Une chronique tirée des archives de notre mensuel Gavroche
Originaires du sud de la Chine, Tai-noirs et Tai-blancs forment un groupe ethnique de langue thaïe, non converti au bouddhisme, vivant principalement au nord-ouest du Vietnam, mais aussi au Laos, en Thaïlande et en Chine. Le sinologue Henri Maspero a recueilli sur place leurs légendes, en Annam, au début du XX° siècle.
« Les Tai-blancs de Phu-qui racontent, qu’à l’origine, la terre et le ciel étaient tout près l’un de l’autre, si bien qu’en pilant le riz, les femmes frappaient le ciel de leur pilon, et que les bœufs en marchant le frottaient de leur dos : les hommes gênés demandèrent que le ciel s’élevât et il prit sa place actuelle. »
« Chez les Tai-noirs de Nghia-lo, après avoir décrit le monde habité par des êtres humains qui n’étaient pas encore les ancêtres des hommes d’aujourd’hui, au temps où le ciel était si bas que les bœufs le touchaient de leur bosse, et qu’en pilant le riz, les femmes le touchaient de leur pilon, il vient à la création des hommes actuels : celle-ci commence par une inondation. » (1)
Ces récits nous paraissent étranges. Aucune explication plausible de ces mythes n’a pu être fournie. Et comme sur tout ce qu’ils ne peuvent expliquer, les chercheurs ont jeté un voile pudique sur ces textes, relégués au fin fond de quelques rares bibliothèques d’érudits. Pourtant, ces récits, ces mémoires existent bien. L’humain, ici les Thaïs qui les rapportent, en font même le fondement, le début de leur existence.
Au fondement, au début de l’existence de tout être humain, se trouve son embryogenèse, sa vie fœtale. Or il existe depuis quelques années une nouvelle lecture des mythes. Ceux-ci figureraient inconsciemment une mémoire fœtale de la vie utérine. Selon le compte-rendu d’une expérience embryonnaire subie par un psychiatre, « la génétique, la biochimie, la mythologie et l’histoire de l’évolution lui semblaient inextricablement mêlées, représentant différents aspects du même phénomène.»(2)
“Le ciel était si bas que les bœufs le touchaient de leur bosse”.
Souvenirs de la vie du fœtus, ce nouveau point de vue nous révèle que ce bœuf qui frotte le ciel de son dos figurerait le fœtus qui frotte la membrane utérine de son dos, que ce pilon qui touche le ciel figurerait le cordon ombilical qui touche la membrane utérine, que l’inondation originelle figurerait la chute des eaux amniotiques à la naissance.
« A l’origine, la terre et le ciel étaient tout près l’un de l’autre », à l’origine, la vie était utérine jusqu’à la naissance, « l’inondation », le « ciel qui s’élève et prend sa place actuelle ».
Ce « pilon qui touche le ciel » ne constitue pas la seule réminiscence du cordon ombilical dans les mythes (c’est-à-dire dans les souvenirs du fœtus) d’Asie du Sud-Est, loin de là. Nous rencontrons également une liane ; une liane d’une grande hauteur qui jaillit d’un étang; une liane dont tous les hommes font leur nourriture quotidienne ; une liane, qui, abattue, permet au territoire d’être exposé à la lumière (c’est la naissance) ; un lotus ; un pilier de feu ; un arc ; un pont de rotin ; un lien ; ou encore, le fameux serpent naga, gardien du monde souterrain, réminiscence du monde utérin.
François Dor
Juriste de formation, François Dor a consacré plus de vingt années à la rédaction d’un livre sur cette découverte fondamentale des mythologies, mémoires de la vie fœtale.
(1) H. Maspéro, Légendes mythologiques dans le Chou-King, Journal Asiatique, janvier-mars 1924, pages 96 et 65.
(2) S. Grof, L’esprit holotropique, éditions du Rocher, 1996, page 161
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