Notre ami et collaborateur Jean-Michel Gallet nous gratifie régulièrement de ses carnets de route asiatiques. Commençons l’année avec l’Indonésie !
2019 – 2023. Quatre ans qui m’avaient éloigné de l’Indonésie, le virus covid-19 en étant la cause. Un temps d’éloignement qui, lors de mon retour dans cet archipel, m’a permis de porter sur ce pays un regard que l’habituelle régularité des précédents séjours avait pu occulter. Certes un regard totalement subjectif que je laisse à chacun le soin de critiquer.
Une économie en forme
Le covid semble être aujourd’hui une parenthèse largement oubliée ainsi que ses effets sur l’économie. Seules quelques activités touristiques, du moins celles liées au séjour de voyageurs étrangers, tardent un peu à retrouver des couleurs. Mais pas l’économie en général qui a retrouvé son habituel taux de croissance de 5% à 5,5 % par an. Un taux au demeurant quasi constant depuis 1997 qui a permis une multiplication par 6 du P.I.B (produit intérieur brut) de l’Indonésie depuis cette date.
Certes ce sont là des moyennes. Mais l’observation de quelques réalités confirme la régulière croissance du pays : l’état du réseau routier s’est nettement amélioré ; voitures et motos sont en nombre croissant sur les routes et, surtout, continuent à prendre de l’embonpoint ; les constructions prolifèrent ; l’habillement traduit une amélioration du niveau de vie. Et surtout émerge chaque année davantage une classe « moyenne », état auquel environ 10% supplémentaires de population accéderait chaque année. Une classe moyenne très visible dans les lieux touristiques connus, et notamment à Bali. C’est d’ailleurs elle qui avait pris le relais du tourisme étranger défaillant pendant les années covid.
La jeunesse de la population
Par comparaison avec l’Indonésie, quand on se trouve en Europe, il semblerait que la population de notre continent soit essentiellement composée d’adultes, voire de seniors (1).
Dans l’archipel indonésien (275 millions d’habitants) 50 % de la population a moins de 30 ans alors que cette catégorie ne représente que 27% à 28% en Europe, soit quasiment moitié moins. Une population jeune qui continue de croître puisque, en 2023, elle devrait augmenter de quelques 3,5 millions d’habitants.
Il convient toutefois de nuancer ces chiffres par un examen plus attentif de la pyramide des âges et des courbes démographiques.
Car, comme dans tous les pays du monde, l’amélioration de la situation économique et matérielle des habitants conduit à une baisse de la natalité. Ainsi, pour 2021, le taux de fécondité par femme indonésienne n’a été que de 2,04 alors qu’il avoisinait les 6 au début des années 1960 (2).
Si certes la population indonésienne continue à croître, cet accroissement est d’abord imputable au faible nombre des « seniors » : en Indonésie, les plus de 65 ans constituent 7 % de la population, chiffre à comparer aux 21% de l’Union européenne (chiffre 2022). Le surcroît annuel de la population indonésienne est donc actuellement imputable au faible nombre des décès par rapport à celui des naissances.
En d’autres termes, l’explosion démographique de l’Indonésie est derrière elle, mais ses effets vont se prolonger encore quelques décennies. Quelques décennies pendant lesquelles sa jeunesse restera une caractéristique de la population indonésienne. Une jeunesse qui, naturellement, à l’heure des réseaux sociaux et de l’omniprésente informatique, veut « vivre sa vie » quitte à bousculer certaines traditions.
Jakarta, la capitale la plus polluée du monde (3) ?
A la lecture des points précédents, on pourrait penser que l’avenir ne pourrait être que radieux pour un pays comme l’Indonésie.
Mais ce serait faire l’impasse sur une autre réalité qui saute aux yeux du visiteur étranger, notamment européen. Alors que dans nos pays, médias et programmes économiques et surtout politiques consacrent une part sans cesse croissante aux questions environnementales et à l’avenir de notre planète, celles-ci, à de rares exceptions, sont passées sous silence dans un pays comme l’Indonésie.
Et ce ne sont pas toutefois les exemples de pollution qui manquent : gestion problématique des déchets en nombre croissant, effondrement de terrains dus à la surexploitation de nappes phréatiques, embouteillages gigantesques, véhicules émettant des fumées -noirâtres ou jaunâtres- qui transforment le motocycliste en mineur de fond (quant aux poumons !!), etc.
Prenons le cas emblématique de la production d’électricité, en progression constante comme dans tous les pays du monde.
Sa principale source : le charbon pour les 2/3 (4). Charbon dont la consommation entre 1990 et 2019 a augmenté de 1 686%. Derrière le charbon suivent le gaz (12%) et le pétrole (8%). En d’autres termes, 86% de la production d’électricité a pour origine des sources d’énergie fossile. Et parmi les sources des « renouvelables », dans un pays qui ne manque ni de vent ni de soleil, l’éolien représente 0,2 % et le solaire 0,04%.
Certes, tout donneur de conseils en la matière se doit à la prudence et la modestie. Et, par honnêteté rédactionnelle, il convient de signaler que les autorités ont annoncé vouloir atteindre la « neutralité carbone » en 2050 et faire de la nouvelle capitale en projet un modèle de « capitale verte ».
Il est vrai que, dans ce pays, les habitants, depuis toujours, se sont habitués à faire face aux aléas de la nature (tremblements de terre quasi quotidiens sur au moins une des îles de l’archipel, éruptions volcaniques, cyclones et tsunamis). Ce qui a généré un certain fatalisme par rapport à toutes les catastrophes annoncées.
Mais, pour moi, la réalité des dérèglements climatiques dus aux atteintes environnementales n’est pas vraiment déniée par une grande partie de la population. Mais elle préfère « mettre la poussière sous le tapis », car ses priorités sont autres. Elle veut d’abord accéder à un certain bien-être matériel -qui inclut aussi la santé et l’éducation-. Un objectif qui serait remis en cause par l’intégration d’obligations environnementales, c’est-à-dire investir aujourd’hui pour un futur au demeurant incertain et aléatoire.
De telles mesures sont certes difficiles à prendre. Mais tout ajournement de décisions permettant de faire face aux effets des dérèglements climatiques ne pourra qu’entrainer, à terme, des surcoûts aux conséquences économiques, sociales et politiques qui obéreront le futur du pays.
Économie, politique et .. culture
Un futur qui, de toute façon, reste étroitement dépendant de celui de l’Asie en général et de la Chine en particulier.
En Indonésie, les trois premiers investisseurs sont, par ordre décroissant, le Japon, Singapour et la Chine continentale, ce dernier pays tendant à devenir le premier investisseur, les investissements chinois ayant, entre 2015 et 2020, cru de 590%.
Chine qui, outre l’appui d’une ancienne et implantée sur tout le territoire diaspora(5), est devenue le premier partenaire commercial de l’Indonésie.
Ce contexte n’est pas, en Asie, une particularité indonésienne, mais fait que la bonne santé économique du pays est étroitement liée à celle de l’Asie et, d’abord de la Chine.
Or l’économie chinoise actuellement (2023) « toussote », certains voulant y voir le prélude à un début de déclin (6).
Mon avis est plus nuancé. Il y a quatre décennies, de retour d’un premier voyage en Chine, suivi par de nombreux autres au Vietnam, j’avais émis l’hypothèse que les pays de la côte asiatique du Pacifique (Japon -certes depuis un siècle et demi-, Corée, Chine et Vietnam) deviendraient un des pôles du monde à venir.
Aujourd’hui, mon hypothèse est que la période des « années glorieuses » pour la Chine va, progressivement, arriver à son terme. Non que la puissance de la Chine, sauf politique extérieure hasardeuse, s’effondrera, car la cohésion sociétale y est encore très solide. Mais elle devra composer avec d’autres forces. Le reste du XXIème siècle ne sera pas celui de la prééminence de la seule Chine sur le reste du monde.
Pour des pays comme l’Indonésie, la question posée est de savoir si ses forces intérieures pourront prendre le relais du « moteur » chinois. La réponse au demeurant va au-delà de la seule question des investissements ou du commerce. Car la force de la Chine, comme celle des pays asiatiques de la côte du Pacifique, est d’abord de savoir organiser dans le temps et l’espace les ressources humaines. Telle est la culture de ces pays.
L’Indonésie, nonobstant des cultures locales encore très vivaces dans certaines îles, avec ses quinze siècles de culture indianisée, appartient à une autre aire culturelle, une aire pour laquelle la projection dans l’avenir semble plus complexe à mettre en œuvre, mais qui repose sur d’autres atouts.
Telle est la question-clé posée à la jeunesse du pays
Jean-Michel GALLET
(1) en France, les 0-24 ans représentent 29% de la population et les plus de 60 ans 37 %. Selon certains démographes, en 2030, la catégorie des plus de 65 ans pourrait être supérieure à celle des moins de 15 ans.
(2) dans l’Union européenne, ce taux est de l’ordre de 1,50 (chiffre 2020)
(3) voir les analyses de la société suisse IQ Air, spécialisée dans les technologies de la qualité de l’air et la revue « Gavroche » en date du 09/08/2023.
(4) l’Indonésie est le 5ème producteur mondial de charbon et le 1er exportateur mondial de cette source d’énergie.
(5) difficile d’avoir un chiffrage précis de cette diaspora évaluée entre 1,7 et 5 millions de personnes.
(6) selon Asialyst (30/09/2023), dans un pays où l’immobilier représente 25% à 30% du PIB (produit intérieur brut) chinois, 130 millions de logements proposés à la vente ne trouveraient pas d’acquéreurs. La situation serait identique pour nombre de travaux d’infrastructures.
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à lire l’important livre de David Van Reybrouck (auteur de “Congo. Une histoire”, 2012) : “REVOLUSI. L’Indonésie et la naissance du monde moderne” Ed “Actes Sud” 2022, 609 pages. Avec une solide bibliographie thématique critique et commentée ainsi qu’une bibliographie des principales références sur le sujet (60 pages). L’auteur analyse de multiples sources, livre ses propres observations et mobilise nombre de témoignages recueillis sur place pour retracer 500 ans d’histoire économique, diplomatrique et politique de l’époque pré-moderne à nos jours (essentiellement la période de l’indépendance). Un ouvrage majeur accessible en langue française (traduit du néerlandais) qui se présente comme une vaste fresque. Une somme…
Un tour de force pour l’auteur de cet article, quinze siècles de culture indianisée mais pas seulement. L’islam passé par pertes et “profits” n’aurait jamais existé et n’aurait aucune place dans l’univers culturel et la société de l’archipel ? Le mot n’est jamais prononcé. Des compléments s’imposent pour corriger d’importantes lacunes qu’ un indonésien pardonnerait difficilement… Celui-ci l’exprime haut et fort dans son soutien au peuple palestinien… Parlez nous de l’islam et de sa police, des tribunaux chariatiques et du droit pénal qu’ils appliquent. Parlez nous du statut juridique des femmes peu inspiré par la culture indianisée… La copie est à revoir…