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ASIE – GÉOPOLITIQUE : Les États asiatiques sont-ils solides et durables ?

Date de publication : 03/04/2023
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Union européenne indopacifique

 

Gavroche n’est pas que votre plate-forme d’actualité et de débat. Nous entendons être aussi le lieu où analystes, experts, géographes et universitaires trouvent un terrain propice à leurs publications. Nous avons donc l’honneur de publier, ici, des extraits d’une récente contribution de l’Ambassadeur de France en Birmanie Christian Lechervy sur la «polygamie» des États de la région. Vous êtes intrigués par ce titre ? Une seule solution ? Lisez…

 

Par Christian Lechervy

 

Bâtir des stratégies Indo-Pacifique en s’appuyant sur quelques partenaires-clés – Australie, Inde, Indonésie, Japon, etc. – est tentant pour agir vite et de façon très visible. Toutefois, c’est prendre le risque de modeler des politiques régionales avec à peine un peu plus de 5 % des nations riveraines des océans Indien et Pacifique. Certes, cela peut constituer une manière de tenir compte des neufs partenaires au G20 qui relèvent de l’aire Indo-Pacifique. Aucun n’a cependant formé de bloc régional dont il serait le centre polarisant. Dès lors, l’élaboration dans la durée des manœuvres Indo-Pacifique est du ressort d’un savant dosage de diplomaties bilatérales et multi-multilatérales. Or la région s’est dotée de tant d’institutions transnationales nouvelles au cours des dernières décennies qu’il est bien difficile d’en faire toutes des associées. Dans les faits, nous assistons à une polygamie institutionnelle qui brouille les partenariats avec les pays tiers, qui dispersent leurs moyens et les énergies. Mais ce multi-multilatéralisme souligne aussi combien la région se cherche, teste la pertinence de coopérations resserrées et entend développer des dialogues non exclusifs.

 

Pour Paris, les dimensions sous-régionales de la politique étrangère sont essentielles. Prendre pleinement en considération sa place dans les organisations (sous-)régionales lui donne une assise particulièrement large dans l’Indo-Pacifique, tant par la possible valorisation de son statut de puissance résidente que par le nombre d’interactions intergouvernementales que cela offre. Dans les faits, son statut d’État membre de la Commission de l’océan Indien (COI), de l’Association des États riverains de l’océan Indien (IORA) et somme toute du Forum des îles du Pacifique (FIP) lui donne l’opportunité d’interagir avec 36 États souverains dans ces trois enceintes, soit plus de 60 % des pays de l’Indo-Pacifique telle que la France l’a définie. Il s’agit non seulement d’une singularité parmi les Européens qui s’intéressent à la métarégion, mais également parmi les puissances occidentales, à commencer par les États-Unis. Pour autant, la France n’est associée qu’à un nombre limité d’organisations sous-régionales de l’Indo-Pacifique. Si elle a su trouver au cours de ces dernières années sa place dans des institutions créées sans elle – COI (janvier 1986), IORA (décembre 2020) –, voire contre elle – FIP (septembre 2016) –, elle n’en doit pas moins demeurer vigilante à l’émergence de nouvelles plates-formes interétatiques micro, méso ou métarégionales, qu’elles soient ordonnancées par les grandes puissances en rivalité – Chine / États-Unis – ou pour se distancier de celles-ci et élaborer des coopérations de proximité immédiates. Ce bouillonnement organisationnel est à appréhender minutieusement afin de garantir à la France sa place dans la région Indo-Pacifique et, par corolaire, dans chacune des deux aires océaniques.

 

Un foisonnement organisationnel

 

De l’Asie-Pacifique à l’Indo-Pacifique, de la monogamie à la polygamie

 

Sur le plan politique, économique et militaire, le théâtre Indo-Pacifique s’est compartimenté en quelques organisations sous-régionales, sans pour autant qu’elles forment un tout. À ce titre, le concept d’Asie-Pacifique qui précéda celui d’Indo-Pacifique fut un leurre au sens où il n’exista aucun assemblement des Asie du Nord, du Sud et du Sud-Est. De plus, les institutions se réclamant de l’Asie-Pacifique escamotèrent durablement les États insulaires d’Océanie, en dépit de leur référence au Pacifique. À défaut d’une métaorganisation inclusive, les organisations régionales se sont constituées, durant les années 1960 à 1980, à partir de petits noyaux d’États : Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) en 1967, FIP en 1971, Conseil de coopération du Golfe (CCG) en 1981, COI en 1982, IORA en 1985. Peu à peu, elles se sont élargies aux pays contigus, souvent dans des proportions conséquentes. Le lent processus de décolonisation et la fin de la guerre froide ont été les moteurs de ces extensions. Si stratégiquement les États ont ainsi affirmé leur prise de distance des logiques de blocs mises en œuvre par la rivalité soviéto-américaine, politiquement les consolidations organisationnelles ont été l’occasion de proclamer des identités régionales retrouvées, voire d’énoncer des pratiques diplomatiques « propres » – par exemple, « Pacific Way » (1970), « ASEAN Way » (2008).

 


Dans une certaine mesure, on a pu constater un vaste mouvement de repli sur soi et l’étranger proche.
De cette façon, l’aire Indo-Pacifique s’est constellée de plusieurs sous-systèmes, adossés les uns à la périphérie des autres, et de manière étanche, puisque la pratique écartait l’idée d’appartenir à deux organisations régionales géographiquement différentes. Les unions étaient conceptuellement exclusives. Appartenir à un sous-ensemble impliquait de ne pas s’associer à un autre, même comme État observateur. Une règle de monogamie institutionnelle qui s’est peu à peu étiolée, tout d’abord à l’occasion de la constitution d’organisations régionales fonctionnant par cercles concentriques. À ce titre, l’ASEAN est devenue le modèle le plus abouti des organisations régionales multicardinalisées.

 

En Asie, l’ASEAN constitue une polarité nodale de première importance en étant le point d’agrégation avec l’Asie du Nord-Est (ASEAN+3, 1997) et en ayant institué, hors de toute initiative des grandes puissances du moment, la première agora régionale sur les questions sécuritaires (ASEAN Regional Forum, 1993). Elle s’est renforcée du fait d’une multicardinalisation des relations avec des pays, des groupements interétatiques ou des organisations tierces. Ce relationnel a pris des formes contractuelles très variées : partenaires de dialogue, partenaires de dialogue sectoriel, partenaires de développement, partenaires multilatéraux. Des mécanismes qui n’ont cessé d’évoluer dans leurs formes et leurs participants. Le maillage s’est d’autant plus densifié que les pays où sont nées les organisations régionales ont eu le sentiment d’être parvenus à (r)assembler, (ré)unifier « leur » région autour d’un projet commun. Cette impression d’avoir réussi à faire correspondre les frontières régionales et les institutions de coopération interétatiques est devenue source de fierté des dirigeants, d’assurances dans la non-ingérence dans les affaires intérieures, et d’une attractivité croissante nourrissant influence politique et dynamisme économique. Un triptyque aujourd’hui bien fragilisé.

 

Progressivement, l’orchestration régionale en grands sous-systèmes – ASEAN, Association sud-asiatique pour la coopération régionale (SAARC), FIP – s’est grippée. La conflictualité indo-pakistanaise a eu raison de la SAARC.

 

Le coup d’État militaire du 1er février 2021 du général Min Aung Hlaing en Birmanie a eu, lui, pour effet de voir se tenir les sommets de l’ASEAN et les réunions des ministres des Affaires étrangères sans participation de représentants politiques de Naypyidaw. Pour ses décisions les plus essentielles, depuis novembre 2021, l’ASEAN fonctionne donc à neuf – et non plus dix – États membres. Dans le Pacifique, les États fédérés de Micronésie ont sonné au FIP, en février 2021, le vent de la révolte après avoir vu l’un des leurs ne pas accéder aux fonctions de secrétaire général de l’organisation. Si l’accord de Suva en juin 2022 a permis de restaurer une certaine unité du FIP, la République de Kiribati a néanmoins décidé de continuer à faire bande à part.

 

Les querelles internes affectent aujourd’hui en profondeur les institutions régionales les plus anciennes et ayant été les plus structurantes de l’espace Indo-Pacifique. Il n’en faut pas moins reconnaître que les sous-systèmes institués depuis près d’un demi-siècle ont toujours été fragiles et ont eu des portées limitées, y compris pour soutenir des projets fondateurs d’intégration régionale. Si l’Asie du Sud et du Sud-Est ce sont compartimentées par l’entremise de l’ASEAN et la SAARC, aucune institution n’a vraiment émergé au profit de l’Asie du Nord-Est.

 

La suite à lire dans la publications à télécharger en PDF ici.

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