Un détour par le Nord-Est de la Thaïlande pour notre chroniqueur Patrick Chesneau. Avec une affection non dissimulée…
L’expérience vaut le détour. Tout commence par une navigation au long cours sur le net. Au hasard d’un clic, surgissent des forums pour le moins surprenants… Des sites très ciblés sur lesquels il est de bon ton d’expliquer à quel point l’Isaan présente peu d’attraits et encore moins d’intérêt en comparaison avec Chiang Mai, Pattaya, Hua-Hin ou Phuket, lieux de villégiature incontestablement prisés des touristes et autres expatriés. Le Nord-Est dépeint, sans crainte de l’outrance, comme une destination à ignorer. Que ce soit aux fins d’exploration ou pour s’y installer.
Démolition en règle
Les participants à cet exercice de démolition en règle passent en revue, avec une précision d’entomologiste, les inconvénients supposés, les tares et les handicaps inhérents selon eux à cette région riche tout de même de ses 25 millions d’habitants. Selon eux, une contrée arriérée, rudimentaire, ennuyeuse, monotone, enclavée, hors du temps. Situation aggravée, vilipendent-ils, par l’inexistence de toute vie nocturne. Que ne font-ils l’effort de distinguer entre les campagnes à l’apparence indolente, là où vivent les chawnaa (le peuple paysan) et les villes ? Chaque capitale provinciale connaît un essor économique stupéfiant. Dotée désormais de tous les attributs de la modernité. Certes, Khorat, Khon Kaen, Buriram, Udon Thani restent de modestes métropoles, en comparaison de Bangkok, Krungthep Mahanakorn pour les intimes. Pourtant, elles fourmillent d’activités et l’animation s’y intensifie à vive allure. Les grincheux versent dans une litanie de clichés éculés pour décrire cette aire géographique imposante que constitue le Nord-Est, enserrée entre le Laos et le Cambodge, adossée à la courbe du mythique fleuve Mékong. Terre fertile en émotions. Matrice de fascinations inédites. Berceau du molam et des musiques kantrum. Invariablement, flottent dans l’air des chants qui peuvent sans doute rayer les tympans trop novices venus d’ailleurs. Répertoire empreint de tonalités aigrelettes. Ce sont les voix stridentes du luk thung. Mélopées récurrentes. On ne s’en départit plus jamais. Indissociables des danses collectives, sorte de ponctuation de toutes les manifestations publiques. Étonnamment ritualisées, en vertu de chorégraphies millimétrées héritées du fond des âges. Comment égrener le chapelet des bonheurs ordinaires ? Il y a urgence à mentionner une gastronomie qui tient le piment rouge vif pour une friandise. Si épicée qu’elle devient un brasier permanent. L’imperium culinaire revient au som tam, surgi de toutes les calebasses assermentées. Nourriture spirituelle également dans une région prolifique en temples rutilants. De la naissance à l’épilogue, le bouddhisme est une foi inscrite dans tous les actes de l’existence. Une magnificence du quotidien. Les lieux de culte, véritables bijoux à l’architecture somptueuse. Là viennent psalmodier les sylphides à la peau ambrée. Les ” pûyin isaan ” (les filles d’Isaan) aux charmes capiteux. Découverte encore et toujours dans un décor majestueux. On est dans la région endémique des rizières piquetées de palmiers haut perchés. En contrebas, les buffles placides et besogneux réinventent le temps lent. Dans un élan prosélyte, doit-on convoquer les éléphants facétieux qui ont fait de Surin leur capitale ? De ces attraits, nulle mention chez les contempteurs de l’insolite. A les en croire, tout est mieux ailleurs en Thaïlande. Les paysages, la musique, la nourriture, le peuple vernaculaire. Ces forums du ressentiment apparaissent comme des espaces dédiés aux dépités de l’Isaan. Le défilé des atrabilaires. Pourquoi ? Comment ? Certes, il fallait bien que de tels zigotos existent. Ils ajoutent aux mystères insondables de l’âme humaine. Tout de même… Ne poussent-ils pas le bouchon de la critique assassine exagérément loin ? Au risque de l’iniquité dans les jugements à l’emporte-pièce. Faisant montre d’une défiance hors de proportion avec le réel et ses quelques inévitables insuffisances. L’Isaan n’est ni une terre promise ni une réplique du paradis. Mais une terre vaillante …assurément. Un atout primordial du Royaume de Siam. L’inappétence pour ce terroir essentiellement agreste traduit-elle un malaise existentiel ? Qu’en conclure provisoirement ?
Vous n’aimez pas l’Isaan ? Alors prenez vos distances
Réflexion faite…Ceux qui n’aiment pas l’Isaan ne sont tout simplement pas fabriqués pour l’Isaan. Frappés d’une sorte d’incompatibilité radicale. Comment savourer ce pays à part entière intégré au Royaume ? Un vice de forme dans l’élaboration du goût les en empêche, comme ce serait le cas d’un gastronome contrarié. A quoi bon arpenter cette terre quand on est hermétique au raffinement ? La grâce est en effet un contre point permanent à la rugosité promise par le destin. Ruralité oblige. Découvrir l’Isaan, c’est faire le plein de mille fragances et accueillir en soi une profusion inépuisable de saveurs. C’est entrer en connivence avec ces étendues qui semblent caracoler au-delà de la ligne d’horizon. Rêveries infinies quand on est porté par la puissance des éléments. Un lever de soleil est porteur d’une vitalité démesurée en Isaan. Peut-on rester inaccessible à la pétulance d’une nature encore indomptée ? C’est pourtant ce que réussissent à accomplir les Farang grognons qui dézinguent ce quadrilatère à longueur de colonnes numériques. Ils grommellent. Griffent. Vitupèrent. Et se révèlent au bout du compte inaptes à en humer la beauté. Ineptes à en capter la magie. Ne peuvent s’approprier les vertus d’une contrée aussi lancinante qu’une scansion peut être obsédante. Constat rédhibitoire, ils sont allergiques à la poésie de ces provinces profondément bucoliques. Les individus de l’aigreur ratiocinent. Ils ont donc raison de déserter le Nord-Est. Ménageant ainsi place nette pour les véritables gourmets d’un périmètre géographique en tous points original. Au plan mental et plus généralement de la psyché, on est ici dans un monde en quasi-autarcie. Pourvu d’une logique interne. Que voit-on ? Une vie rude mais joyeuse. A chaque instant au plus près de la vérité des hommes. Un terroir qui déclenche en tout visiteur des sensations brutes. Non pas mal équarries. Plutôt chimiquement pures. Rustique allant de pair avec authentique. Manière de désigner une forme d’émulsion esthétique à nulle autre comparable. Rien n’est frelaté. Le sensoriel rejoint l’essentiel dans le ravissement que procure une libre déambulation. A cette fin, mieux vaut opter pour les périples simultanément chaotiques et indolents en songthaew. De part et d’autre, défilent les atours d’une civilisation forgée par les siècles. Immédiatement identifiables. A la confluence des apports siamois, laotiens et khmers.
Quant à l’étranger, pour peu qu’il fasse preuve de persévérance, une lente mais pénétrante imprégnation culturelle le gagnera. Une alchimie très élaborée. En même temps que les rizières livrent leur récolte, ses efforts d’adaptation seront récompensés.
Un jour, nous aurons tous en nous quelque chose de l’Isaan.
Patrick Chesneau
Quel texte somptueux qui esquisse en ombres siamoises toute la poésie et la rusticité raffinée de ces contrées réservées aux initiés. Je ne connais pas encore l’Issan, j’envisage de l’effeuiller, de m’y enfouir peut-être, ce tableau en tout cas m’en donne furieusement l’envie.
Merci l’artiste.
Avant la pandémie j’ai eu le bonheur de visiter l’Issan en tant que touriste (non résident). Il y a énormément de choses à découvrir. Le seul problème est qu’il est difficile d’organiser dans cette région un vrai circuit car rares sont les agences (voire aucune) qui proposent une découverte approfondie de cette région. Heureusement j’ai eu connaissance d’un français, Christophe, qui m’a aidé à organiser ce circuit. Encore merci à lui.
J’adore la région Issan j’ai bcp voyagé dans cette région Ubon, det udon, khon Kaen chayapum ban taen, ban nong hang, Roi Et. Je retourne sur Roi Et en Septembre.
N’hésitez pas à m’informer
🙏Eric
Patrick tu as certainement quelque chose de l’Isaan je peux le dire !! Je viendrai te voir pour sûr !! Tu es le vrai farangoche !!
Pat Bart