Une analyse de Philippe Bergues
Une jeune militante thaïlandaise est décédée mardi 14 mai pour avoir osé penser différemment, et s’en prendre à l’article 112 du code pénal ou crime de lèse-majesté qui punit de 15 ans d’emprisonnement « quiconque diffame le roi, la reine, le régent ou la famille royale ». Cette loi liberticide pour la protection d’une monarchie vient donc de faire une victime emblématique. Rien ne prédestinait Netiporn Sanesangkhom, au surnom de « Bung Thaluwang » à une telle issue. (Bung pour chenille et Thaluwang qui signifie « percée du Palais », nom d’un groupe activiste pro-démocratie favorable à une réforme de la monarchie). Provenant d’une famille plutôt aisée et conservatrice, son père juge et sa sœur avocate, Bung faisait de brillantes études selon la biographie posthume publiée sur le site Khaosod.
Des réactions compassionnelles et accusatrices
La députée du parti Move Forward, Rukchanok Srinork, elle-même en liberté sous caution alors qu’elle fait appel d’une peine de 6 ans pour crime de lèse-majesté et délits informatiques, a été parmi les premiers responsables politiques à réagir à ce drame : « je voudrais exprimer mes condoléances pour le décès de Bung. Exiger le droit à une libération sous caution est un droit fondamental que les gens devraient avoir tout en continuant à défendre leur cause » a t-elle posté sur son compte X. L’un des leaders du mouvement des « Chemises rouges », Nattawut Saikuar, a déclaré que « personne ne devrait mourir parce qu’il pense différemment » et a appelé à la libération d’autres militants détenus pour crime de lèse-majesté.
Pannika Wanich, dirigeante du Progressive Movement, bannie à vie de mandat politique et ex co-fondatrice du Future Forward Party, aujourd’hui dissous, a tweeté « qu’il fallait faire comprendre à la société thaïlandaise que les personnes dissidentes ne méritent ni la mort, ni la prison ». Et a rappelé que trois autres activistes étaient toujours en grève de la faim en prison. Dont la plus médiatique est Tantawan, l’étudiante aux cheveux rouges, qui a usé d’happenings de rue pour des sondages variés sur l’institution royale. Des internautes thaïlandais anonymisés ont exprimé leur colère sur les réseaux sociaux face à cet événement tragique, notamment en comparant les sorts différenciés du traitement judiciaire de Thaksin Shinawatra en retour d’exil et des accusés de l’article 112 du code pénal.
Quelques ambassades occidentales en Thaïlande (États-Unis, Royaume Uni, Suède) et la délégation de l’Union Européenne à Bangkok, à l’heure où j’écris ces lignes, ont posté des messages de condoléances et de compassion à l’égard de la famille et des amis de « Bung ». L’ensemble des pays aux valeurs démocratiques, prônant la liberté d’expression, se souviendra sans aucun doute de la situation présente face aux ambitions officielles de la Thaïlande qui postule pour rejoindre le Conseil des droits de l’homme à l’ONU.
Il est vraiment dommageable que le parti Move Forward, large vainqueur des élections il y a juste un an jour pour jour, n’ait pas été entendu dans sa proposition de débat démocratique et civilisé sur une réforme du crime de lèse-majesté au Parlement. Presque tous les partis ont tourné le dos au MFP. Netiporn Sanesangkhom va incontestablement devenir le visage et le symbole de l’injustice de la loi de lèse-majesté, qui a vu près de 300 accusés à son titre, dont des mineurs, depuis 2020 et des militants condamnés jusqu’à 50 ans de prison pour acte diffamatoire envers la monarchie. Combien de morts pour le même motif faudra t-il encore pour que les acteurs politiques thaïlandais prennent conscience que l’image internationale de la Thaïlande pâtit de cette loi considérée comme « rétrograde et inhumaine » par l’ONU à chaque Examen périodique universel (EPU) ?
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