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BIRMANIE – HUMANITAIRE : Questions sur les secours après le passage du cyclone Mocha

Date de publication : 21/05/2023
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Birmanie Cyclone Mocha

 

Notre chroniqueur François Guilbert s’inquiète de la lenteur des secours après les dégâts et les nombreuses victimes causés par le passage du cyclone Mocha.

 

Par François Guilbert.

 

Les autorités de la junte revoient leur bilan à la hausse chaque jour. Au 19 mai, elles reconnaissaient la mort de 145 habitants pendant le cyclone dont 4 soldats et 117 « Bengalis », comprendre Rohingyas. En laissant entendre que 80,7 % des décès sont à déplorer dans la communauté rohingya, la junte ouvre la voie à de nouvelles polémiques. Sauf à considérer que ces habitants n’ont pas été convenablement protégés, on ne voit pas pourquoi leur taux de victimisation serait incomparablement plus élevé que pour le reste de la population. A défaut de donner une explication « crédible », la réponse apportée relève de l’intimidation. Pour contenir la controverse naissante, le porte-parole du Conseil de l’administration de l’État (SAC) menace de poursuites ceux qui colporteront de « fausses nouvelles » sur le sujet. Cette mise en garde vise explicitement ceux qui affirment sur les réseaux sociaux qu’au moins 400 Rohingyas seraient décédés dans les camps de déplacés.

 

Prés d’un million de personnes évacuées

 

Au total, selon les affirmations de Nay Pyi Taw, 912 277 personnes ont été évacuées. « Évacuées », cette terminologie est pour partie impropre. A la vérité, beaucoup de Birmans ont quitté leur domicile par leurs propres moyens, payant de leurs bourses le transport vers un lieu de vie plus sûr. Une semaine après les pluies et les vents abondants, nombre d’entre eux ne sont pas retournés vers leur habitat d’origine. Dans une grande majorité, ils (sur)vivent désormais dans des espaces ouverts, le plus souvent des halls de pagodes et dépendent du soutien de ceux qui les ont recueillis à la hâte.

 

Le chemin du retour est susceptible de prendre du temps. 180 000 habitations, au minimum, ont été endommagées. 70 % des maisons de l’Etat Rakhine ont perdu leur toiture. Immédiatement, selon le Programme alimentaire mondial, c’est au moins 800 000 personnes sur le trajet du cyclone qui ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence. Sur le plan financier, selon le centre humanitaire de l’ASEAN (AHA), les dommages infligés aux infrastructures par le cyclone Mocha s’élèveront à plus de 1,2 milliards de dollars.

 

Difficile évaluation

 

L’évaluation du bilan de la catastrophe est encore bien difficile à opérer pour disposer d’une vue d’ensemble détaillée. Les autorités militaires continuent à ne pas répondre aux propositions des agences des Nations unies. Elles ne se montrent pas plus ouvertes vis-à-vis des partenaires de l’ASEAN. L’équipe de l’ASEAN – Emergency Response Assessment Team, arrivée de Jakarta, n’a pas été autorisée à se déployer immédiatement dans l’État Rakhine. Les dispositifs régionaux de secours ne sont pas activés. La Birmanie des généraux est invitée à recourir au Secrétaire général de l’Association des nations d’Asie du sud-est en sa capacité de Coordonnateur de l’assistance humanitaire. Les moyens prépositionnés à Sabang (Malaisie) ne sont pas activés, tout comme les outils satellitaires de Chai Nat en Thaïlande ou encore l’ASEAN Military Group. Pour l’heure, les rares moyens étrangers parvenus sur place sont ceux convoyés par un navire militaire de la marine indienne. Le reste de la planète (ex. Australie, Etats-Unis, France, Japon, Royaume Uni, Suisse, Union européenne) en est jusqu’ici réduit à préciser les enveloppes budgétaires susceptibles d’être mobilisées.

 

Les secours parviennent également au compte-goutte sur le terrain parce que les axes de transports sont altérés (ex. le port de Sittway, les 3 aéroports). Mais plus fondamentalement, l’évaluation des besoins fait défaut. Les équipes d’évaluateurs du National Disaster Management Committee (NDMC) affiliées à la junte sont, elles-mêmes, encore peu présentes sur le terrain. Il n’y en a que 22 déployées, réparties entre le Rakhine (20), Magway (1) et l’Ayeyarwady (1). Autrement dit, les autorités du SAC sont certainement, pour partie, à l’aveugle sur les destructions dans l’État Chin et les autres provinces affectées, à commencer par celle de Sagaing.

 

Cependant, dans la pratique, l’armée putschiste retarde l’aide humanitaire internationale autant que possible. Elle utilise ce délais pour se présenter comme le premier intervenant compétent et faisant autorité. Cependant, c’est au prix d’un prolongement de conditions de vie dégradées (alimentation, santé) des populations. Les habitants continuent de se plaindre de l’absence des secours. Seuls les réseaux sociaux sont à mêmes de relayer les récriminations car les visites des autorités – les ministres des Affaires sociales et de l’Électricité après ceux de l’Intérieur, de la Santé, des Frontières et les numéros 1 et de 2 l’armée – ne sont que des inspections administratives, sans contact avec les habitants, si ce n’est, ici ou là, en remettant des sacs de riz à des victimes. A la vérité, on est bien loin d’une traduction dans les faits du leitmotiv du général Min Aung Hlaing selon lequel : « Aucun citoyen ne doit être laissé pour compte dans la fourniture de l’aide ». Un mot d’ordre plagié par ailleurs sur celui d’Aung San Suu Kyi à l’heure de la lutte contre la COVID-19 mais qui, lui, correspondait à une réelle priorité du gouvernement.

 

Le numéro deux de la junte

 

La venue le 18 mai à Sittway du numéro 2 de la junte, le général Soe Win, a laissé transparaître un SAC plus préoccupé d’affirmer ses ambitions de reconstruction que d’apporter des concours immédiats aux populations. Cet enjambement de la phase humanitaire d’urgence est préoccupant pour le sort à venir des populations. Preuve que les autorités ne sont, peut-être, plus déjà dans la phase de secours, le 19 mai a été annoncé la nomination de 18 officiers généraux (3 majors-généraux, 12 brigadiers-généraux, 3 lieutenants-généraux) pour prendre en charge les phases de reconstruction dans les États Rakhine (14) et Chin (4). La réhabilitation dans l’État Chin sera particulièrement compliquée. 3 des 4 townships à rebâtir sont sous le régime de la loi martiale. L’absence des régions de Magway et Sagaing dans le dispositif de rénovation en dit aussi long sur la volonté d’invisibiliser les autres victimes du cyclone, celles des zones d’affrontements armés. Il n’en demeure pas moins qu’il faudra commencer aussi vite que possible les travaux de réfection, notamment pour l’éducation et la santé : 1 397 écoles et 227 établissements de santé ont été saccagés.

 

L’hyper-militarisation de la gestion immédiate et post-crise est une stratégie de moyen – long terme. Elle est accentuée par la supervision de l’écheveau par l’ex-chef d’état-major de la marine, aujourd’hui ministre des Transports, et le ministre de l’Union en charge des affaires frontalières. Au travers de cette chaîne de commandement qui ne rapporte qu’aux numéros 1 et 2 de la Tatmadaw, on voit combien l’armée n’est pas disposée à partager le pouvoir et probablement les subsides générés par la reconstruction. Les officiers désignés ne manqueront pas de privilégier les deux conglomérats militaires et leurs entreprises associées. Dans un pays où la corruption est redevenue massive, ces cadres de la Tatmadaw n’oublieront certainement pas de se rémunérer eux-mêmes et leurs proches.

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