Une analyse de François Guilbert
Le 29 février, un nouvel avion de l’armée de l’air au service de la junte s’est scratché. L’accident a eu lieu dans la région de Magway mais dans une zone alors exempte de combats. Le MIG-29 de fabrication russe n’a pas été abattu par la résistance, ses pilotes ont pu s’éjecter. Il semble avoir été victime d’une défaillance technique, ce qui n’est pas rassurant pour autant pour l’état-major. En effet, cet accident vient s’ajouter à la perte d’un chasseur Guizhou JL-9 à la mi-janvier 2024 dans le ciel kachin. Au total, depuis la prise du pouvoir par le général Min Aung Hlaing en février 2021, les militaires putschistes auraient perdu au minimum 8 plateformes aériennes de leur arsenal. Au-delà de ce chiffre élevé dans un conflit armé asymétrique, le nombre des destructions ne cessent d’augmenter depuis douze mois. 4 ont été enregistrées en 2023 et déjà 3 depuis le début de l’année 2024.
Pannes en série pour l’armée de l’air birmane
Ce n’est pas la première fois qu’une plateforme de combat est confrontée à une panne sévère allant jusqu’à la destruction de la machine. Il y a quelques semaine un avion venu récupérer des soldats en perdition en Inde s’est pulvérisé au bout de sa piste d’atterrissage dans le pays voisin. En novembre 2023, un autre aéronef a, lui, été perdu dans l’Est du pays. Les causes de sa chute n’ont pas été clairement établies. La résistance a proclamé l’avoir abattu. Ce n’est pas exclu. Des combattants de l’Armée de l’indépendance kachin se sont affichés avec apparemment des systèmes de missiles sol-air portatifs chinois FN-6. Reste à savoir s’il a eu un lien de causalité entre les deux événements.
Faire face à un risque croissant d’interception sol-air
A l’avenir un tel scénario sera toutefois, de plus en plus, plausible. Parmi les armes saisies par les groupes de résistance depuis le début de leur offensive du 27 octobre 2023 figurent des équipements de défense anti-aérienne. Quelques-uns ont été exhibés avec fierté et détermination sur les réseaux sociaux.
Ce changement de donne va devoir être intégré dans les plans de bataille des états-majors et va peser sur le moral des pilotes. Jusqu’ici, ils ne risquaient pas grand-chose de la part de leurs ennemis lors des attaques air-sol. Dorénavant, il n’en est plus de même. Si ce facteur devient une réalité incontestable, cela portera un coup important à l’avantage tactique de la junte sur la résistance armée. D’une certaine manière, la peur changera de camp. C’est pourquoi, les observateurs scrutent si l’Armée unie de l’État Wa (UWSA) livrera des missiles sol-air portatifs (MANPAD) car elle seule en dispose. Toutefois, jusqu’à maintenant, elle s’est abstenue d’en donner ou en vendre à quiconque. Tout changement de posture en la matière suscitera une vive inquiétude régionale, chez le parrain chinois d’abord mais également les quatre autres pays voisins qui ne manqueront pas de craindre de voir tomber ces armements sensibles entre des mains hostiles, insurgés (ethniques, islamistes) et/ou groupes criminels.
Des bombardements aériens appelés à durer
Pour autant, il ne faudrait pas surestimer l’effet de dissuasion des armes ayant changé de camp. Il est peu probable que les opérations de bombardements aériens diminuent en nombre et en intensité rapidement. Leurs effets sur les théâtres d’opération sont pourtant limités mais ils participent à la volonté sans faille des chefs du Conseil de l’administration de l’Etat (SAC) de terroriser toutes les populations apportant leur soutien ou leur sympathie aux insurgés.
Les opérations d’attaque air-sol sont d’ailleurs conduites sans le moindre discernement. Au cours des derniers jours, elles se sont traduites par la destruction de plusieurs hôpitaux dans l’Etat Rakhine (Minbya, hôpital général de Ramree). Là étaient pourtant soignés des civils mais également des personnels de la Tatmadaw blessés en opération. Les soldats de la junte font fréquemment les frais, eux-aussi, de ces opérations aveugles décidées par leurs chefs. La semaine dernière un prisonnier aurait été tué lors de la prise pour cible d’un objectif kayin selon des informations rapportées par l’Union nationale karen (KNU). Le nombre des victimes collatérales de ces bombardements indiscriminés va donc continuer inexorablement à progresser.
Une flotte pour partie obsolète et mal entretenue
Heureusement, toute la flotte au service de la junte n’est pas mobilisable. Les experts militaires estiment aujourd’hui à plus de 20 % le nombre des aéronefs indisponibles. Cette incapacité ne frappe pas seulement les équipements les plus anciens. Elle concerne également des matériels livrés dans un passé récent.
Parmi les matériels concernés figureraient en bonne place les sept chasseurs multi-rôles JF-17, produits conjointement par la Chine et le Pakistan. Leur maintien au sol serait le fait de difficultés de maintenance mais aussi de problèmes de structures sur les appareils. Des fissures seraient apparues sur les cellules. Au-delà des problèmes de conception existant sur certains types de machines, le problème numéro 1 de la junte est celui de la maintenance.
L’emploi intensif des avions mais également des hélicoptères imposent des révisions plus fréquentes. Il nécessite de disposer en quantités des pièces détachées pour le maintien en conditions opérationnelles. Or, ce n’est pas le cas. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation délicate. Si la Birmanie dispose d’une industrie de l’armement terrestre, en matière aéronautique elle dépend totalement de pays tiers, en premiers lieux, la Russie, la Chine, l’Inde et le Pakistan. Il n’est pas certain que le SAC ait parfaitement anticipé la forte croissance de ses besoins en pièce détachées parfois anciennes, ait mis en place les budgets indispensables et dispose même des techniciens qualifiés en nombre suffisant.
Le maintien des matériels en conditions opérationnels (MCO) n’a jamais constitué la première priorité de la Tatmadaw, y compris pour une armée de l’air modernisée depuis la nomination du général Min Aung Hlaing aux fonctions de commandant-en-chef des services de défense en 2011. Dans ce contexte, non seulement des avions se voient immobilisés ou cannibalisés pour assurer le bon fonctionnement de leurs semblables mais les pilotes sont amenés à voler sur des machines peu fiables. Une situation qui ne peut qu’insécuriser les équipages qui partent au feu et volent sur des avions chinois et russes ayant parfois plus d’un quart de siècle.
Des matériels souvent inappropriés pour les opérations à conduire
L’indisponibilité des machines conduit à un autre effet pervers, l’emploi de cellules inadaptées aux missions. Recourir à des hélicoptères de transport pour faire de l’appui feu n’est pas idoine. Les engins sont plus vulnérables jusqu’à des armements légers et de petits calibres.
Bien qu’il soit difficile d’établir les raisons de chaque sinistre ; en 2023/24, la junte a perdu 3 hélicoptères de transport (un Dauphin non armé le 29 janvier 2024 ; 2 MI-17 le 3 février 2023 et le 3 janvier 2024) et 2 avions d’entraînement K-8 de fabrication chinoise (juin et novembre 2023). Jusqu’ici, aucun des matériels les plus modernes n’a cependant été détruit mais dans le cas des 4 SU-30 arrivés récemment sur les aérodromes birmans, il n’est pas certain qu’ils aient été encore engagés dans des opérations de guerre. Ils le seront probablement à brève échéance car le SAC a besoin d’e succès sur le terrain. Il n’en est pas moins confronté à un véritable paradoxe : plus il engage ses forces dans la bataille, plus il perd de territoires. Plus l’armée est mobilisée, plus elle perd de sa substance et de son crédit (inter)national. Preuve d’une nouvelle défaite, la junte vient d’imposer la loi martiale dans deux cantons du nord de l’État Shan (Mabein, Mongmit) portant ainsi à plus de 60 townships les territoires sous régime d’exception.
François Guilbert
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