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THAÏLANDE – ESSAI : Vitit Muthabhorn, un juriste Thaïlandais éclairé 

Date de publication : 20/08/2023
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Vitit Muntabhorn

 

Notre ami et chroniqueur Ioan Voicu a choisi cette semaine de lire pour nous le dernier livre (an anglais) du juriste Thaïlandais Vitit Muntabhorn. Son sujet ? Les valeurs asiatiques…

 

Connaître et promouvoir les valeurs asiatiques

 

Par Ioan Voicu

 

C’est un réel privilège de lire pour les lecteurs de Gavroche le livre «Challenges of International Law in the Asian Region» de Vitit Muntarbhorn , professeur émérite à l’Université de Chulalongkorn , autrefois rapporteur spécial de l’ONU, expert indépendant et membre des commissions d’enquête de l’ONU sur droits humains.

 

Il est actuellement rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Cambodge, auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève (2021-). Il est récipiendaire du Prix UNESCO de l’éducation aux droits de l’homme 2004 et a reçu le titre de Chevalier (KBE) en 2018. Son dernier livre est celui mentionné ci-dessus.



Le livre en question a été publié par Springer, compte 238 pages et a été imprimé à Singapour.

 

Afin d’offrir une vision panoramique de cet ouvrage, nous énumérerons les sept chapitres de l’ouvrage intitulés comme suit : Discours et Sources ; Souveraineté et responsabilité ; Ambiguïté historique et territorialité ; Normativité et Compétitivité Maritime ; Sorts et droits de l’homme ; Libéralisation et interdiction des échanges ; Régionalisme et éclectisme.L’ouvrage comporte également sept annexes doctrinales et documentaires, une bibliographie complète et un index détaillé très utile.

 

Ce livre est né de l’expérience personnelle de l’auteur dans l’étude du droit international à ses débuts et sa croissance progressive en tant qu’enseignant, écrivain et apprenant par hasard en Thaïlande et dans la région asiatique qui l’entoure et dans le monde au-delà.

 

La substance riche et complexe du livre ne permettra pas une large présentation de son contenu dans l’espace limité de ces pages. Par conséquent, nous nous concentrerons sur les élaborations originales sur le thème des valeurs asiatiques expressis verbis, tout en nous réservant la possibilité de traiter d’autres sujets intéressants, comme le présent et l’avenir de l’ASEAN, à d’autres occasions.

 

Explorer les valeurs asiatiques

 

Les premières questions pertinentes posées par l’auteur dans son livre sont : Qu’en est-il des valeurs asiatiques ? Quels sont les principaux défis en matière de droits de l’homme auxquels la région asiatique est confrontée aujourd’hui ? (p.84)

 

Pour répondre à ces questions, l’auteur doit d’abord analyser de manière critique le contexte spécifique. Selon lui, « certains gouvernements moins que démocratiques expriment encore diverses particularités, comme les « valeurs asiatiques » ci-dessous, qui, selon eux, devraient prévaloir sur les normes internationales. Cela fait le jeu de ceux qui souhaitent limiter les droits des individus, notamment le droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique, face à l’État tout-puissant. Cela est aggravé par des notions expansives de sécurité nationale et de moralité publique qui sont instrumentalisées pour freiner la dissidence au nom de l’intérêt collectif, parfois sous le couvert de lois et de politiques antiterroristes trop larges. La xénophobie et les discours de haine font leur apparition dans plusieurs pays, alors que le populisme et le nationalisme sont utilisés pour soutenir divers régimes, en particulier contre les minorités. Inutile de dire qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un phénomène asiatique, mais qu’il apparaît également dans d’autres parties du monde, y compris dans certains pays développés et démocratiques”.

 

L’auteur est méticuleux et rappelle que « Depuis les années 1990, on a beaucoup discuté de l’affirmation selon laquelle l’Asie aurait un ensemble de valeurs différentes des normes universelles. Poussées plus loin, différentes des normes « occidentales ». Comme on le prétend, ces valeurs incluent le respect de l’autorité, l’accent mis sur les valeurs familiales en tant que collectivité et le grondement asiatique d’être plus diligent que d’autres régions, en particulier à l’apogée du début des années 1990, lorsque la région se portait très bien économiquement ».

 

Dans ce contexte, l’auteur n’ignore pas les réalités de la zone asiatique. Il prévient que « sous ce couvert de « valeurs asiatiques », il y avait/il y a intrinsèquement un élément d’ethnocentrisme ou de relativisme culturel, et de méfiance à l’égard des droits civils et politiques, tout en soulignant que les droits économiques, sociaux et culturels sont la priorité de la région. Ces revendications ont diminué dans une certaine mesure plus tard dans les années 1990, en raison du krach économique dans la région. Périodiquement, depuis lors, elles ont émergé sous diverses formes, se transformant parfois en d’autres métaphores telles que les « valeurs de l’ASEAN », désormais associées à une approche étroite concernant ce qui constitue la « famille » (l’approche étroite exclut la diversité des sexes) et plus récemment la faire pression pour une approche des droits de l’homme basée sur la coopération plutôt que sur la défense des droits et la responsabilité ».(p.88)

 

Le professeur Vitit fait également référence avec force à la question “cliché” des “valeurs asiatiques” et de leur relation avec les droits de l’homme et leur universalité”.

 

Ce faisant, il explique que « certains gouvernements asiatiques ont tendance à prétendre que diverses pratiques – des « particularités » – trouvées dans cette région doivent être mises en évidence et qu’en cas de conflit avec les normes internationales, ces particularités devraient prévaloir. Comme on le prétend, les particularités incluent la diligence asiatique et le respect de l’autorité. Au cœur du problème se trouve le fait que certains gouvernements asiatiques ne sont pas à l’aise avec les droits civils et politiques, tels que la liberté d’expression et d’association, qui sont au cœur de la démocratie, même s’ils sont prêts à défendre les droits économiques, sociaux et culturels, tels que le droit à l’alimentation, avec enthousiasme ».



La conclusion formulée par l’auteur mérite de rejoindre le consensus des lecteurs asiatiques. Il écrit : « Du point de vue des droits humains internationaux, si les valeurs qui enrichissent les normes universelles sont les bienvenues, celles qui sont inférieures à la moyenne doivent être réformées et portées aux normes internationales minimales de base. En effet, les pays asiatiques devraient être fiers du fait que le pays avec la plus grande démocratie (numériquement) se trouve en Asie et que la plus grande population islamique du monde dans une démocratie se trouve également en Asie. La non-violence empreinte de l’esprit gandhien est aussi une valeur positive que l’Asie offre au monde. Pourtant, certaines des principales non-démocraties du monde, y compris les plus totalitaires et les plus violentes, se trouvent visiblement en Asie ». (p.167)

 

Les références positives concernent l’Inde et l’Indonésie, les lecteurs l’ont parfaitement compris.

 

Traitant des valeurs universelles, l’auteur met l’accent sur la solidarité et la responsabilité. Selon lui, « il existe un pont pour une responsabilité partagée dans la lutte contre les crises sanitaires et autres. Et cette mutualité est celle qui ouvre la porte à la solidarité nationale et internationale en termes de partenariat pour le soutien et la coopération. Ces considérations sont toutes au cœur des relations internationales et du droit international, et concomitamment du système international dans lequel ils sont ancrés ». (p.157)

 

Il convient d’ajouter que l’auteur a l’excellente initiative de rappeler que « Le message du Secrétaire général de l’ONU à la mi-2020 sonnait la note suivante sur notre avenir souhaité : « Plus de 230 000 personnes dans 193 États membres et États observateurs engagés dans notre (ONU) enquête prospective UN75. Les réponses brossent un tableau clair des priorités à l’époque de la COVID-19 et au-delà : Numéro un : l’accès universel aux soins de santé. Numéro deux : renforcer la solidarité entre les peuples et les nations. Numéro trois : repenser l’économie mondiale contre les inégalités. » (p.157)

 

Conclusion

 

Les dernières pages du livre sont consacrées à l’intelligence artificielle scrutée d’un point de vue asiatique.

 

Le professeur Vitit conclut son analyse sur ce sujet par la question suivante : « L’invitation à la région asiatique, peut-être en tant que sentinelle du processus d’humanisation, est donc d’explorer, d’interconnecter et de bien partager avec ses nombreuses parties prenantes dans ce voyage d’orientation. Ceci est ancré dans la platitude selon laquelle, en fin de compte, c’est le visage/destin humain qui devrait façonner l’avenir préféré, en particulier quand et où les acteurs inanimés apparaissent comme un défi existentiel potentiel. Question : face à ces nouveaux défis du droit international, la région asiatique sera-t-elle bien préparée, persévérante et visionnaire ? » (p.162)

 

Il est du devoir de l’Asie d’offrir une réponse responsable et convaincante à cette question cruciale. La population totale de l’Asie est de 4 757 096 672 au mercredi 16 août 2023, selon les dernières estimations des Nations Unies. La population asiatique équivaut désormais à 59,22% de la population mondiale.

 

L’une des explications simples de la haute signification pratique des valeurs a été formulée par Mahatma Gandhi, leader du mouvement indépendantiste indien et pionnier de la philosophie et de la stratégie de la non-violence. Il a dit : « Vos croyances deviennent vos pensées. Vos pensées deviennent vos mots. Vos paroles deviennent vos actions. Vos actions deviennent vos habitudes. Vos habitudes deviennent vos valeurs. Vos valeurs deviennent votre destin ».

 

Dans une période où le monde est confronté à une crise évidente et dangereuse du multilatéralisme, la préparation du Sommet de l’Avenir des Nations Unies de 2024 est un processus diplomatique hautement significatif, apte à mobiliser les efforts de la communauté internationale pour promouvoir la paix et la confiance entre les nations , fondée, entre autres, sur le dialogue politique, la compréhension mutuelle et la coopération, afin de construire une paix, une solidarité et une harmonie durables.

 

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3 Commentaires

  1. Le plus petit dénominateur commun de cet ensemble de “valeurs” semble être la haine de l’occident. qui est passe de l’Ancien Régime féodal au libéralisme économique et aujourd’hui à “l”économie de marché”, dont personne ne veut, les Asiatiques non plus que les musulmans ou les chrétiens.

  2. La notion de “valeurs asiatiques” remplace historiquement la notion de “non-alignement” dans un contexte d’émergence économique des pays dits asiatiques (au moins géographiquement parlant) par vagues successives, les “dragons”puis les “tigres” puis une troisième vague ( Vietnam, Laos, Birmanie) puis, à partir de 1979, de la Chine, sans oublier le Japon et la Corée du Sud. Lee Kwan-Yew et Mahatir bin Muhammad en furent les initiateurs. Ces mutations s’inscrivent dans un contexte mondial marqué par l’implosion du “bloc soviétique” à partir de 1989, l’extension du libéralisme économique, financier, politique et idéologique, le développement d’un islamisme radical (Iran), autant de facteurs conduisant à l’essoufflement du ” non-alignement” érigé en mantra, en 1955, à Bandung. Le centre de sa rhétorique est la faiblesse de l’occident notamment du point de ses “valeurs”, origines de son déclin, de sa disparition souhaitée. A l’opposé, le discours “asiatiste” promeut des” valeurs”, réputées positives et saines, collectives, dont le cœur est la famille, institution naturelle et éternelle. La société est vue comme une méga-famille. L’individu disparait au profit de la collectivité et d’abord son pilier, la famille. L’expression individuelle est vue comme l’expression d’un suprême désordre qu’il faut conjurer. Le débat démocratique et le oppositions qu’il suscite sont un mal. Pas de droits sociaux dans ce cadre, la solidarité familiale y supplée. Le ciment social est le respect de l'”autorité” dans la famille – patriarcale – comme dans la société d’où l’appétence pour les régimes politiques autoritaires quelle qu’en soit la forme, mais le plus souvent militaires, issus ou non de coup d’État, qui, au mieux, alternent avec des gouvernements civils non démocratiques (parti unique ou compétition électorale truquée ou entravée). Ayant pour objet de surmonter les multiples divisions au sein d’une Asie loin d’être homogène , le discours et l’idéologie “asiatiste” visait, à l’origine, à aider à poser les principes d’une organisation régionale. La période actuelle marquée par des bouleversements ou tentatives semble réactiver, ressusciter l’antienne asiatiste dans la version du “sud global” opposé au même occident caractérisé par les mêmes défauts et encore plus avancé dans sa “décadence”. La Russie semble s’en faire le héraut derrière la bannière des valeurs de la famille traditionnelle, celle que bénit (avec les missiles) le patriarche-oligarque Kirill d’une eau sacrée puisée à l’orthodoxie moscoite. Une sorte de “neo-asiatisme” dont Moscou et Pékin revendiqueraient le leadership dans un attelage baroque et encore instable. D’où la fascination-rejet concernant la famille que représente le mariage entre personne de même sexe, point d’ancrage répulsif qui semble résumer, catalyser, la guerre entre “the west and the rest”. Ce point qui peut apparaitre comme un détail n’en reste pas moins la pointe d’une rhétorique qui cherche à agréger des “valeurs” (ou supposer telles) susceptibles d’appartenir à d’autres aires culturelles comme les “valeurs” confucéennes revisitées çà et là en Asie et notamment en Chine. Dans le contexte actuel il convient d’observer comment et selon quelles modalités la notion de “sud global” va s’articuler aux anciens attirails idéologiques et réussir de nouvelles greffes idéologiques. S’agissant de l’analyse de la place que l’inde pourrait jouer dans ces réarticluations, l’insistance sur le caractère démocratique des institutions, un discours obligé, il y aurait beaucoup à dire: La persistance des castes depuis des millénaires, non remises en cause par Gandhi, est à l’opposé du principe d’égalité au centre des systèmes démocratiques. Que dans ceux-ci l’égalité soit loin d’être réalisée elle est affirmée comme principe contrairement aux castes et au modèle social hiérarchique si ce n’est d’exclusion sociale, qu”elles impliquent ? Donc l’Inde caractérisée par des valeurs “sui géneris”, sous ensemble du “sud global” ? Ce qui conduit à s’interroger sur la globalité du sud (l’Amérique latine et l’Afrique sont à intégrer dans une réflexion plus complète). Il est loin d’être homogène et unifié, mais il peut être uni …pour le moment … contre … un multilatéralisme à venir ou un néo-bilatéralisme ?

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