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BANGKOK – CHRONIQUE : Dans la capitale où électricité rime avec araignée

Date de publication : 10/11/2023
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câbles aériens Thaïlande

 

 

L’avez vous déjà remarqué ? Levez les yeux au ciel et vous verrez : sur les pylônes de Bangkok, la toile d’araignée des fils électriques s’enchevêtre sans merci. Notre chroniqueur Patrick Chesneau raconte…

 

Bangkok bientôt débarrassée de ses toiles d’araignée

 

La chasse est ouverte. Partout dans la ville géante, des escouades de techniciens en combinaison bleue ou beige sont à l’œuvre. Dans leur viseur, des kilomètres à n’en plus finir de fils de télécommunication et de câbles électriques. En l’air, en hauteur, suspendus. Qui accrochent l’œil. Surtout celui des touristes et des expatriés. Les thaïs, eux, ont grandi avec. Ces grumeaux font partie de leur paysage mental. Il n’empêche. L’évidence visuelle est là. Imparable. Des pelotes noires encombrent l’espace et bouchent la vue. Font l’objet de toutes les récriminations des voyageurs qui se piquent d’esthétisme : “Comme c’est laid ! Dépareillé au possible ! Ça rend la ville hideuse. Et c’est terriblement dangereux !”. De fait, des accidents se produisent. Des piétons tombent à pieds joints dans le traquenard tendu par des ramifications inopportunes. Des pièges parfois mortels à l’air libre. Il arrive de temps à autre que des conducteurs de deux roues soient carrément étranglés au milieu de la chaussée par un nœud coulant subitement décroché de sa ligne haute tension. Et quand il pleut, les fils qui pataugent dans des kyrielles de mares aux canards provoquent de parfois des électrocutions. Toutefois, on ne peut éviter de constater à quel point un tel spectacle à ciel ouvert est intrigant. Les câbles s’enroulent en volutes mystérieuses, les fils s’enchevêtrent sans que le profane n’y comprenne goutte. Ça commence où ? Ça finit où ? Ça raccorde quoi ?

 

Et c’est quoi ce moignon qui pendouille dans sa gangue jusqu’au transformateur éventré juste à côté. Inextricable. Hallucinant. Ce foutoir collé sous le nez de douze millions d’habitants et deux fois plus de touristes est… dantesque. En même temps, saluons respectueusement le miracle quotidien auquel nous assistons tous. Les techniciens et réparateurs de l’EDF locale, leurs collègues des compagnies spécialisées dans les installations numériques, en plein rappel ascensionnel, harnachés comme s’ils exploraient la canopée en pleine sylve amazonienne, semblent s’y retrouver. Et d’ailleurs, ils s’y retrouvent. Déjouant les configurations les plus emberlificotées. Traquent le raccordement indiscipliné à l’origine du dernier court-circuit qui s’est terminé en incendie. Pompiers et services de secours ont dû rappliquer en pleine nuit. Même le gouverneur de Bangkok a fait le déplacement. Invariablement, son jugement lapidaire tombait sur la foule des badauds incrédules : “On va moderniser. Il faut rationaliser. Sécuriser”. Mais tout reprenait comme si de rien n’était. Tout simplement parce que les agents-prestidigitateurs en salopette d’intervention, la tête enfouie, mieux encore, avalée par une marée indéchiffrable de tuyaux et de tubulures biscornues arrivent toujours à résoudre tous les rébus. Aucun sac de nœuds ne leur résiste très longtemps. Le comble, c’est que ça marche ! Chapeau les artistes de ces “stand ups” sur le tas. Improvisés mais totalement maîtrisés. Leur brio et leur dextérité sont légendaires. Dans un méli-mélo innommable, ils parviennent à reconstituer des schémas d’aménagement électrique, remontent la piste de réseaux énigmatiques.

 

Au total, ils réussissent sans jamais se décourager à rétablir un semblant d’ordre, même s’il semble invariablement peu apparent à l’œil novice. Ceci étant dit, changement de décor. La nouveauté, toute récente, c’est que cette épopée sera probablement à date de péremption dans quelques mois. Ces profusions d’images ahurissantes touchent sans doute à leur fin, puisque les autorités ont décidé de lancer et mener à terme des travaux d’une ampleur gigantesque. En bénéficieront les uns après les autres en principe tous les districts de la mégapole. D’ores et déjà, dans certains quartiers de la capitale thaïlandaise, on enfouit à tout va. On ensevelit à marche forcée. On dissimule avec frénésie. L’objectif étant naturellement d’en terminer au plus tôt avec ces broussailles si encombrantes. Tout sera bientôt souterrain. Des opérations d’esthétique urbaine qui se conjuguent, il est vrai, avec une sécurisation renforcée et, en perspective, une distribution très améliorée du courant.

 

On pourra s’exclamer : “Et la lumière fut “…mais en sous-sol.

 

Pour autant, faut-il se réjouir sans nuances et sans réserve de cette transformation accélérée de l’anatomie de la capitale ?

 

Certes, comme on dit familièrement, ça fait plus propre. Mais, en même temps, ça normalise. Ça banalise. Ça hygiénise. Qui aime Bangkok depuis belle lurette sait que le fouillis et le fatras sont consubstantiels à cette ville qui entremêle tradition et modernité. Le tout dans une symbiose rarement égalée de par le monde. Lui injecter de l’ordre pour en faire une ville propre sur elle et bien comme il faut, c’est émasculer une mégapole qui doit préférablement se déguster nature. Tentaculaire et bordélique. Il faut la préserver des miasmes de l’hyper-conformisme planétaire. La garder à l’abri de trop d’académisme. Sinon, c’est assurément la soporifier. L’affadir. Bien sûr, élaguer c’est gagner en fonctionnalité et performance. Le pendant, c’est qu’on y perd, considérablement, côté cachet. La sécurité contrevient à l’originalité. Cette ville géante se doit de brandir envers et contre tout l’aspect d’une foultitude indomptée. Sinon, Singapour satisfera amplement le désir irrépressible de ceux qui veulent se rassasier de pureté, de rangement et de netteté. J’aime le côté foutoir et désordonné de Krungthep Mahanakorn. C’est gage d’authenticité, d’irrévérence et de vitalité. Une ville brouillonne n’est pas une ville souillon. C’est une ville qui n’est pas encore domestiquée. Ça fait tellement de bien dans un monde uniformisé où tout doit être tiré au cordeau. Pourvu que Bangkok ne devienne pas trop assagie.

 

Patrick Chesneau

 

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1 COMMENTAIRE

  1. L’éradication des plats de nouilles aériens risque bien d’être l’anti-chambre de ceux des restos de rue. Un désir de touristes des classes moyennes mondialisées standardisées à la recherche d’un exotisme “normalisé” déversées en foules solitaires par des aéroports aseptisés et hors-sol. Un fort désir de suisse ? Le complexe de Singapour ?

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