Nous reproduisons ici une études des services économiques du Crédit Agricole.
Un détail qui n’en est pas un : l’entreprise Octopus, qui fabrique des cartes à puce rechargeables utilisées dans les transports et nombre de commerces hongkongais a annoncé le lancement d’une nouvelle carte valide dans plus de 300 villes de Chine continentale. Mais le véritable changement est presque invisible : c’est la compatibilité monétaire qu’il offre, celle de payer avec un seul compte en yuans ou en dollars hongkongais, là où les anciennes applications exigeaient des comptes séparés.
Mais est-ce la Chine qui fait un pas vers Hong Kong et l’ouverture de son compte financier – le yuan étant une devise non convertible – ou bien une nouvelle étape du processus de digestion de la région par son grand voisin, initiée avec la première loi de sécurité nationale imposée en juillet 2020, après des mois de contestation ?
Le contexte actuel laisse à penser que la deuxième option est la plus crédible, d’autant que Hong Kong vient de se doter d’une nouvelle loi de sécurité nationale, qui vient compléter celle de 2020 en ajoutant cinq catégories d’infractions : la trahison, l’insurrection, l’espionnage, le sabotage et l’ingérence étrangère. Le texte élargit également la notion de « sédition » en l’appliquant à la direction communiste et au système socialiste chinois, et en punissant plus lourdement ce délit avec des peines allant jusqu’à sept ans de prison. Cette loi s’appliquerait également aux infractions présumées commises à l’étranger.
Les entreprises étrangères ont exprimé leur inquiétude vis-à-vis de ce texte qui pourrait impacter leurs activités à Hong Kong, à l’image de ce qu’elles connaissent déjà en Chine, notamment sur le sujet de la gestion des données. Elles anticipent également une hausse des coûts de mise en conformité pesant sur leurs charges, et donc leur rentabilité.
Or, l’économie hongkongaise ne s’est jamais totalement remise de ces temps agités par le Covid et les manifestations. Après trois années de récession (2019, 2020, 2022), la croissance a redémarré en 2023, mais moins vigoureusement que prévu. Elle a ainsi atteint 3,2%, quand le gouvernement – qui avait déjà revu sa prévision à la baisse au cours de l’année – attendait 3,4%. Ce dernier anticipe pour 2024 une croissance entre 2,5% et 3,5%, mais a indiqué que le contexte extérieur (tensions géopolitiques et ralentissement du commerce international) pourrait conduire à revoir ce chiffrage.
Quatre ans plus tard, les stigmates visibles du Covid et des manifestations
L’héritage des années zéro Covid et de la répression musclée des manifestations contre la loi sur la sécurité nationale se lit surtout dans l’absence des touristes, qui pèse sur la demande. Sur les douze derniers mois, le nombre de visiteurs internationaux plafonnait à 65% de son niveau de 2018. En conséquence, les ventes au détail n’ont jamais vraiment redémarré et les taux de vacance ont augmenté dans les centres commerciaux, alimentant les pressions sur un marché immobilier déjà ébranlé par les difficultés de la Chine continentale.
Si les autorités avaient massivement soutenu l’économie entre 2020 et 2022, en lançant par exemple des programmes de bons d’achat pour tous les résidents, afin de soutenir la demande domestique et de compenser en partie la fermeture des frontières, elles sont revenues à une politique budgétaire plus conservatrice en 2023. La contribution des dépenses publiques à la croissance a ainsi été nulle ou négative tout au long de l’année passée.
Les autorités monétaires (HKMA) doivent aussi composer avec un environnement de liquidités sous contraintes. Les pressions sur le taux de change – pour rappel le dollar hongkongais est en parité fixe par rapport au dollar et doit évoluer dans une bande de fluctuations comprise entre 7,75 et 7,85 HKD pour 1 USD – se sont allégées par rapport à 2022 et 2023. La bande supérieure avait ainsi plusieurs fois été atteinte, contraignant la HKMA à intervenir. En revanche, l’économie hongkongaise doit toujours faire face à des sorties de capitaux, en raison d’un profil de risque/rendement dégradé : la parité fixe suppose que la HKMA applique les mêmes hausses de taux que la Fed américaine, alors même que les univers d’inflation et de crédit peuvent être très différents, et surtout les actifs hongkongais ont enregistré de mauvaises performances ces derniers mois.
La HKMA doit aussi composer avec un solde global (somme des dépôts des banques pour le règlement des paiements interbancaires et des paiements entre les banques et la HKMA) au plus bas depuis dix ans, et donc un univers de liquidités beaucoup plus resserré, traduisant à la fois la faiblesse de la demande interne et les pressions externes exercées par les retraits de capitaux. L’annonce d’un desserrement monétaire côté américain pourrait permettre d’apporter un peu de respiration, même si les taux longs hongkongais se situent maintenant au-dessus des taux américains, laissant présager d’une baisse très progressive, même en cas d’assouplissement.
Notre opinion
L’économie hongkongaise se rapproche de plus en plus de celle de la Chine continentale. Ce rapprochement s’effectue par une multitude de canaux : judiciaire, avec la promulgation de la nouvelle loi sur la sécurité nationale, même si Hong Kong se targue encore de maintenir un environnement juridique plus favorable aux entreprises ; monétaire, avec des transactions facilitées entre le yuan et le dollar hongkongais, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent ; ou encore démographique, avec le lancement d’une politique de visa de travail visant des profils chinois très diplômés commençant à porter ses fruits. Les arrivées du continent visent à remplacer les plus de 200 000 travailleurs expatriés occidentaux et hongkongais, partis entre 2020 et 2022.
En pleine mutation, l’économie hongkongaise semble pour l’instant subir les désavantages de chaque monde, alors que sa force avait toujours été au contraire de prendre le meilleur des deux systèmes. Les investisseurs et travailleurs occidentaux ont été échaudés par les années Covid et redoutent maintenant les effets de la nouvelle loi de sécurité nationale sur le cadre des affaires. Mais Hong Kong doit toujours composer avec les décisions de politique monétaire américaine et leur impact sur son univers de liquidités.
L’intégration avec la Chine continentale est réelle, mais intervient dans une phase de net ralentissement de la croissance, et alors que les autorités chinoises cherchent elles aussi les solutions pour faire évoluer leur modèle, très pénalisé par sa dépendance au secteur immobilier. Face à ces contraintes, Hong Kong possède néanmoins toujours de quoi faire face aux vents contraires : une montagne de réserves (plus de 420 milliards de dollars, soit 115% du PIB), fruit d’années d’excédent courant et de gestion budgétaire parcimonieuse, et une dette quasi nulle. De quoi tenir si besoin.
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