La bataille se poursuit pour le contrôle de la ville frontalière de la Thaïlande, entre les rebelles et l’armée Birmane.
Décryptage de notre expert François Guilbert
Depuis la prise des campements du 275ème bataillon d’infanterie le 10 avril, les forces armées de la junte n’ont plus le contrôle à la frontière thaïlandaise du nœud commercial de Myawaddy (14 % du commerce terrestre ; 1,15 milliard de dollars d’échanges sur l’année budgétaire 2023 – 2024). Pour autant, leurs vainqueurs se gardent bien de consacrer d’importants moyens à l’administration de l’espace urbain qui s’est ouvert à eux. Pour mener à bien cette tâche ad minima, ils s’appuient entre autres sur des partenaires ethniques récemment ralliés.
A ce stade, il s’agit surtout d’éviter des combats fratricides avec l’Armée bouddhiste démocratique karen (DKBA) et l’Armée nationale karen (KNA) dont les soldats de la junte sauraient immédiatement tirer profit. Les Karens et leurs alliés font en effet face non pas à un bloc compact de la Tatmadaw mais à des adversaires dispersés par petits groupes dans l’environnement.
Éclatement géographique
Si cet éclatement géographique pèse sur la force de frappe des hommes de la junte, il est tout autant un obstacle pour les Karens aux ressources humaines et à la puissance de feu limités.
Convaincus que le Conseil de l’administration de l’État (SAC) entend reprendre rapidement manu militari le terrain perdu avec l’opération portant le nom du fondateur de la dynastie Konbaung « Aung Zeya », l’Union nationale karen (KNU) maintient sur le qui vive ses unités en périphérie pour parer à toute offensive d’ampleur. Des opérations de nettoyage menée avec des drones d’attaque se poursuivent. Elles visent notamment un réduit à proximité du pont de l’amitié n°2 qui relie la Birmanie à la Thaïlande, près duquel se sont repliés depuis une semaine 150 à 200 soldats de la junte.
Le 20 avril, le colonel commandant de la 44ème division d’infanterie légère de la Tatmadaw y a d’ailleurs perdu la vie. Cette opération initiée par la résistance karen et ses alliés a eu pour conséquence de faire fuir en 48 heures plus de 3 000 personnes vers la Thaïlande dont 44 % d’enfants et de personnes âgées. A leurs arrivées, elles ont été efficacement prises en charge par les autorités locales et des organisations caritatives puis installées dans les camps temporaires de Baan Wang Takian (province de Tak).
La Thaïlande sur le qui vive
Ces réfugiés pourraient bien être rapidement suivis par des centaines d’autres. Pour venir en aide à ses hommes en difficulté, Nay Pyi Taw a décidé d’abondamment bombarder la zone. Le fracas des bombes s’entend jour et nuit jusqu’à Mae Sot depuis le 20 avril. Les fumées des incendies y sont également visibles. Pas de doute, la guerre est toute proche de la Thaïlande. La proximité de la ligne de démarcation internationale a conduit l’armée royale thaïlandaise à être en alerte 24 heures sur 24.
Elle fait patrouiller ses drones et ses avions F-16 afin de faire obstacle, si nécessaire, à toute intrusion dans son espace aérien. Le ministère des Affaires étrangères a, de son côté, fait savoir par note verbale à l’ambassade birmane de Bangkok qu’aucune violation de la souveraineté territoriale du Royaume sera tolérée. Au sol, ce sont des fantassins qui ont été envoyés en mission pour surveiller les rives de la rivière séparant les deux pays. Localement la situation est devenue si tendue, si incertaine que le premier ministre Srettha Thavisin a décidé d’y faire une tournée d’inspection le 23 avril, suivant en cela celle de son ministre des Affaires étrangères il y a tout juste une semaine.
Des combats intenses vont se poursuivre
La population civile est convaincue que les combats vont se poursuivre voire s’intensifier. Pour protéger les leurs, par centaines les résidents de la région cherchent à emprunter les ponts de l’amitié mais les postes frontières au numéro 2 comme au numéro 1 sont régulièrement clos du côté birman. Les migrants y campent mais les points de jonction sont devenus, dans les faits, dysfonctionnels. À défaut de passer par la voie terrestre, ils s’activent à traverser la rivière Moei pour trouver refuge en Thaïlande.
A mesure que les bombardements aériens se multiplient et les incendies d’habitations se propagent, les populations se positionnent sur les berges. Ils y sont très dépendants pour leur sécurité du bon vouloir des gardes frontières thaïlandais. Revenir en arrière n’est guère une solution pour eux. La Tatmadaw n’hésite pas à ouvrir le feu sur des fuyards, y compris depuis ses plateformes hélicoptères. Le bilan victimaire est difficile à établir mais il ne fait aucun doute que les civils sont délibérément ciblés. Des blessés par balles ou éclats d’obus ont dû être pris en charge par le système hospitalier thaïlandais. Il est à craindre que ce ne soit qu’un début.
La junte conduit une contre-offensive brutale
Les fêtes du nouvel an bouddhique ont vu plusieurs unités de la Tatmadaw chercher à converger vers Myawaddy. Venues des États Môn et Kayin, elles mobilisent plusieurs centaines d’hommes appuyés par des véhicules blindés. Les combattants du Parti du nouvel État Môn (NMSP), des Forces de défense du peuple (PDF), de l’Organisation nationale de défense karen (KNDO) et de l’Armée nationale de libération karen (KNLA) tiennent à distance leurs adversaires. Ils combinent assez bien ensembles. Selon leurs dires, ils infligent même de sérieuses pertes en hommes et en matériels (ex plusieurs véhicules blindés, un hélicoptère (non confirmé)) à leurs ennemis communs. Le chiffre d’une centaine de soldats mis hors de combat circule. Il n’est confirmé par aucune source indépendante. Il n’en révèle pas moins l’intensité des affrontements en cours et la détermination des parties.
Si le sort de la bataille est loin d’être encore joué, une fois encore la Tatmadaw est à la peine. Ses convois sont harcelés si forts qu’ils sont bloqués à plusieurs dizaines de kilomètres de Myawaddy. L’enjeu de la reconquête est énorme pour le général Min Aung Hlaing. La perte du poste frontière et sa région est coûteux symboliquement, financièrement et militairement. Elle ouvre la voie à des opérations de confrontations militaires le long de l’axe stratégique de l’Asia Highway mais elle porte surtout un rude coup aux finances publiques de la junte.
Désormais, 60 % des sites générant ses revenus douaniers sont passés aux mains des groupes armés d’opposition.
Il n’est pas certain pour autant que cette nouvelle donne économico-militaire dispose le SAC à accepter d’ouvrir des discussions sur un processus de sortie de crise. L’ASEAN voudrait certainement y croire encore. Mais le peu d’écho donné a la déclaration conjointe des ministres des Affaires étrangères du 18 avril n’incite guère à l’optimisme. Les gouvernements d’Asie du Sud-Est n’en sont donc qu’à constater la « récente escalade des conflits notamment dans la région de Myawaddy » et à exhorter dans le vide « toutes les parties à cesser immédiatement la violence, à faire preuve de la plus grande retenue et à respecter le droit international humanitaire ».
François Guilbert
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