C’est une notion devenue en vogue à la faveur de la guerre en Ukraine. On parle désormais couramment du « sud global » pour désigner les pays émergents en désaccord avec les positions occidentales sur le conflit. Mais la solidarité entre pays du sud est-elle une réalité ? Notre chroniqueur Ioan Voicu s’interroge à la faveur d’une récente réunion du groupe des 77 aux cotés de la Chine.
Par Ioan Voicu
Après la fin de la guerre froide, la diplomatie multilatérale s’est efforcée de convaincre la communauté mondiale que le devoir de solidarité est une condition sine qua non d’une mondialisation fondée sur la foi humaine. Pourtant, sur une planète caractérisée par des crises globales, des vulnérabilités des perplexités et des discontinuités globales, ce message humaniste ne pouvait être accepté sur une base consensuelle. De plus, comme l’a récemment rappelé l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Ban-Ki Moon, “la grande tragédie de la pandémie de COVID-19 a été l’échec du multilatéralisme et l’absence de solidarité entre le Nord et le Sud”.
Cette tragédie devient évidente si nous considérons la coopération mondiale comme un processus dans lequel la solidarité est censée fonctionner comme un organe vital. Si la valeur de solidarité est absente (ou insuffisante), la coopération mondiale souffre. Sachant cela, le Groupe des 77 et la Chine (135 pays) ont fortement défendu l’idée que la coopération Sud-Sud est une manifestation de solidarité entre les peuples et les pays du Sud qui contribue à leur bien-être national, à leur autonomie nationale et collective et à la réalisation des objectifs de développement convenus au niveau international, y compris les objectifs de développement durable des Nations Unies.
Les membres du Groupe ont clairement affirmé que la coopération Sud-Sud entre les pays en développement ne se substitue pas à la coopération Nord-Sud avec les pays industrialisés développés, mais qu’elle la complète.
Dans le cadre du système des Nations Unies, il existe un Comité de haut niveau sur la coopération Sud-Sud dont le mandat est de soutenir la coopération Sud-Sud et triangulaire afin de renforcer la solidarité humaine et d’accélérer la mise en œuvre de l’Agenda 2030 contenant les objectifs de développement durable dans le monde. Ce Comité de haut niveau s’est réuni à New York en 30 mai- 2 juin 2023. Cet événement diplomatique a été ignoré par les médias. Heureusement, la documentation de sa session sera examinée lors de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations Unies prévue pour commencer le 5 septembre.
Dans une décision spéciale, le Comité de haut niveau a réaffirmé le ferme engagement mondial à relever le défi du financement et de la création d’un environnement propice à tous les niveaux pour le développement durable dans un esprit de partenariat et de solidarité mondiale.
Dans la même décision, inspirée par le Groupe des 77 et la Chine, le Comité a réaffirmé que la coopération Sud-Sud est un élément important de la coopération internationale pour le développement en tant que complément et non substitut de la coopération Nord-Sud, et a reconnu son intérêt accru importance, histoire et particularités différentes, soulignant que la coopération Sud-Sud doit être considérée comme une expression de solidarité entre les peuples et les pays du Sud, fondée sur leurs expériences et objectifs communs, et a réitéré que elle doit continuer à être guidée par les principes de respect de la souveraineté nationale, de propriété et d’indépendance nationales, d’égalité, de non-conditionnalité, de non-ingérence dans les affaires intérieures et d’avantage mutuel.
Délibérations
Au cours de la session du Comité de haut niveau, les délégués nationaux ont informé sur des nombreuses actions et initiatives entreprises par le système des Nations Unies pour le développement dans le cadre d’une recherche continue pour élargir la solidarité multilatérale par le biais de la coopération Sud-Sud et triangulaire à l’appui de l’Agenda 2030. Nous résumerons de manière sélective certaines idées exprimées au cours de la session en mettant l’accent sur la valeur de la solidarité.
Si par le passé la pandémie de COVID-19 était au premier plan des préoccupations, en 2023 le Comité a souligné l’importance de l’interdépendance, de la solidarité, du multilatéralisme et de l’équité pour faire face aux futures pandémies potentielles, mais aussi à d’autres crises, notamment la crise du changement climatique, les crises économiques et les inégalités entre les sexes et les défis posés par la guerre en Ukraine et d’autres conflits qui ont provoqué l’inflation, les pénuries alimentaires et énergétiques, la dette et une crise de l’immigration.
Les conséquences de telles crises ont souligné le rôle important que la coopération Sud-Sud peut jouer pour faire face à la détérioration des conditions de vie de millions de personnes dans les pays du Sud. Selon l’indice de pauvreté multidimensionnelle de 2022, 1,2 milliard de personnes dans 111 pays en développement vivent dans une pauvreté multidimensionnelle aiguë et la moitié d’entre elles sont des enfants de moins de 18 ans.
Entre autres questions, une attention supplémentaire est également nécessaire pour mieux identifier les types de financement et d’appui institutionnel nécessaires pour relever les défis du développement au niveau de chaque pays qui peuvent être mieux soutenus par les gouvernements et le secteur privé par le biais de la coopération Sud-Sud et triangulaire.
Dans toutes les situations, les défis multiformes auxquels sont confrontés les pays en développement continueront d’exiger un engagement plus fort et plus visible en faveur du multilatéralisme et de la solidarité afin d’aider les pays et les communautés les moins capables de s’aider eux-mêmes.
Au niveau multilatéral, les entités des Nations Unies devraient exploiter davantage les avantages offerts par la coopération Sud-Sud et triangulaire parallèlement aux formes plus traditionnelles de coopération au développement, notamment en améliorant l’alignement pour faire face aux conditions locales sur la base des similitudes entre pays ou entre régions. Concrètement, les défis actuels auxquels sont confrontés les pays du Sud exigent des actions concertées, audacieuses et mesurables que les États membres devraient articuler lors des prochains sommets mondiaux en vue de la réalisation de l’Agenda 2030 pour le développement durable.
Les crises mondiales sans précédent qui se déroulent actuellement, huit ans après l’adoption du Programme de développement durable à l’horizon 2030, démontrent le fait que des décennies de progrès en matière de développement ont été sapés et, dans certains cas, annulés.
Dans des circonstances aussi graves, la coopération internationale et la solidarité mondiale n’ont jamais été aussi nécessaires que maintenant pour relever les défis existants et remettre les pays en développement sur la bonne voie pour atteindre l’Agenda 2030 et ses objectifs de développement durable. Le risque projeté de ne pas atteindre les objectifs d’ici 2030 a été traité comme une préoccupation écrasante parmi les délégations, motivant la plupart des propositions correctives qu’elles ont avancées.
La délégation de la Thaïlande a fait part de son étroite collaboration avec les Nations Unies, en particulier avec le Bureau des Nations Unies pour la coopération Sud-Sud (UNOSSC) pour faire progresser la coopération Sud-Sud et triangulaire. L’étroite relation de travail a été reflétée et mise en évidence par la co-organisation de la 11e Exposition mondiale sur le développement Sud-Sud (GSSD Expo) entre la Thaïlande, l’UNOSSC et la CESAP, à Bangkok, l’année dernière en septembre.
Cette EXPO GSSD a réuni plus de cinq mille participants des États membres et des partenaires de développement du monde entier pour partager leurs meilleures pratiques, nouvelles initiatives et solutions innovantes pour relever les défis du développement.
Plus tôt cette année, le 27 mars, la Thaïlande et l’équipe de pays des Nations Unies ont annoncé le lancement de trois projets de développement de coopération Sud-Sud et triangulaire sur l’agriculture biologique ; soins de santé maternelle; obstétrique; et la grossesse chez les adolescentes, ainsi que la diplomatie mondiale de la santé. Ces projets impliquent des partenaires au développement du système des Nations Unies, des pays du Sud en Asie-Pacifique et de l’Union européenne – qualifiée diplomatiquement de « notre partenaire triangulaire de longue date ».
Les Philippines ont déclaré qu’elles restaient “résolument solidaires des pays du Sud, vers un avenir inclusif, durable et résilient”.
D’autres délégations ont fait valoir que, plus qu’à tout autre moment, les pays avaient actuellement besoin d’une coopération internationale efficace et d’une véritable solidarité mondiale qui soit au cœur des dimensions économiques, sociales et environnementales de la coopération Sud-Sud. En conséquence, ces délégations ont souscrit aux recommandations du Secrétaire général des Nations Unies appelant à repenser d’urgence la manière d’intensifier la coopération Sud-Sud et triangulaire afin de renforcer les capacités des pays en développement à mettre en œuvre le Programme 2030.
Les délégations des pays arabes ont indiqué que la Banque islamique de développement jouait un rôle de catalyseur et renforçait la solidarité collaborative entre ses pays membres grâce à son mécanisme de coopération Sud-Sud appelé «lien inverse»( reverse linkage), qu’elle utilisait pour faciliter le partage des connaissances, de l’expertise et des ressources entre ses pays membres.
Il y a également eu un appel général à une plus grande solidarité pour lutter contre les inégalités, la pauvreté, la faim et d’autres défis en raison de la baisse des performances des pays sur l’indice de développement humain en 2021 et 2022 après 30 ans d’augmentations continues. Le monde a donc besoin d’un financement accru pour le développement durable afin d’atteindre les objectifs de développement par la solidarité, pour assurer le bien-être de tous.
Dans le même temps, il était nécessaire d’éliminer l’élargissement des fractures numériques pour atteindre les objectifs de développement durable. Il était également nécessaire de tirer parti des innovations et de la jeunesse des pays du Sud, ainsi que de la technologie et d’autres solutions locales en tant qu’élément essentiel des solutions à une nouvelle ère de coopération internationale pour le développement.
Conclusion
L’ensemble de la session du Comité de haut niveau sur la coopération Sud-Sud a souligné la nécessité de renforcer les mécanismes de coopération, de promouvoir les biens publics, d’assurer la parité hommes-femmes, de partager les bonnes pratiques et de renforcer les mécanismes de financement fondés sur la solidarité. Des propositions spécifiques comprenaient l’application de la coopération Sud-Sud pour favoriser les échanges de dette contre le climat qui peuvent libérer des ressources financières afin que les gouvernements puissent améliorer la résilience nationale sans abandonner d’autres priorités de développement.
Selon les rapports pertinents de la session, les initiatives interrégionales Sud-Sud soutenues par le PNUD et le Bureau des Nations Unies pour la coopération Sud-Sud « sont devenues la première expression de la solidarité entre les pays en développement ». Ce n’est pas assez. Il est urgent que les autorités nationales et régionales renforcent les initiatives existantes grâce à la mise en commun des ressources humaines et financières et à la mise en œuvre collaborative des accords et programmes connexes.
Espérons que la 78e session de l’Assemblée générale des Nations Unies stimulera ce processus guidé par un esprit de solidarité renouvelé.Espérons que la 78e session de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) stimulera ce processus guidé par un esprit de solidarité renouvelé. Le cadre organisationnel et procédural est approprié à cet effet puisque le thème officiel de la 78e session de l’AGNU sera « Reconstruire la confiance et raviver la solidarité mondiale : Accélérer l’action sur l’Agenda 2030 et ses objectifs de développement durable vers la paix, la prospérité, le progrès et la durabilité pour tous ». Ce thème doit générer des conclusions novatrices et des décisions orientées vers l’action à mettre en œuvre par les 193 membres de l’organisation mondiale.
Ioan Voicu
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