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CAMBODGE – CINÉMA : Le réalisateur franco-Cambodgien raconte Pol Pot au festival de Cannes

Date de publication : 20/05/2024
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Rendez-vous avec Pol Pot

 

Nous reproduisons ici un article publié sur le site de France Info, dont nous vous recommandons la lecture.

 

Inlassable travailleur de la mémoire de son histoire et de celle de son pays, le cinéaste franco-cambodgien Rithy Panh réalise depuis trente ans des documentaires pour raconter la folie meurtrière d’une idéologie radicale mise en œuvre dans le sang par les Khmers rouges et leur guide Pol Pot au Cambodge entre 1975 et 1979. Une folie qui a coûté la vie à deux millions de ses compatriotes, parmi lesquels tous les membres de sa famille, alors qu’il n’était encore qu’un adolescent.

 

Il a choisi cette fois la fiction pour évoquer cette expérience dictatoriale extrême, et inédite. Avec ce nouveau long-métrage, Rithy Panh dresse le portrait en creux du despote, et dépeint ce régime génocidaire à travers le regard d’un trio d’Occidentaux invités pour rendre compte de la révolution, et désireux de rencontrer son leader. Présenté jeudi au Festival de Cannes dans la sélection Cannes Première, le film sort dans les salles le 5 juin 2024. A l’issue de la projection, le réalisateur, dans un geste de gratitude, a serré les trois comédiens dans ses bras, en commençant par Irène Jacob.

 

Paul Thomas, un photographe (Cyril Gueï), Lise Delbo (Irène Jacob), une journaliste aguerrie, ainsi nommée en hommage à la résistante Charlotte Delbo, et Alain Carillou (Grégoire Colin), un professeur et intellectuel, militant d’extrême gauche, ancien camarade de faculté de Pol Pot, effectuent un voyage au Kampuchéa démocratique à l’invitation du régime.

 

Phnom Penh vidée de ses habitants

 

Sous haute surveillance, on leur concocte une visite à la gloire du régime et de son dirigeant, “Frère numéro 1”, dont les discours sont diffusés en boucle dans des haut-parleurs crachotant, et sa personne déclinée sous toutes ses formes par des artisans, sculpteurs et peintres surveillés de près.

 

Les trois Occidentaux espèrent une entrevue avec Frère Numéro 1. Ce serait un scoop pour la journaliste qui a de nombreuses questions à lui poser sur les zones d’ombre du régime, et la réalisation d’un rêve pour Alain, aveuglé par son engagement politique et sa foi en la révolution.

 

Dans cette attente, ils se plient aux exigences de leurs guides geôliers. Mais la réalité affleure et peu à peu, ils perçoivent ce que cache cette révolution utopique : un pays exsangue, une population affamée, des civils massacrés, et un culte de la personnalité poussé à l’extrême. La ville de Phnom Penh vidée de ses habitants, dans un silence de mort, des cadavres dans les marécages, des visages émaciés par la faim…

 

Paul, excédé par l’impossibilité pour lui de faire son métier, tente de prendre des chemins de traverse. Lise essaie de poser des questions non prévues au programme. Seul Alain, qui voue un culte solide à son vieil ami Pol Pot et l’idéologie marxiste, continue à y croire…

 

“Le génocide, c’est aussi le silence”

 

Pour restituer une histoire passée, Rithy Panh avait jusqu’ici fait parler dans ses documentaires les témoins, comme dans S21, la machine de mort khmère rouge, en 2003, ou les bourreaux, comme dans Duch, le maître des forges de l’enfer en 2011.

 

Avec ce nouveau long-métrage, librement adapté du livre d’Elizabeth Becker, Les Larmes du Cambodge : l’histoire d’un autogénocide, le réalisateur met en place un dispositif scénique original, qu’il avait déjà expérimenté dans L’Image manquante. Le film mêle des scènes de fiction classique, des archives, et des séquences dans lesquelles sont mises en scène des figurines sculptées et peintes, qui rejouent dans un décor miniature l’expérience vécue par les trois protagonistes.

 

“Rendez-vous avec Pol Pot” de Rithy Panh, présenté au Festival de Cannes 2024, sera en salles le 5 juin 2024.

 

Cette mise en scène habile et efficace permet au réalisateur de figurer le drame qui se joue en coulisses, et que les autorités s’évertuent à cacher à la vue des visiteurs : la faim, la terreur, la mort. “Le film interroge ce qu’on voit, ce qu’on ne voit pas. Le génocide, c’est aussi le silence. On ne voit rien, on n’entend rien. Les grandes terreurs correspondent souvent à un terrible silence”, souligne Rithy Panh dans la présentation de ce film, qui constitue une variation supplémentaire et éclairante au travail de mémoire qu’il creuse film après film.

 

Au travers du regard des trois protagonistes, qui sont là chacun à sa manière pour observer et témoigner, le cinéaste décortique le processus de cette mise en œuvre radicale d’une idéologie, et les dérives qui en découlent. Il montre l’absurdité d’un système et pointe la vision idéalisée et la posture passive du monde occidental.

 

Le langage est au cœur de ce nouveau film de Rithy Panh.

 

Le réalisateur met en scène ces mots, ces concepts, ces éléments de langage qui nourrissent la dictature, orchestrent la manipulation, justifient les massacres. “Les mots sont des âmes, et les politiques savent très bien que les mots sont des âmes et savent comment chauffer le peuple, qui la plupart du temps ne comprend pas la puissance des mots. Le peuple fonctionne à l’émotion et certains en profitent pour le manipuler. Les gens vont peut-être penser que c’est un film sur l’horreur, mais ce n’est pas ça le sujet. Le sujet de mon film, c’est la manipulation, l’idéologie, le langage et quel est le rôle de chacun là-dedans”, estimait Rithy Panh dans une interview à franceinfo la veille de la projection officielle.

 

Rithy Panh s’est glissé dans la peau de Pol Pot, ou plutôt dans une silhouette, l’ombre menaçante d’un dictateur omniprésent et invisible, réduit à une voix. Avec ce nouveau film, le réalisateur cambodgien ajoute une pierre à son travail de mémoire dans un geste cinématographique d’une grande liberté, qui diffuse dans le cœur du spectateur une onde glaciale, salutaire en ces temps de guerres assassines et de radicalisation politique.

 

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