Tous les regards sont braqués sur le 3 juillet prochain, date de l’ouverture de la session parlementaire de la nouvelle législature que présidera Sa Majesté le roi Rama X. Depuis la certification de l’élection des 500 députés, dont chacun a reçu son accréditation royale, le calendrier s’est accéléré. La première étape sera d’élire un House Speaker (président de l’Assemblée Nationale) sans qu’à cet instant, on ne sache encore si le Move Forward et le Pheu Thai ont trouvé un accord sur quel candidat sera présenté par la coalition des 8 partis formée par Pita Limjaroenrat. Et aussi d’élire les deux vice-présidents. Ensuite, une session conjointe de la Chambre basse et du Sénat devra se réunir dans les dix jours pour élire le Premier ministre. L’auteur de ces lignes a déjà relaté dans ces colonnes les diverses entraves judiciaires ou politiques édifiées sur la route de Pita pour devenir chef du futur gouvernement. Il est impossible d’affirmer aujourd’hui que le vainqueur des élections du 14 mai dernier deviendra Premier ministre, dans la continuité démocratique des urnes. Les observateurs que nous sommes sont tous logés à la même enseigne et se demandent si la coalition majoritaire annoncée pourra gouverner ou si une coalition alternative, qui ne respecterait pas le choix du vote des Thaïlandais, pourrait constitutionnellement arriver au pouvoir par le biais des voix des sénateurs, nommés par la junte, faut-il le rappeler. Empêcher Pita de devenir Premier ministre serait un acte anti-démocratique fort en ce sens que les Thaïlandais y verraient un vol des élections du 14 mai. Quelles pourraient en être les conséquences ?
Bloquer Pita au nom de l’article 112 du code pénal pourrait porter atteinte à la monarchie
Chacun sait que la motivation du Move Forward de porter au débat parlementaire une potentielle réforme du délit de lèse-majesté est un sujet de divergences au sein des partis de la coalition, à tel point que celle-ci ne figure pas dans la plateforme gouvernementale. En plaidant néanmoins pour un débat, y compris avec une très forte probabilité de rejet, Pita et le Move Forward veulent rassurer la jeunesse qui a voté pour le parti et qui, depuis l’été 2020, a organisé de multiples rassemblements pro-démocratie avec de fortes revendications sur l’évolution de la monarchie thaïlandaise. Problème : pour tous les autres partis, l’article 112 en l’état actuel ne semble aucunement négociable, question de fidélité à la monarchie, un des trois piliers du royaume. Le risque d’un blocage de Pita et du Move Forward ne peut donc pas être exclu.
Le ressentiment et la frustration des électeurs thaïlandais ayant voté pour l’opposition et contre les partis militaro-royalistes pourrait-il alors aboutir à une nouvelle crise politique ? Arnon Nampa, un des leaders des manifestations de rue de 2020 semble préparer les militants à cette éventualité en cas de « trahison du peuple ». Les autorités assurant le maintien de l’ordre s’y préparent. Le Bangkok Post, dans son édition de ce dimanche, écrit que « les agences de sécurité craignent que des manifestations n’éclatent dans tout le pays si Pita ne remporte pas suffisamment de voix pour devenir Premier ministre. Et tous les voyages à l’étranger des chefs militaires et de la police ont été annulés avant le vote du prochain Premier Ministre thaïlandais afin qu’ils puissent observer la situation ».
Paradoxalement, l’image de la monarchie thaïlandaise se retrouverait donc affectée aussi par ceux qui la défendent. Ne pas évoquer l’article 112 dans l’enceinte du parlement pourrait en effet déclencher de nouvelles manifestations populaires, en particulier du côté de la jeunesse. Un risque à méditer alors que le risque d’une nouvelle crise politique majeure post-électorale ne peut pas être exclu.
Philippe Bergues