Nous publions ici un extrait de l’article consacré par Le Monde au récent documentaire diffusé par Public Sénat sur le sinologue belge Simon Leys.
Dix ans après la mort de Simon Leys, Public Sénat rend un vibrant hommage à cet intellectuel belge qui a eu le tort d’avoir raison trop tôt, en dénonçant le maoïsme à une époque où celui-ci était vénéré par la gauche germanopratine.
Pour avoir décrypté dès 1971, dans Les Habits neufs du président Mao, les ressorts de la Révolution culturelle – une stratégie de Mao pour garder le pouvoir malgré le criminel échec du Grand Bond en avant –, Pierre Ryckmans (Simon Leys est un pseudonyme) a été ignoré, méprisé, voire traîné dans la boue par ceux qui tenaient le haut du pavé, y compris Le Monde.
Il faudra attendre 1983 pour que Bernard Pivot l’invite à s’exprimer à la télévision, dans un numéro d’« Apostrophes » d’anthologie au cours duquel le sinologue étrille l’une des maoïstes les plus ferventes, Maria Antonietta Macciocchi, également présente sur le plateau.
Le documentaire de Fabrice Gardel et Mathieu Weschler présente à grands traits sa vie, de sa naissance, en 1935, dans une famille bruxelloise à son décès, à Sydney, en 2014, en passant bien sûr par son séjour à Hongkong au milieu des années 1960 et ses six mois comme conseiller culturel à l’ambassade de Belgique à Pékin en 1972. Pourtant, ce film est, en fait, autant consacré aux errements des maoïstes qu’à la biographie du briseur d’idoles.
Myopie collective
Au-delà de Mme Macciocchi, mais également de Philippe Sollers et d’André Glucksmann, le film dénonce toute une génération pour laquelle l’idéologie ne reposait sur aucun savoir. S’il a été, lui aussi, fasciné par le maoïsme, Simon Leys a fait l’effort d’apprendre le chinois, de lire minutieusement la propagande qui parvenait à Hongkong et de discuter avec les réfugiés qui, au péril de leur vie, fuyaient la Chine continentale pour trouver refuge dans la colonie britannique. Un travail de chercheur consciencieux, qui lui valut d’être traité d’« agent de la CIA ».
L’un des principaux intérêts du documentaire est de donner la parole à plusieurs acteurs ou témoins-clés de cette époque, dont Amélie Nothomb, fille d’un diplomate belge qui a directement travaillé avec Ryckmans à Pékin, et surtout René Viénet, l’un des rares sinologues à avoir soutenu Simon Leys dès le début. « On a imposé la vérité contre des gens qui étaient puissants, bien organisés et odieux », témoigne-t-il.
Le documentaire a été diffusé sur Public Sénat ici.
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Malheureusement les mêmes sottises habitent toujours les “intellectuels » français et les doctrinaires politiques. Anti américanisme / anti germanisme / sourires à Poutine
Simon Leys (de son nom Pierre Ryckmans) n’est que l’un des peu nombreux parmi les journalistes et écrivains lucides sur la cruauté des régime totalitaires. Nombreux furent ceux qui la dissimulèrent ou l’ignorèrent. Le cas français n’est pas unique mais il est particulier. Faut-il y voir un lointain écho de la révolution française et de la terreur ainsi que de ses répliques ultérieures ? Une fascination pour l’horrible ? Un ancêtre de la prise de conscience fût André Gide, trainé de force, en 1936, devant le mausolée de Lénine et qui revient avec le courageux et ravageur “Retour d’URSS”. Agonisé par le PCF il réplique et complète le tableau l’année suivante par “Retouches à mon retour de l’URSS”, un réquisitoire encore plus cinglant. C’était préfigurer l'”Archipel du Goulag” publié en France en 1974 et le discours de Solenitsyne lors de la remise de son prix Nobel de littérature. ET pourtant le “Rapport Kroutchev” avit mis la puce à l’oreille dès 1956. Tout en levant le voile sur la réalité soviétique il en dissimulait l’essentiel. L’édifice, lézardé, tint debout jusqu’en 1989. Le “triomphe” du communisme et l’avènement de l’URSS comme puissance mondiale vont alimenter, après la deuxième guerre mondiale, un “anti-américanisme” obsessionnel (J.F. Revel) et une critique du capitalisme et de l’impérialisme qui vont conduire à une “adoration” de régimes totalitaires vus comme des solutions alternatives, des “plans B”, des “utopies “paradisiaques, des “parousies. On peut rappeler les multiples élucubrations des nombreux huriféraires intello-négationnistes : le couple Aragon-Triolet, Eluard, le couple Sartre-Beauvoir (que les évènement de Budapest de 1956 “désintoxiquent” mais vite relayées par l’adoration du “lider maximo”) tous avides d’exotisme politique. La passion pour La Havane va se substituer aux anciennes . D’autres nuances de rouges vont être enfourchées : castriste et son égérie Danielle Mitterrand, guevariste et son chantre Régis Debray. Mao et la Chine vont fournir une nouvelle et puissante énergie à cet appétit exotique mal rassasié ce que d’aucuns vont qualifier de “sinophilie maladive”. Les “Habits neufs du Président Mao” de Simon Leys publié en 1971 vont refroidir l’ardeur des “intellectuels” “germano-pratins”. l’ouvrage, un brûlot, avait pourtant été précédé d’analyses et de descriptions édifiantes sur des régimes politiques frères mais que l’on abandonnait comme de vieux oripeaux, de vielles guenilles : outre Gide, Orwell dans sa dystopie d’avant guerre, A Koestler, jusqu’à R. Aron avaient donné l’alarme mais avaient été occultés ou disqualifiés. La publication , en France, en 1974 de l'”Archipel du Goulag” fera l’effet d’une explosion . La réalité du Goulag est mise à nu. Tout sera fait fait pour discréditer l’auteur, réactionnaire slavophile et stipendié par la CIA et l’œuvre jugée “mal écrite” et” ne reposant sur aucune expérience… vécue”, sic… (Alain Bosquet et A Bouc dans des brèves “dédaigneuses du journal “Le Monde”). La même rhétorique insultante sera reprise , mot pour mot, contre Simon Leys. Les critiques et les insultes provenant du même côté pleuvront, les injures se répandirent jusqu’à l’incendie d’un stand d’exposition de livres à la fac de Vincennes. S Leys persistera et signera : en 1975 publication d “Ombres chinoises” rééditées en 1979. Les critiques se feront plus atténuées, la réalité de l”archipel” ne pouvant être niée et malgré les massacres des khmers rouges qui, ne pourront être dissimulés (les killing fiels) après que le régime ait été encensé par les mêmes (A. Bosquet, P. De Beer, Decornoy du “Monde”, J. Lacouture, surtout le journal “Libération”, maoïste” ultra ; en 1976, Le Kampuchea rejoint la Chine)… sans oublier A Badiou, figure de proue de toutes les révolutions prolétariennes (qui exprimera toutefois ses regrets sur sa position d’alors en 2012). L’aveuglement maoïste et sa variante albanaise va longtemps hypnotiser l’intelligentsia” parisienne plus que française. Des pèlerinages à Pékin se succèderont et donneront des récits saint-sulpiciens de la réalité chinoise et surtout de son “Grand Timonnier”. Un portrait par le médecin personnel de Mao par Li Zhsui, paru en 1994 (“la vie privée du Président Mao : Les mémoires du médecin personnel de Mao, Ed Plon, 668 p. confirmées par l’ouvrage de J.L. Domenach : ” Mao, sa cour et ses complots. Derrière les murs rouges” Ed Fayard, 2012, 566 p) va donner des précisions sur la vie intime et “édifiante” du personnage. La véracité du proverbe chinois selon lequel le poisson pourrit par la tête est abondamment illustrée par cet ouvrage dont les descriptions surpassent toutes les imaginations même débridées. Le Laogaï, le goulag chinois, quand son existence n’est pas déniée, ne peut plus être considéré comme une colonie de vacances… Des cadavres que charrient les fleuves chinois pendant la “révolution culturelle” il n’est pas question. IL nous sera asséné ad nauseam que la “dialectique pouvant casser des briques” le régime et son président étaient à l’origine de multiples prouesses, technologiques, agricoles, industrielles, médicales, etc. La potion va finir par provoquer l’overdose. R Barthes, dans une chevauchée fantastique pékinoise mais encadrée à laquelle le gratin intellectuel parisien se doit de participer regrette d’avoir perdu son temps. Sa complexion affective et sentimentale ont peut-être été le ressort d’un timide dessillement. il constate, dépité, que “Les chinois et les chinoises lui semblent “délavés, incolores, asexués” et s’interroge gravement : “La chine serait-elle une civilisation sans phallus” se demande t-il dans son “Carnet de voyage en Chine” (Ed Christian Bourgois, 2009, 248 p). Et de déplorer son supplice chinois : “avec tout çà je n’aurai pas vu le kiki d’un seul chinois” et de poursuivre en philosophe par une interrogation : “que connaitre d’un peuple si on ne connait pas son sexe ? “. A l’amour va succéder le désamour et avant Tienanmen. L’effet Soljenitsyne avait agi comme un dissolvant et le roi se trouvait de plus en plus nu. L’adoration ne pouvait plus être perpétuelle. Les mêmes qui avaient soutenu, adoré vont se mettre à conspuer. C’est le temps des “nouveaux philosophes”, le temps des Glucksman et plus tard des BHL A Tel Quel” le dégel sera plus lent, la sinophilie est fortement ancrée chez son rédacteur en chef P. Sollers. Son épouse, J.Kristéva ira se réfugier dans la psychanalyse… Les nouveaux philosophes par un retournement dialectique et de veste dont il ont le secret vont brûler leurs idoles et porter les systèmes politiques et économiques hier conspués au pinacle : viennent “La Cuisinière et le Mangeur d’Hommes” d’ A Glucksman en 1975, “La barbarie à visage humain” en 1977″ puis “L’ange” de G Lardreau et C. Jeambet (promu nouvel académicien, ce 8/01/2024) en 1976. Ce sera le début d’une timide reconnaissance puis, venant à résipiscence et pratiquant une forme d’autocritique qu’ils préconisaient et imposaient naguère, d’une contrition penaude et d’une célébration concédée à la lucidité de Simon Leys du moins par certains d’entre eux… Robert Escarpit déclarait que “les intellectuels sont portés au totalitarisme bien plus que gens ordinaires” et bien avant lui Montesquieu “j’aime les paysans, ils ne sont pas assez savants pour penser de travers”
Parmi les nombreux ouvrages sur S. Leys, sa biographie par Philippe Paquet :”Simon Leys. Navigateur entre les mondes”, Ed Gallimard, 2016, 669 pages