Qui est Anutin Charnvirakul, chef du Bhumjaithai et faiseur de rois de la politique thaïlandaise ? Notre ami et chroniqueur Philippe Bergues brosse le portrait de celui qui pourrait bien un jour prendre la tête du gouvernement.
Anutin Charnvirakul, 56 ans, ancien président de l’une des plus grandes entreprises de construction de Thaïlande, Sino-Thai Engineering, a été vice-Premier ministre et ministre de la Santé publique dans le gouvernement Prayut depuis 2019. Leader du Bhumjamthai, il tente de se présenter comme le « troisième choix » dans cette élection et comme un courtier potentiel post-électoral. Son parti est bien connu pour être le faiseur de rois de la politique thaïlandaise et, à ce titre, Anutin suit les traces de son chef historique, Newin Chidchob. C’est pourquoi, à ce jour, Anutin et le Bhumjamthai n’ont exclus aucune alliance après les élections du 14 mai, ce qui en fait la seule formation ouverte officiellement à tout dialogue. Que ce soit avec les partis pro-militaires United Thai Nation de Prayut ou Palang Pracharat de Prawit et les Démocrates avec qui ils étaient tous alliés dans le gouvernement sortant. Ou avec l’opposition actuelle formée par le Pheu Thai et le Move Forward, bien que des dissensions existent avec ce dernier et Pita Limjaroenat à propos du traitement futur de la loi sur le crime de lèse-majesté qu’Anutin veut laisser en l’état. Néanmoins, les canaux de discussions ne sont pas pour autant rompus.
La légalisation du cannabis, grande victoire d’Anutin
Le 9 juin 2022, la marijuana a été dépénalisée et une culture du cannabis a depuis proliféré en Thaïlande, avec des cafés et dispensaires « Green Weed » démultipliés à Bangkok, dans les grandes villes provinciales et aussi à la campagne. Et aussi dans les grands évènements festifs, drainant des milliers de touristes, comme la Full Moon Party à Koh Phangan. Toute une « économie de l’herbe » a rapidement vu le jour, du producteur jusqu’au consommateur, à fins médicinales ou récréatives et le marché thaïlandais du cannabis devrait atteindre 9,6 milliards de dollars d’ici 2030. Anutin a personnellement porté cette « révolution siamoise » sans que les partis conservateurs et pro-militaires n’y trouvent trop à redire, sachant très bien les retombées financières d’une telle loi pour le premier pays asiatique à avoir légalisé cette drogue, sévèrement réprimée il y a peu. Il sait qu’il a au moins une très grande majorité de la jeunesse avec lui.
Les obstacles de la régularisation
Lors de la législature qui vient de se terminer, plusieurs projets de loi réglementant l’usage du cannabis ont été ajournés faute d’entente entre les partis ou faute de quorum. Il faut dire qu’Anutin avait les moyens de faire tomber le gouvernement Prayut si sa victoire de la décriminalisation était remise en cause. Pour défendre sa loi, Anutin justifie que « la Thaïlande est en fait l’endroit du monde le plus approprié pour cultiver du cannabis de qualité » et que « nous avons tellement de connaissances de la médecine traditionnelle ici et l’utilisation des extractions de cannabis peut guérir tant de personnes, maladies et soulager les symptômes ». Anutin espère que son audace sociétale fera gagner au Bhumjaithai des sièges supplémentaires le 14 mai prochain, pour le rendre incontournable dans n’importe quelle coalition et, pourquoi pas, ce qu’il espère secrètement, devenir le futur Premier ministre du royaume de Thaïlande.
Anutin se voit en pivot du futur gouvernement mais a ses critiques
Pragmatique et ambitieux, l’homme a aussi ses détracteurs et ses critiques qui n’oublient pas sa gestion de la pandémie du Covid-19, parfois qualifiée de chaotique pour le lent approvisionnement en vaccins. D’autres lui reprochent sa rhétorique accusatoire vis-à-vis des « dirty farangs » ne portant pas le masque et portant atteinte à l’image respectueuse du pays vis-à-vis de ses hôtes. Ou encore d’avoir fait volte-face dans les mesures d’entrée en Thaïlande en janvier dernier lorsqu’il s’agissait de décider si les Chinois devaient ou non entrer avec une obligation vaccinale.
La mesure des sondages donnent au Bhumjaithai 70 députés dans la fourchette haute et 40 députés dans la fourchette basse. Anutin arrive au mieux à la cinquième position comme candidat désiré par les Thaïlandais pour le poste de Premier ministre. Il compte sur un fort ancrage du parti dans des baronnies provinciales pour faire un bon score et espère tirer les fruits de sa politique du cannabis auprès des jeunes. « Mon destin repose sur la décision du peuple » a-t-il récemment déclaré.
Philippe Bergues