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Amour, meurtre et pandémie

Date de publication : 24/09/2023
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Amour meurtre et pandémie

 

Une chronique littéraire de François Guilbert

 

Depuis une vingtaine d’année, le romancier d’origine chinoise installé aux Etats-Unis, Qiu Xialong (1953 – ) s’est fait un grand nom parmi les auteurs internationaux de romans policiers. Sa marque de fabrique est de raconter des histoires au cœur de l’actualité et des défis sociaux de la République populaire de Chine. Il barde son récit de références au prix Nobel de littérature Thomas Stearns Eliot (1888 – 1965) auquel il a consacré sa thèse de doctorat, d’extraits de poèmes de la Chine classique (ex. Gao Shi, Li Shangyin, Liu Kezhuang Wei Zhuang) ou plus contemporains (ex. Lu un) mais aussi de noms de mets raffinés de la gastronomie notamment shanghaienne, terroir dont il est originaire.

 

Amour, meurtre et pandémie ne déroge pas aux factures des romans antérieurs. Cependant, celui-ci est plus sombre, plus critique aussi du Parti communiste chinois et de son dirigeant suprême. Les plaisirs gourmands y sont peu présents, non seulement par rapport à son précédent opuscule (Un dîner chez Min, 2021) mais aussi ses quatorze autres publications. Temps de pandémie et de confinement obligent, le nombre des personnages dépeint a été réduit au minimum. Quant à l’espace géographique où se meuvent les trois principaux protagonistes, il est également extrêmement contraint. Il se limite, pour l’essentiel, à un établissement hospitalier à la périphérie duquel trois homicides ont été commis. Ce quasi huis-clos est l’occasion de nourrir une réflexion sur l’amour à l’ère des multiples caméras de surveillance des espaces publics, les effets psychologiques individuels et collectifs de la pandémie et la criminalité à l’heure du COVID-19.

 

Sur le fond, l’ouvrage est une charge sans concession à l’encontre de la politique zéro COVID du président Xi Jinping. Il est un brulot contre les politiques de surveillance et de contrôles sociaux. Sans surprise, il fait d’ailleurs de multiples références à l’œuvre du britannique George Orwell et ses ouvrages les plus connus, La ferme des animaux et 1984.

 

Utilisant en fil rouge des faits rapportés des politiques publiques conduites à Wuhan et Shanghai au tournant de l’année 2020, l’auteur dénonce une stratégie politico-administrative ayant eu bien plus pour objet le maintien, coûte que coûte, de la stabilité sociale de la nation chinoise que la bonne santé de ses citoyens. Exemples à l’appui, le narrateur met en lumière de multiples exemples de victimes, non pas du virus lui-même, mais de la surveillance et de la répression d’État menées au nom de la lutte contre le coronavirus. Un panorama glaçant de l’usage des QR codes et laissant transparaître un bilan victimaire de la COVID bien au-delà de ce qu’admettent, encore aujourd’hui, les autorités de Pékin et des provinces. Les mensonges de la propagande et la rigidité de la mise en œuvre des mesures édictées ne sont pas sans rappeler les drames de la Révolution culturelle. Le mode de vie dispendieux des plus hauts cadres également.

 

Avec sarcasme sont dépeints les délits de la pensée, la récurrence du shuanggui (arrestation secrète de cadres du Parti, détention dans un lieu inconnu et pour des raisons non révélées), les listes d’intellectuels « noirs », les « invitations à prendre le thé » par les sbires de la sécurité intérieure, le quadrillage sécuritaire resserré des comités de quartier ou encore l’omniprésence de la police du Net. Si l’État-Parti policier est dénoncé pour ses pratiques totalisantes croissantes, Qiu Xialong met en cause, avec la même force, d’autres dérives de l’ère Xi Jinping. En passant, sont ainsi évoqués les dessous-de-table pour accéder aux soins, les innombrables passe-droit des huiles du régime, l’inflation des prix des biens de première nécessité dans les quartiers confinés ou encore les pénuries alimentaires auxquelles les populations maintenues à domicile ont dû à faire face.

 

Sur un plus de deux cents pages, le romancier septuagénaire bat en brèche dans ce nouveau roman la conduite et les résultats de la bataille contre le coronavirus sous la direction du grand et glorieux Parti communiste. Au passage, il rend un vibrant et légitime hommage aux citoyens du Net et plus personnellement au docteur Li Wenliang, le lanceur d’alerte de Wuhan en décembre 2019, décédé quelques mois plus tard de la maladie qu’il a combattu avec énergie. A l’heure où la pandémie s’essouffle n’oublions pas quelle a été la souffrance des gens et l’absence d’empathie des autorités chinoises pour les familles victimisées. Le peu de considération des dirigeants pour les effets sociaux de leurs politiques n’aura pas seulement des conséquences négatives dans le domaine de la santé. Comme le rappel au détour de ses commentaires Qiu Xialong, que dire, en effet, des cours particuliers à nouveau bannis sur l’éducation des plus jeunes, de la destruction des maisons de style shikumen sur la préservation du patrimoine immobilier urbain ou encore sur l’économie de la défiance politique croissante des autorités centrales vis-à-vis des entrepreneurs à succès ?

 

Qiu Xiaolong : Amour, meurtre et pandémie, Liana Levi, Paris, 2023, 223 p, 20 €

 

François Guilbert

 

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