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ASIE DU SUD-EST – POLITIQUE : Le népotisme, une maladie régionale

Date de publication : 14/04/2024
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Gibran Jokowi Indonésie

 

Gavroche est une plate forme de plus en plus appréciée des chercheurs auxquels nous ouvrons volontiers nos colonnes. Nous avons le plaisir d’ici d’accueillir une contribution du professeur Jean Luc Maurer, spécialiste de l’Indonésie, professeur au Graduate Institute de Genève. A lire sans hésitation. Et à débattre.

 

Népotisme, le mal politique majeur dont souffre l’Asie du Sud-Est

 

Jean-Luc Maurer

 

Le népotisme à visée dynastique est un fléau qui ravage pratiquement tous les pays asiatiques, quels que soient leur régime politique et il sévit sous des formes plus ou moins aiguës du Sous-continent indien à l’Extrême-Orient. Ainsi est-ce le cas, du Pakistan, où les familles Bhutto et Sharif se disputent le pouvoir dans un régime hybride instable (quand l’armée ne s’en empare pas) depuis la partition de 1947, et de l’Inde, la soi-disant « plus grande démocratie du monde » où la dynastie des Gandhi a largement dominé la vie politique nationale depuis la même époque, à la Corée du Sud, où la fille du dictateur Park Chung-hee, qui a dirigé le pays de 1962 à 1979, lui a succédé de 2013 à 2017 et à la Corée du Nord, où le népotisme atteint sa forme la plus pure avec une dynastie rouge des Kim qui se transmet le pouvoir de père en fils depuis la partition de la péninsule en 1948. Les dix pays d’Asie du Sud-Est, y compris la Thaïlande sur laquelle se concentre en priorité Gavroche, ne font pas exception à la règle.

 

Prabowo, l’homme du 14 février

 

En Indonésie, l’élection très confortable le 14 février dernier du général Prabowo Subianto à la tête du pays, avec pour colistier Gibran Rakabuming Raka à la vice-présidence, démontre une fois de plus combien le népotisme à visée dynastique est un facteur dominant dans la vie politique de la plupart des pays membres de l’ASEAN. Le premier, âgé de 73 ans, est en effet l’ancien gendre du général Suharto, qui a dirigé la dictature militaire sous laquelle a vécu le pays de 1966 à 1998, et le second est le fils de l’actuel président Joko Widodo (dit Jokowi), qui préside depuis 2014 une démocratie considérée comme la troisième plus grande du monde depuis 1998. En outre, la présidente de l’Assemblée nationale et troisième personnage de l’État par ordre d’importance est Puan Maharani, fille de Megawati Sukarnoputri, elle-même à la tête du pays 2001 à 2004, et petite-fille de Sukarno, le père de l’indépendance nationale et son premier président de 1945 à 1966.

 

Le très populaire président sortant, à l’origine petit entrepreneur n’appartenant pas à l’oligarchie politique, militaire et financière dirigeant le pays depuis toujours, a fait tout ce qu’il pouvait pour favoriser l’élection d’un Prabowo au passé chargé, pourtant son rival acharné lors des élections présidentielles en 2014 et 2019 devenu son ministre de la Défense en 2020. La contrepartie était qu’il prenne sous son aile son fils aîné Gibran, âgé de 36 ans, avec l’espoir qu’il veille à la perpétuation de son héritage politique, accède tôt ou tard à la présidence et lui permette de fonder sa propre dynastie politique. Il a fallu pour cela que la Cour constitutionnelle, incidemment présidée par son beau-frère, change la règle fixant à 40 ans l’âge minimum pour pouvoir briguer un tel poste ! Cela porte un coup très grave à une démocratie qui avait déjà fortement décliné sous son égide.

 

Les Philippines voisines ont certainement quant à elles battu le record du monde du népotisme parmi les démocraties parlementaires lors des élections présidentielle de 2022 quand Ferdinand Marcos Jr. (dit Bombong), fils de son père éponyme, le dictateur corrompu de triste mémoire qui a dirigé le pays de 1965 à 1986, a été triomphalement élu flanqué à la vice-présidence de Sarah Duterte, fille du président sortant populiste Rodrigo Duterte qui s’est illustré par sa violence et sa vulgarité pendant les quatre années de son mandat. Bien que cette alliance népotiste semble avoir du plomb dans l’aile depuis quelques mois, elle n’en constitue pas moins un brillant cas d’école.

 

Hun Sen, de 1985 à 2023

 

Au Cambodge, le premier ministre Hun Sen, au pouvoir pratiquement sans interruption depuis 1985 (quatrième record de longévité dans l’histoire récente du monde) a transmis en 2023 le pouvoir à son fils, Hun Manet, avec l’appui unanime d’un parlement godillot où son parti occupe 120 des 125 sièges. Il a ainsi créé une véritable dynastie qui domine désormais celle des Norodom, montée sur le trône du royaume Khmer en 1860 et dont le dernier représentant, Sihamoni, n’a pas d’enfant et plus aucun pouvoir réel.

 

En Thaïlande, le népotisme est au cœur du système politique national puisque la dynastie royale des Chakri est au pouvoir depuis 1782 et que le pays est régi depuis 1932 par une monarchie constitutionnelle. Entre deux coups d’État militaires (dont le pays détient le record en Asie) ce népotisme monarchique s’est renforcé récemment d’une composante « roturienne » avec l’émergence du clan Shinawatra. Son patriarche, Thaksin, a en effet été Premier ministre de 2022 à 2006, poste auquel sa sœur Yingluck lui a succédé de 2011 à 2014, alors que sa fille, Paetongtarn, a pris la tête du parti actuellement au pouvoir et pourrait bien perpétuer la tradition familiale à l’avenir.

 

À Singapour, le Premier ministre Lee Hsien Loong, au pouvoir depuis 2004, est le fils de Lee Kuan Yew, le père de la petite république au régime autoritaire et de son développement spectaculaire sur laquelle il a régné depuis sa création en 1959 jusqu’en 1990.

 

En Malaisie voisine, le népotisme est à la fois présent et moins patent du fait que le pays est une monarchie parlementaire fédérale à la tête duquel les sultans des différents États membres se succèdent à tour de rôle chaque année à titre protocolaire, alors que le pouvoir politique est dans les mains d’un Premier ministre élu démocratiquement. Quant au sultanat de Brunei, il n’y a guère à disserter sur sa nature népotique et dynastique puisque c’est une monarchie absolue sur laquelle règne depuis 1964 le sultan Hassanal Bolkiah qui y a imposé la sharia en 2014.

 

En ce qui concerne la Birmanie, où sévit actuellement une terrible guerre civile depuis le coup militaire sanglant de 2021 privant « l’icône démocratique nationale » Aung San Suu Kyi de la victoire écrasante qu’elle avait remporté dans les urnes, rappelons quand même que cette dernière est la fille d’Aung San, père de l’indépendance nationale birmane proclamée en 1947, quelques mois avant son assassinat.

 

Enfin, pour clore ce tour d’horizon des dix pays membres de l’ASEAN, notons que le népotisme à visée dynastique est moins apparent au Vietnam et au Laos, où l’opacité des régimes communistes en place brouille la vue (à l’instar de la Chine), mais que les familles des personnalités politiques au pouvoir bénéficient largement de cette proximité pour truster les postes lucratifs dans les entreprises publiques et privées et amasser de confortables fortunes. Mais on tombe alors là sur un problème de corruption endémique qui est commun à tous les pays de la région.

 

Le népotisme à visée dynastique fait donc partie de la culture politique de tous ces pays et ne va pas disparaître facilement. Il complique en tous cas beaucoup toute transition vers la démocratie dans ceux qui sont encore régis par des régimes monarchiques ou autoritaires ainsi que l’approfondissement de cette dernière dans ceux qui ont déjà adopté un tel système. On peut faire l’hypothèse qu’il facilite au contraire les processus de stagnation et de régression démocratique auxquels on a assisté ces dernières années dans plusieurs d’entre eux.

 

Jean Luc Maurer

 

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