Nous lançons régulièrement des appels à nos lecteurs pour nous adresser leurs chroniques ou points de vue. Ceux qui le font ont bien raison !
Nous publions ici la première contribution de Jean-Charles, un de nos lecteurs basé en Thaïlande. Bienvenue dans les colonnes de Gavroche ! Et n’hésitez pas à réagir !
La démocrature thaïlandaise, un portrait
Une démocrature est un régime politique dans lequel le pouvoir réel est entre les mains d’individus et de forces autoritaires illégitimes, mais qui se présente, formellement, sous l’aspect d’une démocratie. On y observe à peu près tout ce qui y ressemble : des élections ; un parlement élu, qui vote des lois ; une justice pour les faire appliquer ; une constitution soumise au peuple ; des partis politiques, et même une Presse aux multiples médias… Sauf qu’il ne s’agit que d’un théâtre d’ombres. Destiné à présenter à la communauté internationale une image acceptable.
Dans la réalité, les dés sont soigneusement pipés, et l’ensemble rigoureusement construit, pour que les bénéfices de ce pouvoir aillent à des intérêts privés aussi occultes que puissants. Aux dépens du plus grand nombre ; et aux dépens du pays.
Les électeurs thaïlandais se sont exprimés massivement le 14 Mai : 75,7% de participants, ont voulu faire entendre, haut et fort, une volonté populaire. Et plus de 25 millions d’entre-eux, 66,6% des votants au moins, affirmer leur exigence de changement démocratique. Ceux qui croyaient qu’en Thaïlande les urnes avaient un pouvoir, supposaient que le pays était une démocratie. Or, c’est une démocrature, dans laquelle le vrai pouvoir est ailleurs.
Une oligarchie sino-thaie
Depuis au moins les années 50, le pouvoir économique est aux mains d’une oligarchie sino-thaïe qui l’exerce de manière monopolistique. En 2018, le Global Wealth Report classait la Thaïlande comme le pays le plus inégalitaire au monde, dans lequel les 1 % les plus fortunés détenaient 66,9 % de la richesse totale du pays. Dans le même temps, 50% des Thaïs les plus pauvres (25 millions de personnes) se partageaient 1,7% de la richesse du pays, tandis que 70% (35 millions), la classe moyenne urbaine, en contrôlaient seulement 5%.
Ce pouvoir oligarchique, pour parer à toute révolte, dispose d’un bras armé : les militaires. Dont un grand nombre des cadres supérieurs sont également d’origine sino-thaïe. Comme dans tous les régimes autoritaires, l’armée, consciente d’être indispensable à l’ordre imposé, a acquis une certaine autonomie. Elle s’est constituée en écosystème, avec un train de vie et des commandes de matériel de prestige qui excèdent de loin ses besoins opérationnels. Elle constitue donc, à son tour, un pouvoir, et une source improductive de captation des ressources, aux dépens des besoins sociaux. Mais elle rend fidèlement à l’oligarchie le service que l’on attend d’elle, soit en réprimant les révoltes dans le sang, comme en 1973 et 2010, soit en pratiquant un coup d’État, chaque fois que le contrôle politique pourrait échapper au système, ou contrarier ses intérêts. Une vingtaine depuis 1932, dont 12 ont réussi. Et en assumant directement le pouvoir politique.
Une image internationale abimée
Cette situation a cependant un inconvénient. L’image internationale du pays en est abîmée, elle suscite des réactions négatives de la part des démocraties, et des réticences de la part des investisseurs étrangers. Au sein de l’ASEAN, ou des Nations-Unies, il faut donc se donner une façade de respectabilité. Qui peut aussi constituer une soupape de sécurité domestique, en désamorçant de possibles explosions populaires.
Le pays est donc doté d’une constitution, entièrement rédigée par la junte après le dernier coup d’État. Le parlement, il en faut un, s’il est élu, est corseté par un Sénat entièrement désigné par les militaires. Les partis politiques, il en faut également, pour les principaux, sont commodément dirigés par les généraux auteurs du coup d’État. Et le mieux est de les déguiser en civils ; plus convenable. On s’assurera de la collaboration intéressée, et récompensée par de juteuses prébendes, de partis annexes, mais fidèlement tributaires du système, pour donner l’illusion d’une pluralité.
Toutefois, des élections constituent toujours un risque. On peut le réduire en désignant une Commission électorale capable d’éliminer des candidats gênants, de contrôler les résultats, voire d’obtenir la dissolution de partis politiques indésirables.
Le rôle de la Cour constitutionnelle
Des dispositions contraires au pouvoir, cependant, pourraient quand même être malencontreusement votées par le parlement. La désignation arbitraire de 9 juges d’une Cour constitutionnelle, permettra de les nullifier, d’exclure ou condamner les opposants politiques, et de verrouiller définitivement le système.
Résumons ! Le pouvoir oligarchique tient toute l’économie, dispose de la force armée, contrôle le gouvernement, le parlement, et le pouvoir judiciaire. C’est une solide démocrature. Ajoutons que l’éducation de haut niveau, dans les meilleures universités étrangères, est réservée aux enfants de l’oligarchie. Tandis que l’éducation publique, fondée sur le respect confucéen de l’ordre établi, est maintenue à un niveau très bas. Que la grande pauvreté d’une majorité de la population entretient chez elle un niveau d’endettement insupportable, qui obsède ses préoccupation immédiates. Deux facteurs destinés à inhiber une prise de conscience politique. De quel poids des élections, dans ces conditions ? Celles du 14 Mai étaient jouées d’avance. Une illusion, un théâtre d’ombres, très douloureux pour ses victimes.
Pour comble, le parti politique traditionnellement supposé représenter les intérêts populaires, et l’opposition aux dictatures militaires, est un parti clanique, attaché étroitement aux intérêts familiaux du clan. Pour parvenir au gouvernement, il s’appuie sur un électorat rural pauvre, sous-éduqué, conservateur, nationaliste, voire xénophobe, auquel il fait miroiter des mesures démagogiques et populistes.
Seul le fait de se voir chassé du pouvoir par des coups d’État successifs avait pu lui donner une trompeuse image ‘’démocratique’’. Jetée, toute honte bue, par-dessus les urnes, aussitôt que nécessaire, en pactisant avec les mêmes généraux qui l’avaient chassé du pouvoir. Et tué, torturé, emprisonné, ses militants, aujourd’hui cocus et révoltés.
Une classe moyenne urbaine éduquée
L’apparition dans les dernières années d’une classe moyenne urbaine éduquée, ouverte sur le monde grâce aux moyens modernes de l’électronique et aux voyages, a alimenté en plus grand nombre les universités thaïlandaises de jeunes étudiants mondialisés, de jeunes cadres, sensibles aux valeurs occidentales et conscients de la nécessité de moderniser un pays qui ne cesse de perdre du terrain par rapport à ses concurrents sud-asiatiques. Cette émergence, soutenue par un mécontentement populaire croissant, a permis, pour la première fois dans l’histoire de la Thaïlande l’apparition d’un authentique parti démocratique décidé à réformer rapidement et structurellement le pays. Arrivé par surprise largement en tête des suffrages en Mai, représenté au parlement par 151 députés.
Il aura fallu trois mois au système, pour le neutraliser, grâce aux mesures, parlementaires, judiciaires, mises en place, et pour faire éclater la fragile coalition qu’il animait.
Victoire du système par K.O. Cependant, les perspectives pourraient se révéler plus complexes qu’il n’y paraît pour le pouvoir oligo-conservateur et son opportuniste allié populiste-clanique.
D’abord, la fragilité de cette coalition de la carpe et du lapin. Comment imaginer que ce gouvernement, composé d’un assemblage hétéroclite d’intérêts contradictoires, soit en mesure de diriger le pays et de faire face aux problèmes urgents qui l’accablent ? Unis exclusivement pour écarter le danger démocratique ; farouchement opposés entre eux pour le reste. Un gouvernement déjà impopulaire, dans un pays en difficulté et en déclin, que son incapacité à réformer va rendre encore plus impopulaire. Accroissant les tensions sociales, économiques, financières. Pas bon pour une oligarchie incapable d’évoluer.
Le pouvoir des réseaux sociaux
Un autre danger, à terme, menace de faire sauter le barrage imposé par le système. L’apparition d’un nouveau pouvoir, qu’il est incapable de contrôler. Et que les jeunes militants pro-démocratie maîtrisent parfaitement : celui des réseaux sociaux. Formidable courroie de transmission idéologique, très efficace outil d’organisation, très intelligent inventeur de modes d’action novateurs. D’une manière très fine, le leader du mouvement démocratique a dissuadé ses troupes de tout affrontement dans les rues. Là où la force brutale les attend. Mais comment résister aux idées, aux revendications, aux dénonciations publiques, aux boycotts qui les suivent, aux actions de désobéissance civique, d’obstruction judiciaire ou parlementaire, aux appels à l’opinion internationale… suscitées par les réseaux sociaux ? Un modus operandi auquel le vieux système est impréparé. Qui contourne ses lignes maginot.
Le combat démocratique va continuer. Mené probablement en dehors de tout ce que le système contrôle. En dehors des partis, du parlement, des affrontements de rue, de toute violence… Un combat d’idées et de surprises tactiques, fidèle aux principes de Sun Tzu : « Ce qui est le plus important dans la guerre, c’est de s’attaquer à la stratégie de l’ennemi ».
Jean-Charles
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Il y a, j’en ai connu, des étudiants de 1ère année d’un très bon niveau… La remarque du professeur PP devait être plus circonstanciée afin que cet étudiant puisse faire quelques progrès. Très mauvais professeur, 0/20 ! Bon ! le mot “démocrature” vous gène mais pas pour la France, si j’en juge par vos nombreux commentaires, alors expliquez nous ! Doit-on en déduire que l’expression forgée à partir de deux mots – un “mot valise” devrait, peut-être, selon vous, éliminer le premier élément issu de “démocratie”. Est-ce que, pour vous, le mot “dictature” conviendrait mieux ?
Très mauvais travail ; le mot “démocrature” est une pure invention. Le reste n’est qu’un tissu de lieux communs du niveau d’un étudiant de 1ere année. Aucun intérêt.