On peut vivre normalement avec une insuffisance respiratoire (BPCO, emphysème sévère, apnée du sommeil, etc.) en Thaïlande, surtout à Sukhothaï, même à 78 ans. Heureusement, les démarches administratives, locales ou avec la France, sont de plus en plus dématérialisées. Ce n’était pas le cas il y a cinq ans, où se rendre à l’Ambassade de France dans un Bangkok hyper pollué devenait vite un enfer. Je l’ai appris à mes dépens. Je vous invite à relire cette Chronique en vers, qui est hélas toujours d’actualité … (19 strophes, Alexandrins, rimes embrassées).
Je me suis fait piéger, mais il était trop tard.
Dans le métro aérien, les zombies masqués
Étaient plus nombreux que d’habitude, plongés
Dans leurs Smartphones ou endormis, le regard
Absent. A six heures du matin, le métro
Déjà bondé de multitudes laborieuses,
De masques faciaux divers aux sens en veilleuse,
Ressemblait à un film-catastrophe rétro.
A Bangkok, les pics de pollution se suivent,
Fermant écoles et remplissant les hôpitaux.
Je n’aurais pas dû sortir. Ma BPCO,
-Bronchopneumopathie Chronique Obstructive-,
Me faisait déjà des misères au naturel.
Atteindre le métro fut déjà éprouvant,
Entre embouteillages et chaos ambiant.
J’avais le souffle court et le cœur en rappel.
Des jolies frimousses, nez et bouches cachés
Par les masques, on n’apercevait que les yeux
Sombres et inexpressifs que des cils soyeux
Mettaient quelquefois en valeur ; nobles beautés
Qui me faisaient oublier mes petits malheurs.
Tout en bas, les milliers de fourmis avançaient
Masquées entre gratte-ciel de verre teinté,
Restaurants de rue, marchés et petits vendeurs,
Insensibles au vacarme assourdissant.
Le long des rues et des avenues saturées.
De grands écrans publicitaires projetaient
Du rêve, pour un monde meilleur et clinquant.
Depuis la station Saphan Taksin, un taxi
Me déposa à l’hôtel Oriental. La crise
Attaqua ici. Elle me prit par traîtrise,
Au dépourvue, mon petit-déjeuner fini.
Le passage d’un univers climatisé,
-Métro, taxis, hôtel-, au climat étouffant
De la rue, et l’inverse, fut l’élément
Déterminant pour une crise annoncée…
Je tentai de gagner le Consulat français
À pieds, car mitoyen de l’hôtel. Ses portes
N’ouvraient qu’à huit heures et demie. Elles comportent
Un double sas en vitres blindées, -sécurité
Oblige-, un joli portique et un scanner.
Je devais renouveler mon vieux passeport,
Mon sésame, mon inestimable trésor,
Palladium de liberté dans mon univers.
Je me trainai sous une chaleur tropicale
Pour reprendre mon souffle, court et saccadé,
En évitant que mon ardent cœur fatigué
Souffre d’une tachycardie sinusale.
La démarche fut épique et mon calvaire
Longuet. En dépit de quelques malentendus
Administratifs, mon affaire fut conclue
À bon escient. Ma crise devenait sévère
Au fil des minutes. Je ne me plaignais pas.
Cette fois-ci, les fonctionnaires français
Firent preuve de bienveillance et de clarté,
Avec un zeste d’empathie de bon aloi.
Les employés thaïs de l’accueil, compréhensifs,
Stoppèrent pour moi un taxi. Il était temps.
Je me couchai à l’arrière en évitant
De bouger, inhalateur en main, poussif
Mais enfin soulagé. Latent, Je ne vis pas
Bangkok, depuis l’autoroute haut perchée,
Ses immenses rocades, ses grues, ses quartiers
Riches et miséreux mêlés en contrebas.
J’arrivai en lambeaux à la maison familiale,
Dans le quartier de Ladprao. Nébuliseur,
Oxygène, corticoïdes ; la fraicheur
De la chambre climatisée, bouée vitale
Dans mon état, apaisa mon agitation.
Le lendemain matin, je repris en urgence
Un avion pour Sukhothaï, avec assistance
A la clef. C’était fini. Cette pollution
Qui martyrisait mes poumons ne sera plus
Qu’un souvenir dans mon aventureuse vie.
Je n’aurais pas dû sortir, on me l’avait dit.
Mais dans cet enfer du décor, j’ai survécu…
Michel Hermann
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