Une chronique touristique lucide et aiguisée de Patrick Chesneau.
La mer à perte de vue. Jusqu’aux confins du monde. Des iles par myriades sur l’immensité turquoise. Des archipels comme autant de reproductions en miniature du jardin d’eden. A l’infini, des plages d’une candeur virginale. Le rivage ourlé tel un costume en taffetas apprêté pour un jour de grand bal. Sable miroir. Soleil impérial à l’origine de tant d’incendies de la rétine. Dans cette région de l’indolence triomphante et du farniente, la réverbération est insoutenable au moment du zénith. Les prunelles se dilatent. Regards plissés pour résister à l’air brûlant. Les rochers d’ordinaire si impavides semblent eux aussi se liquéfier. À peine distingue-t’on des formes alanguies qui chevauchent cette ligne de crête appelée horizon. Par pur goût de la poésie. Sans doute un relief lointain. Semblable à un dôme géant, le ciel bleu azur s’étire au-dessus des vacanciers gorgés d’iode. Seulement strié en altitude par le vol de grands oiseaux bourlingueurs. Leur robe blanche est une promesse d’innocence. Partout, l’émerveillement jaillit. S’empare des paysages. Accapare les selfies qui, par cataractes ininterrompues, iront peupler les réseaux dits sociaux. Des rangées de cocotiers chaloupent au gré des alizés. Débonnaires, ils étirent leurs troncs rugueux pour apercevoir les poissons qui zigzaguent en bancs multicolores.
Étranges ballets aquatiques. Sur le sable humide, les tortues recroquevillées sous leur carapace viennent témoigner de leur âge antédiluvien. Irrépressible instinct de reproduction. Sous la lumière crue de la lune, les périodes de ponte sont des moments de magie originelle. Comme au premier matin de l’histoire du vivant. Puis, la cohue en s’extrayant du sable. Des centaines de petites créatures palmées entament une course éperdue vers l’océan. Très vite avalés par les premiers rouleaux, leurs battements de nageoire sont un réflexe immuable hérité de la nuit des temps. Soudain, les vagues se referment sur ces légions désordonnées et incroyablement têtues. Commence alors la plus fantastique des odyssées marines. En trente six mois de pandémie marqués par l’extinction du tourisme de masse, la faune aquatique s’est formidablement régénérée. Un exemple illustre ce regain de vitalité : A Koh Phi Phi, la mythique Maya Bay, immortalisée par le film The Beach avec Leonardo Di Caprio a retrouvé ses requins. Aujourd’hui ils abondent. Des requins marteaux. Ils enfoncent le clou : “Respectez notre environnement” clament-ils en virevoltant devant les aréopages de vacanciers ébahis. Le lagon est leur maison.
Non à un mauvais remake des dents de l’amer
Ce faisant, ils affirment un engagement : ne plus permettre que leur baie sublime soit à nouveau défigurée par un déferlement incontrôlable d’excursionnistes en goguette. Non à un mauvais remake des dents de l’amer, Et pour cause : Les responsables du secteur du tourisme Thaïlandais affichent un bel optimisme. Gros titre à la une du journal Bangkok Post en ce début juillet 2023 : 25 millions de touristes sont attendus sur l’ensemble de l’année. Dont 5 millions de Chinois. Le retour aux 40 millions de visiteurs par an n’est plus une perspective chimérique. Dans cette frénésie renaissante, l’ex Royaume de Siam dispose d’une carte maîtresse. Un atout béni de Bouddha. Le grand sud. Les splendeurs des plages et des iles. Au repos forcé pendant une trop longue parenthèse mais incontestablement, la partie méridionale du pays retrouve le sourire. C’est aujourd’hui, la destination la plus prisée des visiteurs accourus du monde entier. Place à la carte postale.
Mais à quel prix ? En tous points de la frange littorale. Le trio Koh Chang, Koh Mak, Koh Kood à quelques encâblures de la frontière cambodgienne, le prouve. Fonds marins revitalisés. Démonstration identique du côté d’un triptyque de rêve : Koh Samui, Koh Phangan, Koh Tao (l’ile tortue) et la réserve marine de Ang Thong. Enserrés dans un lacis de chenaux, 42 ilots couronnés par une végétation à la surprenante densité. Le regard dodeline en jouant à saute moutons sur ces reliefs enjoués. Côté Golfe du Siam, l’accumulation de beauté semble inépuisable. Plages finalement anoblies par une si longue jachère, biotopes marins magnifiés au sortir d’une cure de réjuvénation. Cette revitalisation à grande échelle se vérifie également de haut en bas de la façade Andaman. Arpenter le littoral de Khao Lak jusqu’à Trang, limitrophe de la Malaisie relève du parcours initiatique. Il faut apprendre à tutoyer la grâce. Ça et là, des écrins énamourés. Halte inévitable à Phuket avant de filer contempler Railay et les murailles vertigineuses de Krabi. Puis approcher les rochers géants, disséminés à la surface de l’océan. Des protubérances surgies des profondeurs en si grand nombre qu’on ne sait plus à quel essaim se vouer. Ce sont les mastodontes qui festonnent Phang Nga Bay. Panorama aussi stupéfiant que la célébrissime baie d’Halong au Vietnam. Tomber en pâmoison devant Koh Tapu, James Bond island en langage glamour. Là où le célèbre agent 007, alors en mission secrète au service de sa Majesté a dégainé dans ” L’homme au pistolet d’or “. En guise de parures, des bijoux en sautoir resplendissent comme pour se prémunir des effusions de globe-trotteurs trop inconvenants. Comment ingurgiter la profusion des noms qui composent cette litanie des émotions esthétiques ? Similan, Surin les archipels qui flirtent avec les eaux du Myanmar tout proche, Koh Yao Yai et sa petite soeur Koh Yao Noi. La sublime Koh Lipe. Koh Jum, particulièrement hospitalière. A quelques verstes, Koh Lanta n’est pas en reste. Sur des centaines de milles nautiques, tant d’iles, de plages, de fonds coralliens propices au snorkeling et à la plongée émerveillée. Litanie obsédante. Atolls et madrépores. Un camaïeu de couleurs crûes dévore l’espace.
Un iris flamboyant
Soudain rehaussé par l’irruption de Koh Poda. Un iris flamboyant propulsé hors des flots. C’est un bloc rocheux jeté comme un défi, qui toise ses visiteurs du haut de falaises abruptes comme un vertige abyssal. Au pied de ce donjon, une plage étincelante où n’importe quel château de sable s’érige en construction mandarinale. La mer prend l’allure d’un jardin maritime aux tons changeants en fonction des courants. Par paliers concentriques, la couronne émeraude qui enserre l’ilot comme un diadème accède au bleu indigo du grand large.
Les hommes, eux aussi, sont partie intégrante de ce tableau enchanteur. Juchés sur une escouade de chalutiers et de barques à la proue surmontée d’oriflammes. Le drapeau thaï claque au vent quand ils cinglent vers les houles chahutées de l’océan indien. Ces flottes assurent la pêche halieutique et nourrissent la planète en crabe et crevettes au goût raffiné. Ces marins au visage buriné par les embruns règnent aussi en maîtres sur une véritable armada d’embarcations traditionnelles. Sous leur férule, elles ondulent. Dans leurs flancs, des tonnes de poissons et de “plaa meuk”, ces calamars qui enchantent les palais citadins boulimiques de “sea food”. La mer est l’alliée indéfectible de la gastronomie thaïe. Pour les pêcheurs, un travail harassant dans un décor pourtant idyllique. Nichés sur l’écume, des myriades d’oiseaux migrateurs. Ils prennent appui sur les lames de fond qui affleurent en jacassant sans permission de décibels. Les abords immédiats de la côte sont le repaire des eaux cristallines. Mais, sitôt happées par le grand large, les vagues endossent leur plus bel habit, de couleur obsidienne, et entament de longs périples vers des continents insoupçonnés. Des mondes immuables se réinventent sans cesse. La Thaïlande est un royaume liquide. Un joyau brut océanique.
Patrick Chesneau