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Je ne sais pas si les dirigeants européens présents lundi à Paris pour la conférence de soutien à l’Ukraine se rendent vraiment compte de ce qui se passe là-bas. Je m’interroge en lisant les communiqués de presse de cette rencontre à l’Élysée, alors qu’Emmanuel Macron vient à nouveau de plaider, avec force, pour un soutien militaire accru à Kiev.
Ce qui se passe sur les rives du Dniepr, n’est en effet pas qu’une histoire de missiles, de canons, de stocks d’obus et de munitions. C’est avant tout l’histoire de dizaines de millions d’Ukrainiens soudain pris en étau, dont l’avenir rime avec brouillard. Vu des rives de la Seine, tout est paradoxalement simple. Idem de Berne, où l’on espère que la tenue d’une prochaine conférence de paix en Suisse redonnera vie et attrait à la neutralité, et fera oublier le feuilleton des livraisons d’armes refusées. On analyse. On promet. On envisage. On trace les contours de l’avenir en oubliant que ce peuple assiégé est le seul à pouvoir, in fine, les dessiner.
La Seine n’est pas le Dniepr.
Là-bas, toute une partie du conflit échappe à notre regard et à nos statistiques. Question de culture, d’histoire, de méandres politiques, de méfiance envers l’administration, de peur de la mobilisation. Et pourtant, j’y ai vu ce qui fait aujourd’hui la différence, malgré les revers stratégiques et militaires. L’élan citoyen. La volonté, encore palpable, de tenir face à Poutine. L’énergie d’une nation qui, pour sa plus grande partie, veut croire à nos promesses. Mais j’y ai vu aussi ce que l’Europe (et la Suisse) ne veulent pas voir: l’immense risque de voir ce peuple lâcher prise s’il est abandonné. Le Dniepr, qu’on le veuille ou non, est aujourd’hui un fleuve européen.
Bonne lecture, avec les marins insurgés.
(Pour débattre: richard.werly@ringier.ch)
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L’attrait de la neutralité dont il est question dans l’éditorial pour d’hypothétiques conférences sur l’Ukraine et notamment à Berne (la Suisse étant la marque de fabrique de cet étendard) signifie t-il la neutralisation de la situation sur le front actuel ? Autrement dit la consécration du statut quo ? A savoir la consécration de l’annexion poutinienne de 20 % du territoire ukrainien, d’avant 2014, tel qu’il résulte des règles du droit international relatives au respect de la souveraineté des États tels que délimitée par leurs frontières internationalement reconnues, reconnues par la Russie (accord du 31 mai 1997, entré en vigueur le 1er avril 1999) et violées par celle-ci, pourtant garante de ce droit notamment en tant que membre permanent du Conseil de sécurité ? Une telle ligne se fait actuellement jour et pourrait prévaloir dans la phase actuelle de la guerre. Une ligne “pacifiste” face à une lassitude des pays occidentaux pouvant dissimuler la trahison des pays soutenant, ayant soutenu ou promettant sans suite de soutenir Kiev, activée par les divisions européennes, les réticences américaines et la perspective d’une réélection de R. Trump en novembre 2024 face à un retrait du traité de l’Atlantique Nord et à ses conséquences concernant l’implication américaine en Europe. La description du désarroi des populations ukrainiennes, des destructions et des pertes humaines telles que notre éditorialiste les a constatées sur place pourrait conduire à une telle position que l’on pourrait un moment supposer être celle de R. Wely mais que les lignes suivantes infirment (si j’ai bien compris ?). Une telle issue du conflit comme “gel” des positions et du conflit risquerait de n’être qu’un répit pour de nouvelles agressions poutiniennes. L’annexion des sudètes en 1938 par Hitler et sa “promesse” “pacifiste” avalisées par les malencontreux accords de Munich en est un exemple. La poursuite des annexions et pour finir la guerre s’en suivirent à commencer par la Tchécoslovaquie. C’est probablement dans cette perspective possible que la président français a déclenché un “électrochoc” à l’issue de sa prise de parole devant 20 chefs d’État et de gouvernement le lundi 25 février 2024 à l’Élysée et sa confirmation le jeudi 29. La poursuite de l’aventure poutinienne, les risques qu’elle fait peser sur la totalité de l’Ukraine, les menaces sur la Transnistrie que les services de renseignements occidentaux semblent attester qui passeraient nécessairement par la prise d’Odessa et du sud-ouest de l’Ukraine. Le risque majeur serait celui d’une agression d’un pays frontalier de la Russie et membre de l’OTAN que la géopolitique poutinienne n’a cessé de considérer comme étant de sa zone d’influence ” naturelle” si ce n’est davantage. Les mécanismes de sécurité collective pourraient être déclenchés et conduire à une étape ultérieure du conflit, y compris nucléaire ce que la maître du Kremlin n’exclue nullement dans ses menaces dignes du docteur” Folamour” au risque, assumé (dans la jubilation ?) de la destruction de son propre pays. La situation actuelle connait une difficulté particulière qui se situe, peut-être, à un tournant : les réticences voir le refus de la Chambre des Représentants du Congrès américain de poursuivre son soutien financier auprès de Kiev (60 milliards de dollars) et plus encore des suites qui résulteraient d’une réélection de R. Trump. Les propos du président français prennent acte d’une telle hypothèse et d’une situation nouvelle depuis 1945 dans laquelle les européens seraient aux avant- postes d’une confrontation avec la Russie. L’évocation de l’envoi, dans une “dynamique” possible ( et que les états majors doivent envisager) de “troupes au sol” en Ukraine n’a surement pas été improvisée. Elle a été proférée à dessein afin de mobiliser les énergies défensives et offensives européennes pour une situation vraisemblable. Que les opinons publiques mal informées et non préparées se déclarent hostiles à une telle perspective est compréhensible Que les réactions des dirigeants européens soient négatives, elles n’en déclenchent pas moins des réflexions, brisant ainsi un tabou, sur des scénarios à envisager et à construire. Les jours qui suivirent cette allocution choc, il apparaissait que plusieurs pays, y compris l’Allemagne (dont la contribution à l’effort de guerre est bien supérieure à la France) entretenait des “forces” à l’appui de l’usage de certains outils militaires sophistiqués (que nécessiteraient les missiles “taurus” d’où les hésitations sur leur livraison du chancelier Scholz) et de renseignements. Les réactions ont eu pour effets de révéler des nuances et des divergences sur la marche à suivre et de donner quelques satisfactions au régime russe et à son chef (qui n’a pas manqué de réagir essentiellement par une huitième menace nucléaire) et aux pacifistes de toutes les confessions politiques qui se révèlent en “poutinolâtres” passés et futurs (les “troupes mais … de Poutine”) de l’hexagone, financés ou non… Un manque de coordination préalable a été déploré et aurait, pour certains, éviter de donner le change au kremlin… à moins que l’effet attendu (?) des propos “disruptifs” présidentiels aient eu pour but ou auront pour effet effet de multiplier les livraisons de matériels militaires en quantité et en qualité à ‘Ukraine afin d’éviter l’envoi de troupes au sol. Si cette direction avait été prise plus tôt en serions nous là ? C’est semble -t-il la réflexion implicite de notre éditorialiste… En est-il encore temps ? Une réorientation vers un soutien significatif et en dépit des divergences concernant une approche en termes d'”autonomie stratégique” prônée par la France que ne partage ni les ex-pays de l’Est et l’Allemagne semble avoir été amorcée. Une telle réorientation ne peut qu’être lente dans des systèmes de décisions démocratiques complexes comprenant de nombreux Etats. Mais l’achat groupé d’armes, missiles et surtout obus, les commandes de matériels auprès des usines qui ont cessé d’en produire depuis 30 ans et qu’il faut soutenir et garantir un plan de production pérenne semblent avoir été actés (déclarations de Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur et à la défense ; augmentation significative du budget des armées français et surtout allemand, etc.). Un choc salutaire du Président français à la hauteur des idéaux que la France affiche, loin des renoncements et complicités dont elle s’est rendue responsable naguère… et, sans doute, qu’elle ne veut pas reproduire … Quelques raisons d’espérer pour R. Werly ? Winston Churchill, au lendemain de la conférence de Munich, aurait adressé cette pique à Neiville Chamberlain : “Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre”. E. Macron aurait -il lu l'”Art de la guerre” de Sun Tzu ( 535 -544 -?- av. J.C.) pour qui “la meilleure stratégie est celle qui permet d’atteindre ses objectifs sans avoir à se battre” ?