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BIRMANIE – DÉFENSE : La conscription, nouveau champ de bataille entre la junte et son opposition (2/2)

Date de publication : 26/02/2024
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Une analyse de François Guilbert (suite) – Retrouvez la première partie ici.

 

L’état-major de la junte birmane compte bien tirer un avantage psychologique d’une massification de ses troupes. C’est pourquoi il a été souligné, dès l’introduction de la réforme, la vastitude du vivier (14 millions). Implicitement il s’agit de dire à l’opposition : « vous avez peut-être remporté de brillantes victoires militaires depuis le lancement à l’automne dernier de l’opération 1027, humainement coûteuses pour les soldats de la Tatmadaw, mais nous disposons encore de sources conséquentes de recrutement, que nous allons, de surcroît, aller chercher jusque dans vos propres familles, que vous le vouliez ou non ». Pour bien faire comprendre que la conscription va commencer dans quelques semaines seulement, les fonctionnaires font déjà la tournée des maisonnées pour lister tous ceux concernés par l’appel sous les drapeaux.

 

Par ailleurs, l’idée d’activer la loi pourrait également viser à se prémunir d’un élargissement du champ de la guerre en démontrant sa force, l’ampleur de la ressource, son potentiel de renouvellement chaque mois aux ennemis intérieurs et à ceux qui auraient la volonté de leur apporter assistance depuis l’étranger. Une manière de dire que le régime n’est pas près de s’effondrer bien qu’il ait eu à déplorer la perte de plusieurs centaines de points d ‘appui au cours du dernier trimestre. Dernière dimension de la manœuvre psychologique, insécuriser au maximum les jeunes, le cœur battant de la Révolution du printemps, et leurs entourages familiaux qui les ont soutenus jusqu’ici très fermement.

 

Tenir le terrain avec le plus de soldats possibles

 

La remontée en effectif exprime la volonté pérenne des généraux d’en découdre avec l’opposition. Elle pourrait surtout avoir pour vocation de regagner le terrain perdu et limiter la circulation des personnes dans les zones d’affrontements et leurs périphéries en multipliant les points de barrage. La supériorité numérique à défaut d’une combativité à toute épreuve est vue comme une garantie de succès à terme.

 

Pour reprendre la ville de Kawlin aux confins de l’État Kachin et de la région de Sagaing, la Tatmadaw a dû ces dernières semaines engager 800 à 1 000 soldats, ce qui est tout à fait conséquent pour elle. Pour tenir durablement le terrain regagné sur les ennemis, il lui faudra localement se départir de quelques hommes. Ceux-ci ne pourront pas être engagés ailleurs. Dans un tel contexte tactique, la junte a besoin d’hommes au plus vite, connaissant leur environnement et susceptibles d’être déployés aux confins du pays bamar. Cela plaide pour des enrôlements très localisés. Les relais de la junte commencent à le laisser entendre. Ils parlent de droit à la défense des citoyens et à des déploiements d’appelés proches de chez eux.

 

La conscription risque de devenir une nouvelle forme de « milicisation » de la guerre.

 

Cette approche polémologène est tout sauf nouvelle. Jusqu’ici, elle s’appliquait principalement dans les zones où vivent les minorités ethniques (cf. Armée nationale shanni (5PNA), Armée nationale Pa-O (PNA), Brigades des gardes-frontières). Dans l’ouest du pays, cette tactique ne serait, peut-être, pas étrangère aujourd’hui à des tentatives d’enrôlement de jeunes rohingyas dans les camps de déplacés de l’État Rakhine à qui seraient promis la nationalité en échange de leur disponibilité à combattre les hommes de l’Armée de l’Arakan (AA) qui prennent l’avantage actuellement aux quatre coins de la province. Il est tout à fait plausible que l’état-major n’est pas tant l’intention d’enrôler des Rohingyas dans les rangs de la Tatmadaw que de sous-entendre urbi et orbi qu’ils sont des « alliés » afin d’attiser les tensions intercommunautaires contre eux, et faire ainsi porter l’opprobre (inter)nationale sur ceux qui s’en prendraient à eux et/ou à leurs familles.

 

Si donner plus d’épaisseur sociale à la Tatmadaw et à ses régiments est un objectif de court terme, l’état-major du SAC a également des arrière-pensées plus politiciennes en recourant à l’appel de jeunes citoyens, dont bons nombres seront des primo-votants le jour où la junte organisation les élections promises dès le renversement du gouvernement civil de Daw Aung San Suu Kyi.

 

La conscription au service de l’organisation d’élections générales en 2025 – 2026

 

En disposant d’un plus grand nombre de soldats, la junte espère non seulement reconquérir progressivement les territoires perdus depuis deux ans mais aussi suffisamment les pacifier ou les tenir fermement sous sa férule pour organiser sur leur sol des élections ayant un minimum de crédit « légitimant » à l’intérieur voire sur la scène régionale et internationale. Les putschistes aspirent à les tenir au plus tôt. Le ministère de l’immigration et de la population vient de se fixer l’objectif d’avoir terminé le dépouillement du recensement de toute la population programmée pour la mi-octobre 2024 dès décembre de cette année.

 

La date du scrutin est encore loin d’être arrêtée mais il semble qu’il soit toujours dans les plans militaires de le tenir dans la deuxième partie de l’année 2025 ou en 2026. Preuve que l’on est bien dans cette dynamique électorale, c’est auprès des partis politiques réenregistrés que le SAC a commencé sa campagne de communication sur la conscription. Il a été demandé à toutes les formations politiques de relayer le bien-fondé de l’activation de la loi sur la conscription de 2010, en mettant en avant le droit des citoyens à disposer d’une formation militaire.

 

Un scrutin organisé en novembre 2025

 

Au passage, un scrutin organisé en novembre 2025 offrira au SAC d’avoir la main sur près de 90 000 votes de conscrits dont la plupart devrait être des primo votants. Dans ce contexte, on peut faire le pari que ces électeurs ne pourront pas mettre dans l’urne le bulletin de leur choix. Ils devront en outre exprimer leurs intentions dans des bureaux de vote situés dans leur lieu de casernement. Pour mémoire, les élections générales du 8 novembre 2020 s’étaient, pour la première fois, tenues pour un grand nombre des soldats et leurs familles en dehors des bases vie fermées de l’armée. La liberté de vote des conscrits est donc d’ores et déjà très compromise.

 

La conscription : le nouveau cheval de bataille de l’opposition

 

Sur la scène politique intérieure, l’opposition démocratique a décidé de mettre à profit la conscription pour souligner l’attitude va-t’en guerre de la junte et prendre à témoin la communauté internationale. Il s’agit d’interpeller les opinions et les responsables politiques sur une décision visant à mettre à la merci des généraux des millions de personnes. Pour les réfractaires qui décideraient de fuir à l’étranger, le NUG demande aux pays d’accueil de délivrer des visas d’entrée et de leur offrir les opportunités nécessaires à la poursuite de leur éducation. Dans sa campagne de mobilisation, l’opposition a décidé de saisir le Conseil des droits de l’homme des Nations unies et l’Organisation internationale du travail. Les diasporas sont, elles, appelées à faire un maximum de publicité à cette nouvelle décision belliciste du SAC et à mobiliser tous leurs relais d’influence.

 

Pour contenir une polémique qui enfle, la junte cherche d’un seul coup à minimiser l’impact de son choix. Il est dorénavant souligné que toutes les cohortes ne seront pas appelées sous les drapeaux. Comble d’ironie, elle laisse même entendre qu’il y aurait aujourd’hui suffisamment de « volontaires » pour ne pas avoir à faire des appels en nombre dans les prochains mois. On peut en douter. L’activation de la loi sur les réserves pourrait fournir si peu d’ex-soldats décidés à revêtir une fois encore l’uniforme qu’il leur serait promis, en échange d’un nouvel enrôlement, de ne pas être envoyé en première ligne.

 

Pour minimiser autant que faire ce peu ce qu’elle s’apprête à faire la junte dit dorénavant que seulement 27 % de la population est concernée par la conscription et seuls 3,5 % de ce vivier sera appelé chaque année sous les drapeaux. Pas sûr que ces nouvelles données suffisent à rassurer les femmes et les hommes concernées mais aussi leurs familles. Personne ne sachant comment les « heureux élus » seront sélectionnés, il y a fort à parier que de nombreuses personnes susceptibles d’être enrôlées ne reviendront pas à leur domicile après les fêtes du nouvel an bouddhiste et attendront chez des proches de voir comment vont s’opérer les premiers appels de conscrits.

 

En attendant, certains jeunes quittent leurs emplois pour se cacher, d’autres décident de fuir à l’étranger. En Thaïlande, cet afflux est déjà perceptible. Il est si visible que le premier ministre Srettha Thavisin a jugé indispensable de mettre en garde publiquement les Birmans qui pourraient être tentés de franchir la frontière pour échapper à la conscription. Il ne leur a pas caché qu’ils seront poursuivis comme des migrants illégaux, encourant par là-même le risque d’être expulsés et remis aux autorités putschistes.

 

François Guilbert

 

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