Alors que la Birmanie est plongée dans une nouvelle journée villes mortes (Silent Strike) pour célébrer le 3ème anniversaire du putsch militaire du général Min Aung Hlaing, le fils cadet d’Aung San Suu Kyi, Kim Aris, a donné le 1er février quelques nouvelles de sa mère.
Par François Guilbert
Par voie de presse, l’homme de 47 ans qui vit à Londres, a fait savoir qu’il a reçu, il y a deux semaines, un courrier de la prix Nobel de la paix. Celui-ci lui a été transmis, sans plus de détails, par le ministère des Affaires étrangères britannique. Selon Kim Aris, la famille n’est pas en contact avec l’administration pénitentiaire aux ordres de la junte ou d’autres interlocuteurs du régime putschiste. Elle n’en demande pas moins à avoir la possibilité d’échanger avec la prisonnière notamment par voie téléphonique, comme cela fut le cas parfois par le passé.
Un courrier qui sert les intérêts de la junte et de l’opposition démocratique.
Si le petit-fils du général Aung San n’a jamais montré avoir des ambitions politiques, en évoquant publiquement le sort de sa mère à une date aussi symbolique, il sait bien que ses propos auront un grand retentissement (inter)national. Incidemment, il rappelle urbi et orbi la centralité de l’icône pour la démocratie dans toutes les manœuvres diplomatiques et partisanes de sortie de crise. Si de telles arrières pensées nourrissent les perspectives de l’opposition démocratique, il en est certainement de même du côté de Nay Pyi Taw.
On ne peut pas écarter l’idée qu’à défaut d’avoir permis aux Envoyés spéciaux chinois et de l’ASEAN de rencontrer ces derniers mois l’ex-dirigeante, la junte ait autorisé, cette première mise en relation, à des fins diplomatiques. En juillet 2023, le ministre des Affaires étrangères thaïlandais l’avait visité sur son lieu de détention en amont des sommets de l’ASEAN qui se profilaient à l’été. Le compte rendu fait par le vice-premier ministre Don Pramudwinai à ses pairs eut un grand retentissement, à défaut de changer radicalement la donne d’un régime militaire birman très isolé. N’en a-t-il pas été de même cette année dans la perspective de la retraite des ministres des Affaires étrangères de Luang Prabang (28 – 29 janvier) ?
Un moment très délicat alors que les militaires courent, depuis la fin octobre 2023, de revers en revers du nord de l’État Shan aux confins rakhines et que s’est installée l’idée que le régime du général Min Aung Hlaing est sur la pente d’un déclin rapide.
Pas d’informations politiques ou carcérales
Le message entre les mains de Kim Aris est d’une longueur inconnue. L’intégralité de son contenu n’a pas été révélée. Elle contient semble-t-il assez peu de détails, si ce ne sont des mots d’affection et des remerciements pour un colis de produits de soins qui lui ait parvenu à la fin de l’année dernière. En dire plus ne serait pas sans danger pour l’auteure du courrier. La dirigeante historique de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) est parfaitement consciente que son échange épistolaire sera lu par ses geôliers et qu’il sera sans lendemain si elle tente d’en dire plus, notamment sur ses appréciations politiques de la crise enclenchée par l’instauration du régime du Conseil de l’administration de l’Etat (SAC).
Le courrier parvenu ne permet donc pas de connaître l’endroit où elle est retenue, ni si elle est bien informée de ce qui se passe au dehors. S’il est généralement admis qu’Aung San Suu Kyi est embastillée à la prison centrale de Nay Pyi Taw, la famille a de bonnes raisons de croire qu’elle est maintenue à l’isolement, sans que l’on sache s’il s’agit d’une banale cellule dans la principale prison de la capitale ou d’un baraquement préfabriqué qui lui aurait dédié.
Un courrier à caractère familial
Il n’y a pas de doute sur l’écrit acheminé jusqu’à Londres. Ce n’est pourtant pas un original du texte mais une simple photocopie reroutée à l’adresse de son récipiendaire familial. La lettre est manuscrite. Kim Aris l’a authentifiée sans hésitation. Il a dit bien reconnaître la graphie de sa mère. Elle comprend quelques éléments intimes. On y apprend ainsi de première main que l’état de santé de l’ex-cheffe du gouvernement n’est pas bon, bien qu’elle semblât garder un solide moral. Il y est confirmé les problèmes dentaires de la prisonnière condamnée à 27 ans de détention.
Depuis plusieurs mois, la rumeur évoquait ce mal et l’absence de soins pour y faire face. Inquiet de ces nouveaux soucis médicaux, sa famille a cherché fin 2023 à lui faire parvenir des médicaments. Kim Aris a précisé en outre que la détenue de 78 ans est également confrontée à une inflammation du cou. Plus généralement, Daw Aung San Suu Kyi souffre de spondylarthrite, une affection douloureuse qui enflamme les articulations de la colonne vertébrale. A ces maux s’ajouteraient, selon une autre source, des infections de la peau dues aux conditions médiocres d’incarcération et à l’impossibilité de disposer de tous les traitements médicaux nécessaires. Une situation présente bien différente du passé. N’oublions pas qu’il y a des années la Dame à l’isolement fut confrontée à un cancer de l’utérus nécessitant son ablation par voie chirurgicale, ce qui fut fait avec succès.
La nature du courrier est incontestablement très familiale. Toutefois, on ne sait pas s’il aborde certains des déchirements qui opposent Daw Aung San Suu Kyi à ses proches, à commencer par ceux entretenus, depuis des années, avec son frère aîné Aung San Oo (80 ans). Or ceux-ci sont de notoriété publique, d’une grande actualité et non sans effets politiques. Le plus spectaculaire porte sur la propriété rangounaise sise au 54 avenue de l’Université où Daw Aung San Suu Kyi a été maintenue 15 ans en résidence surveillée et a vécu jusqu’à sa prise de fonction gouvernementale dans la capitale en 2016.
Alors que ce bien au bord du lac Inya ne pourra pas être juridiquement cédé aux descendants du général Aung San, Aung San Oo n’a pas d’enfant, ceux de Suu Kyi disposent d’une nationalité britannique faisant obstacle à la transmission patrimoniale, l’ex-cheffe du gouvernement n’a jamais caché vouloir offrir toute ou partie de cette propriété de 0,78 hectare à une œuvre de charité. L’opposition démocratique, elle, a énoncé vouloir l’inscrire au patrimoine national, tant cette résidence offerte par le gouvernement à Daw Khin Ky, l’épouse du général Aung San, quelques années après l’assassinat du père de l’indépendance est inscrite dans l’Histoire de la Nation.
En septembre 2022, Duwa Lashi La, le président par intérim du Gouvernement d’unité nationale (NUG), déclara le terrain et les bâtis comme patrimoines culturels, interdisant par là-même leur vente ou leur destruction, sous peine d’éventuelles poursuites judiciaires. Cette bataille juridico-politique engagée par un homme qui est loin d’être dans le besoin va connaître dans quelques semaines une étape de grande importance. Le 21 janvier 2024, la Cour suprême de Birmanie a autorisé la vente des lieux par adjudication. La mise a prix a été fixée à un seuil planché de 315 milliards de kyats, soit approximativement 90 millions de dollars américains. Les personnes intéressées sont invitées à se présenter devant l’adresse de la demeure le 20 mars prochain.
Qui va oser être l’acquéreur ? L’intéressé sera vilipendé, accusé de collusion avec le régime des généraux. La localisation du site peut toutefois attirer bien des convoitises immobilières. Le régime militaire rêve certainement de la disparition d’une maison devenue si symbolique de la marche vers la démocratie du pays et d’où la hauteur des murets Daw Aung San Suu Kyi a harangué les foules de ses partisans à de si nombreuses reprises.
François Guilbert
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