– La route de la soie digitale
– La route de la soie verte
– La route de la soie de la santé.
Elle rencontrait beaucoup de facteurs défavorables :
– Le conflit commercial avec les Etats-Unis.
– Des projets non rentables
– La COVID
– Des problèmes liés à l’investissement immobilier
Une première étude (« policy brief ») se demandait comment la BRI était ressentie hors de Chine – sans surprise, mieux dans ceux qui en bénéficiaient que chez les autres. La couverture médiatique était plutôt négative, comme en Asie, la BRI étant plus appréciée que la Chine elle-même.
Deuxième étude, au sein même de la Chine. Du fait de son fonctionnement décentralisé, la BRI apparaissait comme une chance pour les bureaucrates locaux en leur permettant d’accéder à des prêts concessionnels. Elle bénéficiait d’une présentation plus favorable dans les journaux en chinois qu’en langue anglaise. De purement économique, la BRI évoluait vers un contenu politico-militaire qu’illustraient la « Global Security Initiative » et le thème du « développement de l’humanité ».