Yves Carmona est familier des lecteurs de Gavroche. Il contribue régulièrement et nous propose des chroniques géopolitiques. Mais lors d’un colloque récent à Paris, c’est sur un autre sujet que ce grand diplomate a planché. Le Laos, où il fut ambassadeur de France…
Témoignage d’un ambassadeur de France au Laos (2012-2015)
Préambule : 1/ Les souvenirs s’estompent, rafraîchis par les Facebook des collaborateurs de la Résidence, par les amis laotiens ou vietnamiens qui vont au Laos, ou par les Facebook d’ambassadrices qui m’ont succédé. Les médias parlent peu du Laos. L’ambassadrice actuelle fait son métier et je n’évoquerai pas les relations diplomatiques actuelles, c’est à elle de le faire.
2/ C’est le Conseiller économique de l’ambassade qui m’a en premier convié à ce colloque et je l’en remercie ; j’ai donc mis autant que possible l’accent sur la dimension économique que j’ai toujours trouvé primordiale, mais j’apporterai mon témoignage sur les différentes dimensions de ces 3 années pendant lesquelles j’ai été ambassadeur de septembre 2012 à août 2015.
3/ Ceci étant, ma parole est libre et pourra être mal perçue, malgré l’amitié que j’ai pour les Laotiens.
Introduction
Le passé colonial mais aussi post-colonial n’a pas toujours été amical : suspension des relations diplomatiques de 1978 à 1981, reprises par le Président Mitterrand car il voulait être présent dans l’espace de la francophonie.
2012 : visite « historique » le 5 novembre 2012 d’un Président français, la première depuis l’indépendance car il a fallu faire coïncider la carte de nos implantations diplomatiques avec celle de la francophonie.
Liée à l’ASEM (dialogue Asia Europe), cette visite a suscité un débat à l’Élysée sur l’opportunité de faire un aussi long voyage dans un pays où le respect des droits de l’homme faisait débat. Le Président Chirac, un de ses créateurs, ne se posait pas la question : il voyageait beaucoup.
Pourquoi la visite a-t-elle finalement eu lieu ?
Le président Hollande avait une diplomatie asiatique qu’on a peu vue depuis et qui était due notamment à un conseiller diplomatique connaissant parfaitement le chinois. Malheureusement, à sa mort d’un cancer, on est revenu à une conception plus classique de la diplomatie.
Je suis arrivé début septembre et aux côtés des autorités laotiennes, j’ai accueilli le Président.
Il a fait un voyage éclair : dans le week-end, Liban, Arabie Saoudite et Vientiane où il est arrivé au petit matin et dont il est reparti le soir. Il a également tenu avec le Président Choummaly une rencontre bilatérale « historique ».
Lui parti, plus aucune visite d’un Président ou d’un ministre pendant mon séjour, sauf une ministre qui disait des bêtises et qui, à partir du 1er remaniement, n’a plus fait partie d’un seul gouvernement.
I Après cette visite, le présent a intégré le passé
En économie j’ai fréquenté régulièrement les dirigeants français d’entreprises, notamment les Conseillers du commerce extérieur de la France (CCEF).
La plus grande entreprise à gestion française est Nam Theung II qui contribue à ce que notre pays soit le 1er investisseur occidental et le 5ème étranger.
Nous avons dû, avec l’entreprise et les autorités laotiennes, faire face à plusieurs sortes de difficultés :
– les voisins en aval sont inquiets que les barrages les privent d’eau et autres ressources ;
– l’électricité est vendue principalement à la Thaïlande, avec le risque d’en être dépendant ;
– des ONG et les Etats-Unis critiquent les déplacements de population entrâinés par les lacs de barrage.
Or le Laos a voulu être « la pile électrique de l’ASE » et ce barrage le lui a permis, c’est son développement qui est en jeu.
D’autres entreprises doivent être mentionnées car elles ont résisté à l’usure du temps.
La Banque Franco-Lao, filiale de la BRED, une des principales banques du Laos, s’est depuis étendue au Cambodge.
L’assurance Allianz, à l’origine française mais devenue luxembourgeoise.
Agroforex qui a été créée en forêt par un Français courageux pour produire le benjoin, substance résineuse aromatique qui entre dans la composition des parfums mondialement célèbres de Grasse.
Annam du groupe Apple Tree basé à Ho Chi Minh Ville est implantée dans 4 secteurs majeurs :
– L’importation de produits alimentaires de marque ;
– Les ressources humaines, avec l’ouverture récente d’une agence de recrutement, Lao Jobs ;
Le tourisme, par le biais de l’agence de voyages Exotissimo, le Kamu Lodge et la Villa Maly à Luang Prabang.
La culture, avec une prise de capital minoritaire dans la librairie Monument Books.
Paradice, qui produit d’excellentes glaces, créée en 1999.
Un nombre significatif de restaurateurs français comme laotiens.
En 2014 s’est implantée Essilor à Savannakhet. Grâce à un investissement initial de 14 millions de dollars, l’usine a été créée sur un site de 60 000 m2 dans une zone industrielle. Elle bénéficie de synergies avec le site de production d’Essilor à Bangkok (Thaïlande), référence industrielle pour la production de verres en polycarbonate depuis 2000, où ont été formées les équipes du Laos.
Le Directeur Général Délégué du groupe m’expliquait, lors de l’inauguration, qu’implanter une usine de verres de lunettes en Asie avait d’autant plus de sens que beaucoup de consommateurs n’en avaient pas encore, alors que beaucoup de langues asiatiques nécessitent une excellente vue.
Malgré leur importance, les CCEF ont eu du mal à subsister car la cotisation est la même pour les grands groupes et les petites entreprises, ce qui explique que certains aient cessé de payer leurs cotisations et que les pays où les entreprises françaises sont plus nombreuses aient beaucoup plus de CCEF. La réunion des CCEF se tenait cependant régulièrement, malgré le petit nombre de participants.
Autres instruments de promotion : la Chambre de commerce française s’était fondue dans la chambre européenne, l’ECCIL opérationnelle depuis 2011, dominée par les Allemands, ce qui ne m’a pas empêché avec mes collaborateurs de l’ambassade d’y aller souvent car c’était un instrument indispensable.
Les relations franco-laotiennes sont anciennes et l’ambassade devait chercher à les intégrer dans sa stratégie d’influence.
Par ex M.Yves Dauge a fait vivre le jumelage établi quand il était Maire entre Chinon et Luang-Prabang et grâce à lui, j’ai fréquemment été reçu par M.Somsavad Lengsavad, vice Premier ministre et ancien Ministre des affaires étrangères, originaire de Luang Prabang. Je l’ai entendu appeler avec vigueur le Préfet quand celui-ci avait pris une décision défavorable à l’environnement de cette ville magnifique.
Une nombreuse communauté française : 2 000 personnes officiellement, dont beaucoup d’origine lao, pas toujours considérés comme des Français comme les autres et j’ai eu à cœur de faire progresser leur rôle, ce qui a été fort important dans l’extension du Lycée Josué Hoffet (cf chapitre II).
La francophonie a joué un rôle. L’organisation internationale de la francophonie (OIF) est présente mais son siège est à Paris et son budget fourni principalement par la France ; le Laos n’en perçoit qu’une petite partie, les pays Sahéliens étant privilégiés.
La francophonie m’a cependant permis d’accueillir Bertrand Delanoé car le Maire de Paris est le leader naturel des congrès de Maires francophones.
Ceci posé, il faut reconnaître que le français est surtout lié à une génération, actuellement encore au pouvoir mais pour combien de temps ?
Plus durables, la science et le patrimoine :
La science : la présence prévue à ce colloque de Mme Vanina Bouté et M. Yves Goudineau témoigne de la connaissance du Laos par l’Ecole française d’extrême-orient (EFEO) fondée en 1898.
L’une et l’autre ont écrit plusieurs livres : Mme Vanina Bouté : « Sociétés et pouvoirs » avec Mme Vatthana Pholsena, M.Yves Goudineau « Recherches nouvelles sur le Laos » remis au Président Hollande et à moi-même le 5 novembre 2012.
La science, c’est aussi le laboratoire de l’Institut Pasteur, de haute classe, inauguré en ma présence par le Président Hollande le même jour.
– Le patrimoine a également toujours tenu une place majeure dans la présence française au Laos. J’ai ainsi eu la chance d’inaugurer la porte du Vat Phu fin 2012. Situé dans la province de Champassak, à 670 km au Sud de Vientiane, le temple du Vat Phou, qui signifie « temple de la montagne » est un vestige de l’époque pré-Angkorienne et Angkorienne.
Inscrit au Patrimoine Mondial de l’UNESCO depuis 2001 il s’étend sur près de 390 km2. Construit au pied d’une montagne, le Vat Phu est un ensemble hindouiste d’architecture khmère, dont il constitue une source majeure de connaissances.
Et grâce à un concours de circonstances, j’ai visité le cénotaphe d’Alexandre Henri Mouhot né le 15 mai 1826 et mort à Luang Prabang, le 10 novembre 1861, un des explorateurs pionniers en Indochine.
Enfin, au présent, la Résidence de France a été le cadre de nombreuses activités. Elle était la résidence du gouverneur du temps de la colonie, son statut est resté indécis après l’indépendance, c’est pourquoi elle n’a pas été vendue au temps où le gouvernement français vendait tout ce qu’il pouvait.
Il faut souligner l’importance du rôle qu’y a joué l’épouse de l’ambassadeur. Sans elle, le fonctionnement de la Résidence n’aurait pas été le même.
Trois exemples parmi tant d’autres :
– l’honneur d’organiser le déjeuner du Président Hollande (il était loin le temps où le Président faisait voyager son cuisinier) qui nous a fait prendre conscience que dans ce pays, malgré les difficultés pratiques, la Résidence devait être irréprochable pour jouer au mieux son rôle de réception ;
– la célébration de la galette des Rois qui réunissait tout ce que Vientiane pouvait compter de pâtissiers français et laotiens ;
– l’ organisation d’une « fashion week » devant 300 invités.
Loin de se complaire dans le passé, nous avons cherché aussi à…
II Préparer l’avenir
1 Le rôle de l’Agence Française de Développement (AFD)
L’AFD centre ses aides sur un petit nombre de secteurs de concentration ; au Laos, elle a contribué aux actions en faveur du patrimoine, mais désormais consacre ses crédits au développement de l’agriculture.
L’ambassadeur assure donc la co-vice-présidence du groupe de travail de la « Round Table Meeting » (RTM), organisme permettant aux partenaires de l’aide au développement de se rencontrer, sur l’agriculture. Cela a permis de suivre les progrès entrepris dans la culture du café par des agriculteurs indépendants sur la chaîne des Boloven, avec une commercialisation mondiale – jusque dans mon supermarché.
Malheureusement, malgré beaucoup d’efforts, proches parfois de la conspiration et qui se sont étendus au siège parisien, il n’a pas été possible d’assurer dans le groupe de l’éducation la même présence, il est resté à l’Australie, ce qui bien entendu n’est pas favorable à la francophonie, une occasion a été manquée.
2 Mon principal dossier, une véritable obsession, a été l’extension du terrain du Lycée Josué Hoffet.
Ce lycée, le meilleur du Laos après l’indépendance et qui accueille une majorité d’élèves d’origine laotienne, était à l’étroit. Plusieurs de mes prédécesseurs avaient en vain cherché un terrain susceptible de permettre la construction du bâtiment supplémentaire rendu nécessaire par la croissance démographique.
La corruption avait également joué son rôle.
Ce sont des amis de la France, grâce à leur influence au plus haut niveau de l’État laotien, qui ont réussi à obtenir le nécessaire permis de construire. Il a été édifié après ma mission et cela a été la plus grande réussite de mon séjour. Sans trahir de secret, un concours de circonstances a permis ce résultat…
3 Une communauté française installée, des agences consulaires que j’ai créées à Luang Prabang et à Paksé pour s’en occuper.
Car le Laos n’est pas que Vientiane : je me suis rendu à Luang Prabang, Paksé, Phongsali, Luang Namtha, Savannakhet, les Boloven, les grottes de Tham Kong Lor, mais je n’ai pas eu le temps d’aller à Attapeu. Ce pays est très divers et chaque région a ses caractères propres, souvent son langage différent de celui de la capitale.
4 Les « rendez-vous de Vientiane » : initiative conjointe avec des entreprises à Vientiane et en France, l’idée était de mieux faire connaître le Laos. Sur un montage difficile, nous avons reçu le soutien des autorité laotiennes et avons organisé plusieurs événements, dont un dîner avec 300 personnes à la Résidence.
Le défilé de mode organisé dans ce cadre s’est prolongé en une fashion week organisée tous les ans dans un hôtel en ville, nous avons même mon épouse et moi fait partie du jury. Je n’étais déjà plus ambassadeur au Laos quand j’ai rendu visite à ESMOD, connue et présente internationalement. Le hasard m’a permis de rencontrer un de ses directeurs, japonais, qui a rapidement fait en sorte qu’un jeune homme, Billy venu de Savannaket, y soit formé. Il est aujourd’hui designer professionnel.
5 L’avenir, c’est aussi un restaurant créé après mon départ par mon ex-intendant : « Suzette ».
Conclusion :
Tout n’a pas été un succès pendant mon séjour et mon pire souvenir est
1/ la disparition de Sombath Somphone. Je n’ai pas eu le temps de le connaître mais l’ai vu car il prononça le discours d’ouverture de l’AEPF, complément de l’ASEM. Le « People to people forum » avait lieu à l’Institut français. Je ne reviens pas sur les circonstances de son enlèvement le 15 décembre 2012 et de sa disparition. Il faut souhaiter au peuple laotien un avenir plus démocratique qui passe par une meilleure association à son sort et aux investisseurs une plus grande sécurité juridique.
2/ le chemin de fer Vientiane-Kunming déjoue également mes prévisions. Comme beaucoup d’autres, je pensais qu’il ne se ferait pas à cause des prouesses techniques nécessaires et de l’endettement qu’il engendre, mais il a été construit, le train fonctionne et contribue au désenclavement du Laos. Je souhaite seulement qu’il ne renforce pas le poids de la Chine.
3/ Enfin, le Laos rencontre aussi des problèmes généraux qui y sont plus graves car c’est un Pays Moins Avancé (PMA), catégorie internationale dont il voulait sortir mais il a dû en repousser la date.
En effet, la Covid, ce n’est pas fini, la pandémie on l’a vu dans ce colloque est présente aussi en France et elle frappe un pays où le système de santé est encore perfectible, d’autres infections peuvent survenir.
Enfin, comme la Terre entière, il faut affronter le changement climatique : au Laos, c’est le réchauffement et surtout la raréfaction de l’eau qui sont perçus. Certes, le bord du Mékong est moins exposé mais qu’en est-il dans d’autres provinces ?
Voir ici la vidéo du colloque.
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