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BIRMANIE – CONFLIT : Au Bangladesh, l’armée recrute des miliciens

Date de publication : 22/05/2024
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arakan army

 

Par François Guilbert

 

La guerre civile birmane déborde désormais jusque sur le sol du Bangladesh. Non seulement, sous les coups de boutoir des insurgés de l’Armée de l’Arakan (AA), des centaines de soldats de la Tatmadaw y ont trouvé, ces derniers mois, des refuges temporaires mais dans les camps de réfugiés de Cox’ Bazar on recrute désormais en nombre (+ 900?) pour aller combattre en Birmanie. Des milices locales forcent les juvéniles à traverser la frontière pour se battre pour les mêmes militaires qui ont fait d’eux des réfugiés. Quelles que soient les causes qu’ils vont aller servir, les enrôlés sont appelés à faire de la chair à canon dans l’État Rakhine et appelés à commettre rapidement eux-mêmes des crimes de guerre.

 

La plupart des enrôlements se font sous contraintes

 

Dans leur grande majorité, ces hommes ne sont pas des volontaires. Ils sont pas ou peu conscientisés politiquement. Certains de ces garçons sont encore de jeunes adolescents. Mais sous la contrainte d’un groupe, d’un chef (ex. majhis) ou de trafiquants humains, la perspective d’une maigre solde pour la famille ou l’espoir d’un quelconque papier d’identité, ils sont happés vers les lignes de front.

 

Sans formation militaire sérieuse préalable, ces combattants néophytes vont, malheureusement, rapidement grossir les statistiques des victimes de la guerre civile qui ensanglante la Birmanie. Leurs commandants n’en ont cure. Ils ont surtout besoin d’effectifs et de sangs frais. Les plus empressés et les plus éloignés de leur bassin ethnique de recrutement sont les militaires au service du général putschiste Min Aung Hlaing.

 

La junte militaire en place à Nay Pyi Taw a un besoin urgent de soutiens. Sous les assauts répétés de l’AA, elle cède du terrain dans tout l’État Rakhine Elle compte ses morts et ses blessés. Elle ne peut d’ailleurs pas compenser ses pertes en apportant des renforts venus des casernements d’autres provinces. Elle recrute donc là où elle peut et comme elle peut.

 

Si la conscription instaurée à la mi-février 2024 lui apporte un peu de sang neuf, les ressources ne sont pas suffisantes en nombre, sans compter qu’elles sont de piètre qualité. Alors, les dirigeants du Conseil de l’administration de l’État (SAC) ont décidé d’aller piocher dans les réservoirs communautaires les plus improbables. En conséquence, ils n’ont pas hésité à appeler sous les drapeaux des individus à qui ils récusent toute citoyenneté. C’est ainsi que quelques centaines de musulmans rohingyas se sont vus et se voient revêtir, du jour au lendemain, l’uniforme de l’armée qui opprime depuis des décennies leur communauté.

 

Les réfugiés rohingyas de l’intérieur et de l’extérieur viennent garnir les rangs des affidés à la junte

 

Si les premiers rohingyas appelés du contingent ont été déployés dans des fonctions du génie ou de gardes statiques, notamment au sud de l’État Rakhine, ils sont dorénavant plus fréquemment insérés sur les champs de bataille ou à leur périphérie. Ils y effectuent, comme soldats ou miliciens, des taches de transport, d’ouvreurs de voies, de renseignement mais également d’acteurs en armes. S’ils leur arrivent d’en payer le lourd prix du sang, ces recrues font aussi couler l’hémoglobine des civils environnants. N’oublions pas par ailleurs leurs concours aux politiques de terreur et de destruction par le feu des habitats. Ils sont associés à des modus operandi qui sont l’expression de la très brutale culture guerrière de la Tatmadaw. Ils participent bon gré mal gré à la volonté de leur commandement d’attiser les tensions inter-communautaires.

 

À cette fin et depuis quelque temps déjà, le SAC favorise l’émergence de groupes miliciens rohingyas pour « défendre » leurs lieux de vie mais aussi leur religion face aux ultra-nationalistes rakhines bouddhistes. Cette rhétorique « protectrice » vise surtout à maintenir les Rohingyas dans les cantons disputés du nord de l’État Rakhine, en espérant que leur communauté soit un puissant frein à la progression territoriale des hommes de l’AA.

 

A contrario, les insurgés rakhines poussent aux déplacements rapides des civils musulmans en les avertissant que des combats avec la Tatmadaw sont imminents et susceptibles de porter atteinte à leur vie. Mais l’Armée de l’Arakan n’a ni les moyens administratifs, ni peut être même la volonté politique de prendre en charge les populations rohingyas au cœur de son théâtre d’opérations. Signe de ce désintérêt politico-militaire, la communication de l’AA et de son chef Twan Mrat Naing se montre sans empathie. Dans les prises de parole, on ne parle pas de populations rohingyas mais de « Bengalis », comme s’il s’agissait de résidents venus de l’étranger. Sur le plan tactique, l’AA les pousse vers les villes, là où le SAC est dominant. Il s’agit de créer, sans le dire, de nouveaux problèmes « musulmans » à la junte.

 

Aux yeux de l’AA, une telle nouvelle donne n’est pas dénuée de considérations locales mais aussi de calculs internationaux. Dans un tel cas de figure, l’exhortation à fuir peut s’apparenter à une forme d’expression de nettoyage ethnique des territoires à conquérir.

 

Les Rohingyas deviennent un enjeu important du conflit ensanglantant depuis huit mois l’État Rakhine

 

En engageant des Rohingyas sur un terrain où seuls les leurs, des Rakhines et quelques autres groupes minoritaires vivent, les putschistes birmans construisent un chaos dont ils espèrent être les seuls grands bénéficiaires. Les violences accrues ont poussé la direction de l’AA à mettre en garde les enrôlés rohingyas en proclamant qu’ils seraient traités comme tous autres soldats au service de la junte ; ce qui n’est rien d’autre que des menaces de mort. Une hostilité aux enrôlés qui peut rapidement viser une communauté toute entière. Ce glissement du ciblage est d’autant plus préoccupant qu’il se joue sur des territoires – les townships de Buthidaung et Maungdaw – où (sur)vivent près de la moitié de la population rohingya du pays mais où se multiplient aussi les exactions à l’endroit des villages et villageois rakhines.

 

La mise en garde de l’AA ne concerne pas seulement des individus mais également tous les groupes armés rohyngyas (Armée des Rohingyas d’Arakan (ARA), Armée du salut des Rohingyas d’Arakan (ARSA), Organisation de solidarité rohingya (RSO)) puisque leurs recrutements sont suspectés de pouvoir servir de forces d’appoints à la junte. Il est vrai que certaines de leurs recrues rejoignent directement les unités de la Tatmadaw. La junte est intéressée à récupérer des combattants ayant déjà une certaine expérience militaire. Il ne fait aucun doute que des ex-soldats de l’ARSA ont récemment gagné les rangs de leurs ennemis d’hier, à moins que leur mouvement ait toujours été des alliés objectifs des généraux et téléguidé par eux. En tout état de cause, la fragmentation de la guérilla rohingya concourt à des complicités locales avec la Tatmadaw voire la subordination de petits groupes aux forces du SAC, notamment du côté de l’ARA.

 

L’appareil de sécurité bangladais des camps ferme les yeux sur ces évolutions. Il ne s’oppose en rien aux enrôlements sans explication et sans retenue, voire aux entraînements militaires sur des territoires sous sa souveraineté. Non pas tant qu’il ait un intérêt à une victoire du SAC dans l’État Rakhine, la junte au pouvoir n’a fait aucun effort pour rapatrier les Rohingyas du Bangladesh ces trois dernières années, mais il n’a pas réellement les moyens de s’opposer les armes à la main aux groupes armés et criminels.

 

En outre, Dacca ne peut être qu’inquiet de voir de l’autre côté de sa frontière plus de 40 000 nouveaux déplacés par les combats opposant l’AA à la Tatmadaw. Si ce mouvement de masse – plus de 15 % des Rohingyas des cantons de Buthidaung et Maungdaw – n’est pas le fruit d’une nouvelle vague génocidaire comme le proclame déjà des activistes rohingyas de l’étranger, ces populations n’en demeurent pas moins dans une situation humanitaire très, très alarmante. Depuis novembre dernier, les approvisionnements peinent à gagner le nord de l’État Rakhine et s’ils y parviennent, c’est à des prix prohibitifs et sans parvenir à compenser toutes les pénuries existantes (cf. carburants, matériaux de construction, médicaments,…).

 

Les groupes armés rohingyas sont appelés à clarifier leurs alliances politico-militaires

 

Pour contenir les controverses, l’AA dénonce des recrutements (in)directs du SAC dans les camps bangladais. Une praxis de ciblage communautaire qui a déjà conduit l’administration au service de la junte à mobiliser dans les camps des déplacés intérieurs. La suspicion est d’autant plus forte que l’ARA, l’ARSA et le RSO n’expliquent pas l’objet de leurs recrutements présents alors qu’ils ne cachent plus leurs velléités d’enrôlements de jeunes. Se contentant de faire savoir sur leurs réseaux sociaux que les cohortes rassemblées l’ont été sur des bases volontaires et de convictions politico-religieuses partagées, ils ne lèvent aucun des doutes qui étreignent les populations exilées, tant chacun des groupes armés est vu avec défiance du fait de leurs diverses activités criminelles.

 

En ayant supplantée dans les camps bangladais l’ARSA, la RSO concentre les craintes de tous. Elle reconnaît d’elle-même avoir entraîné récemment 6 à 7 000 personnes mais pour quoi faire ? Cette levée en masse interroge sur les objectifs stratégiques du RSO. Il est difficile de croire que le groupe de Ko Ko Linn est ou sera rapidement capable d’établir des zones sûres, à l’abri des actions de l’AA et du SAC. Son discours de solidarité avec ceux qui combattent depuis 2021 le SAC peine à convaincre, faute d’actions tangibles dans l’État Rakhine. Plus inquiétant, les incorporations les plus récentes dans ses rangs se sont accompagnées de diatribes contre l’AA et les aspirations ethnocidaires des Moghs.

 

Beaucoup craignent donc que les enrôlés dans les camps bangladais se fassent non pas au profit des forces hostiles à la junte mais, contre rétribution (p.m. l’ARSA parle de 2 000 takas (16 euros) par homme), au service de la Tatmadaw. Les faiblesses de cette dernière étant connues, les populations des camps craignent que les leurs restés au pays soient victimes de mesures de représailles de l’AA et que les recrutements forcés au Bangladesh s’intensifient plus encore. Face à une situation de plus en plus périlleuse, elles en appellent à la protection des Nations Unies et de la communauté internationale. Mais cet appel au secours s’inscrit indubitablement dans une guerre de la communication.

 

Autour de l’engagement rohingya dans les batailles de l’État Rakhine, une guerre des narratifs se déroule. L’AA dénonce les enrôlements de force de la Tatmadaw tandis que le SAC multiplie les opérations de guerre psychologique pour accuser l’AA d’exactions contre les Rohingyas. Le risque est réel de voir considérer des ennemis d’ennemis comme des amis.

 

François Guilbert

 

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