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BIRMANIE – CONFLIT : Au chevet de la Birmanie, les bons offices de Thaksin Shinawatra et Hun Sen 

Date de publication : 13/05/2024
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Pour suivre l’évolution semaine après semaine du conflit birman, une seule source francophone : Gavroche Thaïlande.

 

Une analyse politique de François Guilbert

 

Deux ex-premiers ministres de l’ASEAN, le thaïlandais Thaksin Shinawatra et le cambodgien Hun Sen, ont décidé de jouer les bons offices sur le dossier birman. Leurs interactions entreprises sont loin de correspondre aux canons d’une diplomatie sécrète et silencieuse. L’un et l’autre veulent même que leurs intermédiations se sachent urbi et orbi.

 

Deux diplomaties parallèles de rang primo-ministériel se mettent en place

 

Dans les deux cas de figure, les deux ex-chefs de gouvernement jouent leur partition propre. Ils ne font même pas semblant d’impliquer leurs autorités nationales et les chefs de la diplomatie de leur pays. Il est vrai qu’à Bangkok comme à Phnom Penh, premiers ministres et ministres des Affaires étrangères leurs doivent leurs éminentes responsabilités actuelles. Par ailleurs, ils assument tous depuis peu leur portefeuille, moins d’un an, voire quelques semaines seulement dans le cas du thaïlandais Maris Sangiampongsa.

 

Il semble toutefois que du côté bangkokien la manœuvre engagée ait été peu coordonnée par le chef du gouvernement de 2001 à 2006, tout au moins, on feint de le laisser croire officiellement afin de ne pas froisser Nay Pyi Taw. Si à Phnom Penh, on souligne du côté officiel la notoriété internationale du désormais président du Sénat, met en avant son empathie pour une dirigeante incarcérée longtemps fréquentée et à la santé incertaine, et rappelle son implication personnelle dans le dossier birman né du coup d’État du 1er février 2021 lors de la présidence tournante de l’ASEAN de 2022, à Bangkok, Srettha comme Maris s’emploient, eux, à insister sur une initiative très personnelle de leur mentor. Deux approches communicationnelles différentes mais qui n’en mettent pas moins les deux leaders au centre du jeu aseanien sur la Birmanie.

 

La Birmanie est un bon moyen pour valoriser l’importance des Ex

 

Par leur activisme, les deux hommes affirment également leur centralité dans leur politique nationale. Ils ont beau jeu de mettre en avant leur expérience gouvernementale pour justifier leur rôle sur le dossier birman. Les deux jeunes septuagénaires font surtout valoir tout leur poids politique intérieur en s’emparant à bras le corps du principal dossier diplomatique Sud-Est asiatique, au risque de court-circuiter leurs officiels en charge. Ils le font néanmoins sans risque. S’ils échouent dans leur tentative de médiation, personne ne leur rapprochera tant la crise birmane semble dans une impasse politico-militaire. A contrario, s’ils réussissent à faire bouger les lignes, leur prestige n’en sortira que grandi, notamment à l’étranger où leur image respective n’est pas au zénith et à la hauteur de leur égo. Ils deviendraient alors des interlocuteurs incontournables de tous les dirigeants et États voulant, eux aussi, jouer un rôle d’importance dans la sortie de crise, à commencer par la Chine, l’Inde, le Japon et les États-Unis.

 

Force est de constater, depuis quelques semaines, combien Bangkok et Phnom Penh tirent dans le même sens. Les deux capitales se montrent les plus proactives de l’ASEAN. Il est vrai qu’ailleurs, on doit faire face à des défis politiques intérieurs majeurs : passations de pouvoir à Singapour (17 mai) et Jakarta (20 octobre), préparations du 9ème plenum du Comité central du Parti communiste vietnamien après les démissions imposées des présidents de la République Vo Van Thuong (20 mars) et de l’Assemblée nationale Vuong Dinh Hue (2 mai), confrontations navales sino-philippines brutales en mer de Chine du sud. Les démarches médiatrices engagées par les deux leaders ne diffèrent pas dans leur objectif de désescalade des violences mais, pour l’heure, dans les personnes rencontrées.

 

Thaksin se veut l’interlocuteur des groupes ethniques armés et de leurs alliés démocrates

 

Confrontés à des combats à la frontière occidentale et susceptibles de s’en affranchir, Thaksin Shinawatra a pris langue avec les oppositions armées qui y sont sises. A Chiang Mai, il s’est ainsi entretenu en trois fois avec les dirigeants de plusieurs groupes ethniques (Armée de l’Etat Shan (SSA), Conseil de restauration de l’État Shan (RCSS), Organisation nationale kachin (KNO), Parti national progressiste karenni (KNPP), Union nationale karen (KNU)) mais également avec la façade gouvernementale de l’opposition démocratique (NUG) et leur a offert quelques oboles.

 

Ces contacts n’ont pas impliqué les groupes de résistance les plus étroitement inféodés à la Chine ou ceux enkystés aux frontières du Bangladesh (Rakhine) et de l’Inde (Chin). La préoccupation « thaksinienne » immédiate porte d’abord sur les territoires contigus au Royaume. Leur belligènéité est susceptible d’être une source de migrations de masse, d’affrontements transfrontaliers et de ralentissements économiques. Trois dommages que la Thaïlande entend minimiser autant que faire se peut.

 

L’intérêt pour une solution stabilisatrice de la Birmanie n’est par ailleurs pas dénué d’ambitions stratégiques chez le guide du Pheu Thai Party. Elle peut l’aider à renouer avec ses calculs géoéconomiques passés vis-à-vis de la région du Grand Mékong, et des partenariats renforcés avec le Laos et le Cambodge, étant entendu que Thaksin et Hun Sen n’ont pas cessé d’échanger y compris pendant les 15 années d’exil de l’ex-premier ministre thaïlandais.

 

Les ambitions « birmanes » de Thaksin n’en créent pas moins des turbulences jusque dans l’organisation du gouvernement Srettha. La démission surprise le 27 avril du vice-premier ministre Parnpree Bahiddha-Nukara en a été une des premières manifestations spectaculaires. Il en est probablement de même de celle du vice-ministre des Affaires étrangères Sihasak Phuangketkeo qui vient de suivre (8 mai mais effective à son retour de Tokyo le 13 mai).

 

Ce diplomate à la carrière des plus brillantes a joué un rôle de premier plan au sein du groupe de travail chargé de l’aide humanitaire aux personnes déplacées en Birmanie et dans la redéfinition de l’approche thaïlandaise de la crise. S’il lui a été certainement difficile de se voir coiffer ministériellement par un ex-collègue, plus jeune et bien mois capé, il est à craindre que la rupture ait été consommée sur des divergences plus profondes.

 

A Nay Pyi Taw, on doit se réjouir de cette évolution tant, ces dernières semaines, Parnpree et Sihasak se sont montrés des interlocuteurs exigeants pour la junte. Dès lors, le général Min Aung Hlaing va-t-il répondre positivement au souhait de Thaksin de venir en visite dans son pays ? Pourquoi pas ! Les chefs de la Tatmadaw ont de bonnes raisons de penser qu’ils (re)trouveront en Thaksin un interlocuteur « compréhensif ». Pour l’instant, silence radio du côté de Nay Pyi Taw sur ce point. Notamment parce que l’on n’a guère gouté à son échange ayant associé la KNU et le NUG. L

 

e porte-parole de la junte ne s’en est d’ailleurs pas caché en mettant en garde l’ex-premier ministre pour le caractère contre-productif de ses contacts avec des groupes « terroristes ». A cette invitation en rupture avec l’attitude distancielle des autorités de Bangkok, le gouvernement d’opposition s’est pourtant montré très prudent. Invité à dépêcher un ministre, il s’est « contenté » de missionner l’un de ses hauts fonctionnaires « pour voir ». C’est toutefois suffisant pour Thaksin qui a la volonté d’apparaître comme un médiateur crédible.

 

L’ex-premier ministre cambodgien poursuit un dialogue de gouvernement à gouvernement

 

Hun Sen a, lui, entrepris un dialogue plus direct avec le général Min Aung Hlaing. Le 7 mai, il s’est entretenu par visio-conférence avec le chef de la junte. Si la presse officielle birmane s’est empressée de rendre compte de l’événement, les thèmes d’échanges rapportés diffèrent singulièrement de ceux rendus publics par les Cambodgiens. D’un côté, on dit avoir évoqué les élections générales et le recensement à venir des électeurs, les concours cambodgiens à la lutte contre la COVID-19 et aux victimes du cyclone MOCHA, la mise en œuvre de la Feuille de route en 5 points et la participation du SAC à l’ASEAN.

 

De l’autre, on dit s’être d’abord enquis du sort et de la santé de Daw Aung San Suu Kyi et avoir réitéré une demande d’entretien en tête-à-tête avec elle mais également avoir exhorté à la réconciliation les parties au conflit et la mise en œuvre des Cinq points de consensus de l’ASEAN. Les divergences sont importantes mais le SAC semble disponible à poursuivre les discussions. La junte envisage une mission prochaine d’un Envoyé spécial pour poursuivre les discussions avec le président du Sénat cambodgien. Elle ne cache pas qu’elle en fera également un élément de propagande puisque celui-ci sera chargé d’entrer en contact avec la Commission nationale des élections du Royaume. Mais un contact avec la prix Nobel de la paix, pas question a répondu le porte-parole de l’armée. Cela créerait des perturbations préélectorales dommageables au pays (sic !).

 

En bonne place des discussions à venir figure néanmoins les relations du gouvernement-SAC avec l’ASEAN. Hun Sen a invité son interlocuteur putschiste à faire représenter son pays par une personnalité « non-politique » aux prochaines échéances de haut niveau de l’organisation régionale qui interviendront la troisième semaine de juillet. Reste à savoir si le SAC se conformera à cette attente, comme il l’a fait en janvier dernier, pour la première fois, lors de la retraite des ministres des Affaires étrangères de Luang Prabang.

 

Une chose est sûre cela ne devrait pas être Daw Marlar Than Htike, la directrice générale des organisations internationales des Affaires étrangères. Elle a été désignée le 7 mai comme ambassadrice de la junte auprès de la République Socialiste Démocratique du Sri Lanka. Mais pour s’assurer d’une nouvelle présence du SAC aux réunions prochaines des instances suprêmes de l’ASEAN, l’Envoyé spécial de la présidence, l’ambassadeur laotien Alounkeo Kittikhoun n’aura d’autre choix, dans quelques temps, que de se rendre à Nay Pyi Taw. Ce sera l’occasion pour Vientiane de ne pas apparaître totalement évincé d’un des dossiers majeurs de sa présidence par le numéro de duettiste khmèro-thaïlandais en cours.

 

François Guilbert

 

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