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THAÏLANDE – CHRONIQUE : Le Suan Lum Night Bazaar, ce marché de nuit trop tôt disparu

Date de publication : 26/05/2023
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Suan Lum Night Bazzar

 

Notre ami Patrick Chesneau est un chroniqueur nostalgique. La preuve : alors que les tours du quartier One Bangkok crèvent le ciel aux cotés du parc de Lumpini, lui se souvient du Night Bazaar…

 

Dans le paysage en transformation permanente de la ville géante, le chantier phare de One Bangkok aimante l’œil. A l’angle de la grande artère Rama 4 et de Thanon Witthayu, face au parc Lumpini. De ce quadrilatère imposant surgit le complexe le plus ambitieux du moment dans la capitale siamoise. Une dizaine tours stratosphériques vont accrocher les cieux. En particulier la Signature Tower, 92 étages en prévision, toisera la Cité des Anges du haut de ses 437 mètres. One Bangkok se veut la figure de proue de la modernité dans une mégalopole hyper connectée. Livraison échelonnée jusqu’en 2026. Admirons la performance.

 

Il n’empêche. Tous les résidents de longue date qui passent dans ce coin de Krungthep Mahanakorn sont à coup sûr saisis par l’émotion. Immanquablement, sans avoir à jouer les vétérans d’un monde englouti dans une mémoire elle-même enfouie à jamais, ils se remémorent, parfois les yeux nimbés d’ineffables regrets, le Suan Lum Night Bazaar. Mi-marché de nuit, mi-parc d’attractions précisément implanté sur la totalité de ce vaste terrain appartenant au Crown Property Bureau. Suan Lum a enchanté les expatriés tout autant que les Thaïs de la capitale. Ce lieu devenu emblématique a existé jusqu’en 2011, année de sa fermeture définitive…cédant la place au projet immobilier futuriste.

 

Retour sur un passé qui n’est pas compassé.  Ambiance inégalée à ce jour. Temps révolus. Séquence nostalgie…

 

C’était un marché de nuit mais, d’évidence criante, pas comme les autres. Il était recommandé d’arpenter à pas lents ce lieu baroque et plutôt hors norme de la Cité des Anges quand il fourmillait d’activité. Comme une dégustation. Tant d’habitués ont partagé la même peine lorsque les lampions de la fête se sont éteints. Suan Lum Night Bazaar, en effet grand bazar sympathique, pan de vie nocturne constamment réinventée version mille et une nuit quand le reste de la ville géante était en mode pause jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Dans cette brocante foisonnante, la disposition des allées et des ruelles contiguës incitait à la déambulation nonchalante. Plus que les échoppes dédiées à la vente d’objets insolites, une flopée de gargotes et d’estaminets “thai style” drainait les foules qui se délectaient d’une atmosphère presque alanguie si rare en plein cœur battant de la mégalopole survoltée, à la limite de la frénésie. Lieu de rencontres impromptues au détour des étals réservés aux produits OTOP – One Tambon One Product – objets artisanaux venus de toutes les provinces de Thaïlande. Les galeries marchandes aimablement désordonnées regorgeaient de petites boutiques très encombrées, comme autant de duplicatas de la caverne d’Ali Baba. D’un stand à l’autre, le public obéissait à de curieuses migrations pendulaires mais rien à voir avec les espaces ordinairement bondés de Chatuchak. Pas de bousculades éprouvantes. Pas de chaleur suffocante. Les touristes venus en grappes babillaient, papotaient l’air connaisseur et négociaient âprement des prix déjà fort bas quand ils avaient déniché le souvenir adéquat. On était pourtant très loin des pièges à gogos que présentent tant d’espaces tellement âpres au gain quand pullulent les visiteurs étrangers. Bien sûr, tout bon vendeur rivalisait d’ingéniosité pour accroître ses marges mais le goût du profit était enrubanné dans une chaleur débonnaire non feinte. Sourire en sus comme il se doit en Thaïlande. Avait-on inventé le mercantilisme à visage humain ?  Emplettes et loisirs en coexistence plus que pacifique, harmonieuse.

 

Nichés dans chaque recoin de ce périmètre surprenant, les restaurants abondaient. Cuisines d’ici et d’ailleurs. Éventail des saveurs. Sur le pouce ou dans un cadre plus intimiste voire sophistiqué à la lueur des chandelles. Accessibles à toutes les bourses. Une géographie cordiale pour estomacs en bourlingue gastronomique. Musarder. Fouiner. Farfouiller. Dénicher. Humer l’air rafraîchi des heures indues. Telle était l’invariable feuille de route du promeneur guidé par des guirlandes de lumières bariolées. Il convient tout autant de se remémorer les nombreuses soirées de déluge. Par temps de mousson, les trombes d’eau avaient pour effet immédiat de rassembler l’assistance, mécaniquement agglutinée, sur les rares terrasses surélevées. De ces promontoires, les convives de ces étranges épisodes de furie naturelle, contemplaient avec une crainte savamment retenue, l’inexorable montée des flots. Peurs impétueuses. Au coude à coude, une kyrielle extensible à souhait de nationalités. Profusion des sabirs. Sitôt l’averse interrompue, les attroupements chamarrés s’égayaient dans le brouhaha de l’exubérance retrouvée. Pour ne pas rompre trop brutalement avec l’élément liquide, d’aucuns allaient faire trempette dans un bac à poissons miniature. Des dizaines de minuscules bouches ventouses débarrassaient en un éclair de multiples paires de pieds de leurs oripeaux desquamés. Arrêt réjuvénation pour épidermes trop fanés.

 

D’autres se précipitaient vers des modules d’animation très attractifs pour clientèles plus ciblées. Ainsi, le BEC-TERO hall, d’une capacité de 6 000 places, rebaptisé Bangkok Hall en 2007 accueillait des concerts et autres performances de groupes musicaux. Les soirs d’effluves harmoniques, les notes flottaient dans l’air. Ou le Joe louis Puppet Theatre, spécialisé dans les marionnettes traditionnelles et l’interprétation du Ramakien tiré du répertoire mythologique thaï.

 

On le sait, chacun a, enfoui en soi, une madeleine de Proust. Très aisément, ce pourrait être la fontaine attenant à un mur d’enceinte pastichant de somptueux vestiges. Une « namtok », charmante cascade au délicieux gazouillis. Cette fontaine-là ne promettait aucune fable mais, semblable à une corne d’abondance, accueillait une litanie inépuisable d’intermèdes galants. Sur la margelle qu’éclaboussaient les gouttelettes par myriades, les couples s’enlaçaient sans se lasser. Les plus inédits, les plus improbables, les plus dissemblables mais invariablement complices. Une soif d’amour qu’aucune pâmoison ne suffisait à étancher. En définitive, le Suan Lum Night Bazaar était une halte poétique.

 

Patrick Chesneau

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