Une chronique (très) siamoise de Patrick Chesneau
Ce n’est pas l’écho des savanes mais le fracas du cauchemar remontant des plaines centrales, à quelques heures de Bangkok. Une ville pittoresque était un haut lieu du tourisme en Thaïlande. Lopburi (prononcer Lopbouli) offre désormais la physionomie d’une succursale de la planète des singes. Assiégée par des milliers et des milliers d’énergumènes délinquants. Pire, elle est envahie, submergée. Livrée à l’hystérie de quadrupèdes ivres de vengeance. Des hordes simiesques, tels les gangs sans foi ni loi du Bronx il y a cinquante ans, patrouillent les rues. Nuit et jour. Partout. Les animaux s’insinuent par le moindre recoin de béton lézardé. Une simple échancrure dans un mur ébréché sonne la charge.
Nul besoin de lianes. Les bestioles à ressort sautent de toit en toit, se propulsent à l’assaut des façades d’immeubles, se cramponnent aux balustrades, se suspendent aux câbles électriques, agrippent les rideaux métalliques des magasins, torsadent les grilles des boutiques, arpentent le macadam surchauffé du centre-ville, écument les quartiers vides de promeneurs, s’agglutinent sur les véhicules en stationnement.
Théâtre de violents affrontements entre plusieurs escouades d’agents municipaux formés à la hâte par des équipes de vétérinaires venus de la capitale et des régiments entiers de créatures survoltées, le centre de l’agglomération est à présent exsangue, dévitalisé.
Meurtri après des rafales d’expéditions punitives. Pas une once d’activité économique n’a réchappé de l’avalanche furibarde. Les commerces en berne. Les touristes ont dû fuir à tire d’ailes. Une ville entière, privée de ressources, se paupérise à vue d’œil. A force de privation, de pénurie en denrées alimentaires, de raréfaction des produits de première nécessité et faute de ravitaillement régulier, la disette risque bien de menacer les foyers d’ici peu. Beaucoup plus alarmant, le spectre de la famine pourrait à terme se profiler. Un gigantesque marasme pénalisant gravement les familles pourrait-il à plus ou moins brève échéance pointer le bout de son museau hideux ?
La litanie des fléaux ne s’arrête pas là.
Organisés en foules vociférantes, les singes prennent possession des enceintes des temples, très nombreux en périphérie. Îlots dédiés à la spiritualité. Insuffisant pour adoucir les mœurs de kleptomanes invétérés. D’une grande brutalité, les primates commencent par chaparder, voler, subtiliser. Des razzias méthodiques en mode commando. Puis, les hostilités vont crescendo. Agressifs décomplexés, ils attaquent impitoyablement les rares bipèdes osant encore s’aventurer à découvert. Assoiffés de sang humain. Leur friandise préférée est le rhésus O. Silhouette décharnée et physionomie grimaçante, ils arraisonnent, molestent et détroussent les personnes les plus vulnérables. Passent à tabac les vieillards et les enfants. Les martyrisent. Les clouent d’épouvante avec leur faciès déformé par la haine originelle de l’homo sapiens.
On remarque avec effroi le filet de bave à la commissure de leur bouche lippue, découvrant d’effrayantes dents jaunies, pestilentielles, luisantes dans l’obscurité. Quand ce ne sont pas carrément des crocs dignes d’alligators des Everglades. Spectacle dantesque. Les nuées de malfrats à pelage brun ou gris dévalisent les échoppes en quête de nourriture et de babioles. Ces macaques belliqueux terrorisent la population qui n’a d’autre option que de se barricader.
Une guérilla urbaine grandeur nature se joue ici depuis des mois.
Pour rejoindre sa grand-mère, cette petite fille au courage inouï progresse de pâté de maisons en bloc d’habitations. Elle est armée et met en joue un jeune singe qui voulait lui faire la peau. Peut-être lui infliger des sévices innommables. Elle n’hésiterait pas un quart de seconde à tirer dans le tas.
Dans ce quadrilatère de l’horreur se banalisent de fait les comportements extrêmes. A la limite de la sauvagerie. Buter un singe n’est souvent que le prix de la survie. Un réflexe pour échapper à une mort atroce. Parfois les événements sont tragiques au détriment des terriens. Récit souvent confirmé…les primates s’emparent du fusil d’assaut d’un soit-disant belligérant rencontré au hasard d’une rue transformée en coupe-gorge puis en no man’s land et l’abattent froidement. Brandir une arme automatique et faire feu sans sommation est un modus operandi très répandu chez les brigades de singes nettoyeurs. Ils éliminent les humains. Il leur arrive de dépecer leurs victimes, abandonnant les entrailles fumantes en plein soleil. Sans épargner les écolières qu’ils n’hésitent pas à déchiqueter pour ensuite les ingérer en trois bouchées.
Le rythme soutenu des combats autorise à craindre le pire pour la population autochtone.
A Lopburi règne la loi de la jungle. Une ville ci-devant débonnaire est métamorphosée en empire de la cruauté.
Que fait le reste du monde ?
Patrick Chesneau
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singes langur sont leur terreur