De Genève aux mines birmanes, la couleur sang du rubis
Une chronique de François Guilbert
L’intrigue de ce roman policier se déroule entre Genève et la Birmanie. Elle se lit comme un circuit touristique. Le lecteur gambade d’un lieu à l’autre. Il est conduit avec simplicité. Parti de Rangoun et sa pagode Shwedagon, il parviendra jusqu’au lac Inle, au sud de l’État Shan, par un bus de nuit. En passant d’une étape à l’autre, on entrevoit Bagan et Mandalay.
Au fil des pages, n’est oublié aucun des lieux « incontournables » du voyageur pressé, que celui-ci déambule sac au dos ou soit pris en charge par un tour opérateur. Ne manquent donc pas à l’appel : quelques douceurs culinaires consommés ici ou là (ex. laphet yay (thé au lait), laphet thoke (salade de thé fermenté), limonade au gingembre, mango tango, poulet sibyan,..), le tour en montgolfière au-dessus des merveilles de l’architecture bouddhique inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO, le trajet en calèche à Ava, la représentation au théâtre humoristique des Frères Moustache, ou encore la balade en bateau sur le cours du fleuve Irrawaddy.
Tout au long d’un périple au pas de course, on suit les aventures de trois jeunes étudiants de l’université de Genève en quête d’exotisme. Un séjour fait d’imprévus et d’embûches, bien évidemment. Signe des temps, les messages publiés sur Instagram viennent compliquer la vie. L’occasion de rappeler combien il convient de toujours rester prudent sur les images et les messages diffusés sur les réseaux sociaux. En voyage ou non, leur contenu peut rapidement devenir embarrassant, pour ne pas dire nocif. Un conseil sans surprise venant de la part d’une auteure trentenaire et dont l’invitation au voyage s’est nourrie d’une bonne connaissance du terrain. Certes, l’auteur belgo-suisse ne s’est pas longuement épanchée sur tous les problèmes de sécurité susceptibles d’être rencontrés par tout un chacun en Birmanie mais ses descriptions des nombreux parcours empruntés par ses personnages ont été bien documentées. Elles rappelleront, sans aucun doute, pléthore de souvenirs heureux à ceux qui les ont déjà fréquentés. Il en est de même quand la narratrice fait référence aux auteurs mondialement connus ayant évoqué la Birmanie (Joseph Kessel, Rudyard Kipling, George Orwell) mais aussi l’univers de la chanson et l’inoubliable version de « Sur la route de Mandalay » de Frank Sinatra.
Dans ce deuxième roman de Sandrine Warêgne, l’environnement politico-social birman n’a pas été escamoté. Il dépeint, par petites touches, la corruption policière, les infrastructures de transport, les réseaux de télécommunication tels qu’ils existaient à l’époque de l’installation au pouvoir du général Thein Sein. D’un point de vue chronologique, ce n’est pas la Birmanie du général Min Aung Hlaing qui est exposée mais celle du début de la décennie 2010, quand le pays était moins violenté qu’aujourd’hui et où on s’y montrait plus optimiste sur l’avenir.
Aujourd’hui, non seulement, il n’est guère recommandé de se déplacer en Birmanie pour un séjour d’agrément (p.m. le site Conseils aux Voyageurs du ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères affiche très officiellement que « L’intégralité du territoire birman demeure formellement déconseillée ou déconseillée sauf raisons impératives ») mais certains sites évoqués dans le récit de la romancière sont devenus quasi-inaccessibles. C’est notamment le cas de la région des gemmes de Mogok. Par le passé, il était déjà difficile de s’y rendre. Il fallait être muni d’une autorisation spéciale d’accès, délivrée au compte-gouttes. Désormais, le canton est un lieu d’affrontements meurtriers entre l’armée de la junte et ses opposants venus des rangs de l’Armée de libération nationale Ta’ang (TNLA) et des Forces de défense du peuple (PDF).
Débarrassée de cette lourde et sanglante actualité où se joue l’accès à la frontière chinoise voire la création d’un État Ta’ang, l’auteure a pu se consacrer dans son manuscrit à décrire l’exceptionnelle richesse du patrimoine de Mogok, les variétés de corindon, la magnificence des rubis « sang de pigeon » et les singularités de spinelles. Au-delà de la diversité des produits géologiques, c’est tout l’environnement des affaires des gemmes qui nous est présenté, les intermédiaires et locaux et internationaux, leurs pratiques et les transactions off-shore. Une problématique qui a donné son titre au récit et l’a irrigué de chapitre en chapitre. Tout un monde de secrets bien gardés et dont les dérives méritent effectivement d’être mises à jour. Mais pour accéder aux Vérités, il faut de la ténacité. C’est vrai pour pénétrer le monde des pierres précieuses, de leurs terroirs de production aux échoppes des joaillers, mais, plus encore, en matière de lutte contre la criminalité. Au détour de l’histoire contée, l’auteure rend un très juste hommage au diplomate néerlandais qui concourut à l’arrestation du tueur en série français Charles Sobhraj dont les crimes – une trentaine essentiellement commise contre des touristes – défrayèrent les chroniques judiciaires et d’actualité asiatiques dans les années 70.
Sandrine Warêgne : Un crime couleur rubis en Birmanie, Éditions Spinelle, Paris, 2023, 204 p, 18 €
François Guilbert
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