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THAÏLANDE – POLITIQUE : Thaksin Shinawatra, le milliardaire qui entend bien peser sur l’avenir du royaume (2/2)

Date de publication : 01/03/2024
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Thaksin Shinawatra Thaïlande

 

Une analyse en deux volets de Philippe Bergues

Volet 2 : La reconquête

 

Le rappel de ce feuilleton politique de 2023 est nécessaire pour comprendre l’évolution de la pensée de Thaksin quant aux modalités de son retour d’auto-exil en Thaïlande. Rien n’a été possible sans l’assentiment des premiers cercles du Palais et du roi Vajiralongkorn lui-même, dont la grâce a ramené la peine de prison de Thaksin de huit ans à un an.

 

Avec un scénario d’août 2023 à février 2024, allant de la « prison-hôpital » avec traitement VIP à la libération conditionnelle et au retour dans sa maison. Thaksin a compris qu’il fallait composer avec la puissante monarchie thaïlandaise et donner des gages d’allégeance. Ce qui ne fut pas toujours le cas dans son parcours politique.

 

Dans la première moitié des années 2000, Thaksin, auréolé par ses victoires électorales à l’époque du Thai rak Thai, était vu par les élites militaro-royalistes comme un homme politique populiste faisant de l’ombre au Palais. Il faut se rappeler les portraits géants de Thaksin Shinawatra, surtout dans les campagnes du Nord-Est, mais pas que, portraits qui, à l’époque, ont été perçus par les conservateurs comme un irrespect total vis à vis du roi Bhumibol, vénéré et révéré au moment de ses 60 ans de règne en 2006. L’année du jubilé de diamant. Pour les hauts gradés militaires proches du Palais, les membres du Conseil Privé du Roi, les grandes familles détenant des monopoles économiques acquis avant Thaksin, il devenait inquiétant de voir un leader politique remettre en cause les équilibres traditionnels et leurs propres intérêts. Démocratie élitiste contre démocratie populiste.

 

Thaksin a compris postérieurement qu’après les coups d’État de 2006 et de 2014, il ne devait plus « concurrencer » l’institution monarchique.

 

Bernard Formoso, universitaire français ethnologue, avec des décennies de terrain en Thaïlande, écrivait dans « Sociétés civiles d’Asie du Sud-Est continentale » (ENS Editions -2016), ouvrage collectif sous sa direction, le récit de l’ascension de Thaksin : « À partir de la fin des années 1990, le magnat des télécommunications, Thaksin Shinawatra, s’imposa comme la figure de proue de cette politique managériale et son plus charismatique idéologue. Parvenu aux plus hautes fonctions grâce à la plateforme promotionnelle que lui offrait son empire médiatique et à son immense fortune comme moyen de garantir l’allégeance d’un parti d’affidés, le Thai rak Thai (TRT), il utilisa très intelligemment les ressorts psychoaffectifs du clientélisme pour fidéliser un large pan de l’électorat sur le long terme. Tirant un bon parti tactique du changement du mode d’élection instauré par la Constitution de 1997, il se posa lors de la campagne électorale de 2001 en patron bienveillant des petites gens. Alors qu’auparavant chaque candidat à la députation prenait artisanalement appui sur les personnalités influentes de la vie locale érigées en « têtes de votes » (hua khanaen) pour acheter les électeurs ou leur promettre des aides en cas de succès, Thaksin reprit la démarche à son compte mais selon un rapport direct à l’ensemble de l’électorat. Il affirma que s’il devenait Premier ministre il mettrait en œuvre un moratoire sur les dettes rurales, instaurerait un minimum vieillesse, allouerait pour la mise en œuvre de projets locaux une somme d’un million de bahts (environ vingt-cinq mille euros) à chaque village du pays et qu’il garantirait l’accès de l’ensemble de la population au système de santé public sur la base d’un forfait modique (trente bahts, soit soixante-quinze centimes d’euro). En tenant ses engagements une fois aux affaires il déclencha à grande échelle le réflexe de gratitude qui cimente traditionnellement les rapports de clientèle au sein des sociétés bouddhistes d’Asie du Sud-Est. Cette gratitude, renforcée par le crédit qu’il acquit comme patron fiable car tenant ses promesses, se manifesta par une loyauté électorale durable de la part d’une majorité de petits exploitants agricoles du Nord et du Nord-Est. D’autant que ceux-ci avaient jusqu’alors été les grands laissés-pour-compte de la croissance et que l’attitude bienveillante de Thaksin tranchait avec le mépris dont ils font traditionnellement l’objet de la part des milieux éduqués de Bangkok au nom de leur supposée arriération ».

 

Thaksin Shinawatra, fort de son aura et de ses succès électoraux de 2001 et de 2005, était devenu aux yeux des défenseurs de la royauté un « concurrent » du roi Rama IX, d’autant qu’il s’attribuait les mérites du mieux-vivre des populations paysannes du Nord-Est grâce à sa seule politique. Oubliant les programmes royaux existants en faveur de ces populations défavorisées, un « lèse-majesté », pour ses adversaires politiques conservateurs du parti démocrate à l’époque et pour certains généraux, plus éloignés du système Thaksin.

 

Une série de protestations importantes en faveur de la protection de la monarchie fut orchestrée par un ancien proche de Thaksin et patron de médias, Sonthi Limthongkul, avec l’aval du puissant président du Conseil privé du roi et ancien premier ministre, le général Prem Tinsunalonda. Sous le nom de l’Alliance du peuple pour la démocratie (APD).

 

La raison principale qui élargit en février 2006 le nombre de manifestants anti-Thaksin dans les rues de Bangkok fut la révélation de la vente à des investisseurs singapouriens (de la holdingTemasek) de son groupe de télécommunications Shin Corp., avec d’énormes profits défiscalisés. A la faveur d’une loi que Thaksin avait fait voter au Parlement. Un imbroglio politico-électoral s’en suivi : pressé par la rue, Thaksin organisa un scrutin législatif anticipé que son parti d’alors, le Thai rak Thai (TRT : « Les Thaïs aiment les Thaïs ») remporta, mais ces élections furent boycottées par l’opposition et invalidées par le Conseil constitutionnel pour irrégularités dans l’organisation du vote. A la tête d’un gouvernement de transition, Thaksin fut finalement renversé par un coup d’État militaire le 19 septembre 2006, alors qu’il était à l’Assemblée Générale de l’ONU à New York. Le roi Bhumibol donna son aval à ce coup de force de l’armée.

 

Thaksin Shinawatra a depuis tiré les leçons de son renversement par l’armée en 2006, tout comme sa sœur Yingluck l’a été le 22 mai 2014, après avoir haut la main remporté les élections de 2011 sur le slogan « Thaksin pense, le parti agit ». Tombé en disgrâce et contraint à l’auto-exil, Thaksin a pu méditer pendant de longues années les modalités de son retour en Thaïlande. Ni sa proximité prétendue avec l’actuel souverain alors qu’il était encore prince héritier, ni son rapprochement avec la princesse Ubolratana en 2018, empêchée par ordre royal de se présenter comme tête de liste d’un parti satellite du Pheu Thai aux élections de 2019, ne l’auront permis.

 

Thaksin a dû attendre le mois d’août 2023 avant de pouvoir reposer le pied sur le sol siamois. Grâce à un concours de circonstances politiques où chaque partie, élites militaro-royalistes et Thaksin lui-même (et les cadres dirigeants du Pheu Thai) y ont vu un intérêt commun. Sur le dos des réformateurs du Move Forward. Mais il semble dorénavant que la latitude de l’action de Thaksin soit encadrée. Plus question, comme dans la première moitié des années 2000, de paraître comme un concurrent de la monarchie.

 

D’ailleurs, de multiples gages sont montrés, comme sa longue prosternation devant le portrait du roi Vajiralongkorn et de la reine Suthida, dès son arrivée le 22 août dernier à l’aéroport Don Muang, avec deux épinglettes royales bien visibles sur le revers de son costume. N’oublions pas qu’une évaluation des propos de Thaksin pouvant avoir diffamé la monarchie à Séoul en Corée du Sud, en mai 2015, est toujours en cours, au titre de l’article 112 ou crime de lèse-majesté. Et enfin que sa sœur Yingluck, ancienne cheffe de gouvernement du printemps 2011 à mai 2014, attend son heure pour revenir de son exil volontaire en espérant une justice clémente.

 

En « vieux routier » de la politique siamoise, ayant appris des années 2000, Thaksin n’obèrera pas les chances de sa fille Paetongtarn de devenir, au moment opportun, la deuxième femme du royaume à devenir Premier ministre. Une Shinawatra, comme sa tante, la première de l’histoire.

 

Philippe Bergues

 

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