Le plateau Pa-Oh, notamment le triangle Aungban-Heho-Pindaya, est parfois désigné comme « la Suisse de la Birmanie ». C’est très exagéré. A Pindaya, trois grottes ont rendu célèbre cette petite ville située dans une zone auto-administrée par l’ethnie Danou. Mais ce qui attire surtout les visiteurs, c’est cette horrible araignée-ogresse spécialisée dans la consommation immodérée des vierges…
Dans ces vastes plaines fertiles et verdoyantes, où se côtoient les choux, les ruches et les cultures de feuilles de cigare (thanapè), on découvre aussi des champs couverts de petits monticules qui fument. On creuse ces derniers pour y placer du fumier et des braises brûlantes. L’ensemble constitue un engrais et il ne reste plus qu’à planter des pommes de terre dans les monticules. Les montagnards Pa-Oh maîtrisent parfaitement cette technique de culture. Les tubercules ainsi récoltés constituent une variété recommandée pour les frites qu’on peut tester dans les restaurants de l’aéroport de Heho.
Quand on prend la vieille route qui, depuis Kalaw, passe par Aung Ban, on peut voir, en arrivant à Pindaya (Pangtara en langage shan), sur la droite, un énorme panneau représentant une grosse araignée noire au centre de sa toile. Les entomologistes invétérés sont ravis du spectacle et les amateurs de frites le sont moins. Les trois grottes qui font la célébrité du site sont visibles sur la falaise avec leurs ascenseurs flambant neufs. Il faut contourner le lac artificiel ou traverser la ville en longeant la digue sur la rive ouest afin de revenir au pied de la falaise. L’escalier et les ascenseurs qui desservent les grottes s’ouvrent sur le flanc est, dominant le lac. Un cabanon au bord de la route rappelle qu’il en coûte 2 dollars pour pénétrer dans cette zone auto-administrée par l’ethnie Danouv, et trois dollars de plus pour visiter Shwé Ou-Min, la plus grande des trois grottes.
La grotte de Pindaya apparaît dans l’histoire au XVIIIe siècle. Elle doit la plus grande part de sa célébrité à sa légende de l’araignée-ogresse consommant des vierges. Le territoire birman est ainsi parsemé de légendes (qui n’en sont peut-être pas) dont les Birmans raffolent. Le meilleur exemple est à Pagan, où un super-aigle, nommé Thilaingna, se régalait de vierges aussi soumises qu’appétissantes. Dans les légendes, la fonction première de ces pauvres vierges était de servir de repas pour satisfaire l’appétit féroce des ogres-cannibales.
Légendes et tourisme
Le développement du tourisme et l’arrivée massive des visiteurs permet désormais au gouvernement de récolter suffisamment de fonds pour fournir du travail à ses affidés et aux sans-emplois bienpensants des nationalités sous contrôle, sans avoir à payer ni les uns ni les autres. Il s’attire ainsi la coopération des auto-administrés et la reconnaissance des membres de leurs familles, qu’il s’agisse de familles de militaires ou de fonctionnaires déjà employés par le gouvernement. Ce qui peut toujours servir en période électorale. L’étymologie du toponyme « Pindaya » dérive de la prononciation du Shan « Pangtara ». Pour les uns il s’agirait d’un mot qui signifierait « la vaste plaine ».
La ville est en effet située au sud-ouest de l’Etat Shan, et domine les plaines de la Birmanie centrale, dont elle n’est séparée que par l’escarpement du plateau Shan et la vallée de la rivière Zawgyi qui rejoint la plaine de Kyauksé. Cette plaine d’altitude serait aussi appelée « Myay Latt » (la terre moyenne). Pour les autres, Pindaya serait un dérivé du birman « Pin kou ya » (« il y a une araignée » / « tuer l’araignée »). Nous abandonnerons ces interprétations aux linguistes pour nous pencher sur la légende qui ouvre la voie à des images plus poétiques.
Le nom de la ville est lié à une légende souvent représentée dans les théâtres populaires itinérants (pwé) qui sillonnent le pays en fonction des festivals de pagodes. Le prince de Pindaya se rendit un jour en visite à la Cour de Pagan. En chemin, il rencontra un ogre – nombreux en ce temps-là – et le tua d’une flèche. Mais l’ogre avait la peau dure et, comme il avait des relations géniales au pays des génies, il trouva le moyen de se réincarner en une vilaine araignée (beurk !) pendant l’absence du prince.
Pour se venger, il décida de kidnapper les sept filles de ce dernier au moment où elles sortaient du bain. Le moment était bien choisi car les jeunes filles avaient l’habitude de se prélasser quotidiennement dans les eaux rafraîchissantes du lac. Après la baignade, elles venaient se reposer dans la grotte de la falaise afin d’admirer les couchers de soleil sur les paysages du plateau Shan. Sans vergogne, l’ogre-araignée s’empara donc des damoiselles et les emprisonna dans la grotte. En guise de sûreté, il tendit sa toile pour en fermer l’ouverture… Prévenu par des perroquets bavards (les messagers de l’époque, représentés dans toutes les peintures murales), le prince fut obligé de quitter lsa blessure était noir. D’où le nom du village de Tamé (ou thwé mé, sang noir) situé au sud de Pindaya, où il s’est reposé avant de poursuivre jusqu’à Pwé Hla (thwé hla, sang clair) où son sang fut purifié. Sans doute par l’altitude.
Quoi qu’il en soit, une grande statue de l’araignée-ogresse est désormais installée au pied de l’escalier qui conduit à l’entrée de la grotte, mais le charme s’est perdu. Quand les visiteuses ont terminé la visite de la grotte, certaines se font photographier avec les doigts dans la gueule de l’affreuse bestiole. Sans doute le plaisir de prolonger l’épouvante.
Shwé Ou Min : une grotte à la glore du Bouddha
L’après-midi, on a une vue à 180°sur tout le bassin de Pindaya depuis les terrasses de l’ascenseur, car le soleil éclaire un paysage féérique. Devant le visiteur, un vaste champ de zedis (pagodes) rénovés rappelle qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles, les constructions religieuses furent particulièrement nombreuses dans toute la région. On peut distinguer une allée de banyans séculaires qui conduit de la rive sud du lac vers les grottes. La couleur rouge de la terre est due à la décomposition des calcaires. Leur résidu, l’argile, contient de l’oxyde de fer.
Par suite, les sols de la région sont en harmonie avec les ors des pagodes. Bien que les grottes soient considérées comme des temples à la gloire du bouddhisme, avec plus de 4000 statues et images du Bouddha sous toutes ses formes, les autochtones ne manquent pas de rappeler qu’elles ont été construites par les nats (esprits), notamment par le seigneur de la colline Bodaw Taung Baing. Un chemin serpente à flanc de falaise et, au nord de l’entrée de la grotte principale, se trouvent deux petits temples dédiés en 1979 au génie tutélaire par des habitants de Pindaya.
À l’entrée de la grotte se dresse Shwé Ou Min, le stoupa originel. Le Comité d’administration de la pagode à bien fait les choses. Trois bureaux spécialisés sont prévus. L’un collecte le droit d’entrée dans la grotte, le second vend des livres et des brochures et le troisième encourage les visiteurs à acheter les matériaux indispensables aux travaux d’embellissement des lieux. Les plaques de céramique émaillées rencontrent un franc succès. D’autant plus que les fidèles qui visitent la grotte peuvent se rendre compte que celle-ci est certainement la mieux aménagée du pays. Les moines ont réussi à s’installer au pied de Shwé Ou Min. Ils y tiennent un autre petit bureau sollicitant des dons pour payer l’électricité, offrir des robes aux Bouddhas et vendre des objets-souvenirs.
Au-dessus, on peut admirer quelques centaines de plaquettes votives (terracottas) collées sur la paroi. On en dénombrait autrefois huit mille, mais la plupart ont été détruites dans le grand incendie qui a embrasé le porche de la grotte en 1916. Là où, autrefois, le pèlerin devait progresser entre les autels et les niches, sur des sentiers humides, pentus, boueux, glissants et mal éclairés (quand ils l’étaient), il peut désormais avancer sans craindre de se briser un (ou plusieurs) os. L’aménagement est si bien fait qu’il faut se rendre à l’évidence : un très bon paysagiste des cavernes est passé par là. Cette spécialité n’est pas enseignée à l’université birmane.
Une galerie gardée par un génie
La grotte formée naturellement dans des calcaires (vieux de centaines de millions d’années) serait aménagée depuis plus de 400 ans, mais le stoupa originel aurait été construit au XIIe siècle par le roi Alaungsithu. Il renfermerait un cheveu du Bouddha. Le bouddhisme se serait répandu sur la région à partir de la grotte. A gauche de l’entrée, dans la partie la plus élevée, se trouve une petite grotte de méditation. On y accède à quatre pattes pour se glisser à l’intérieur. Il s’y passait autrefois de bien étranges et mystérieux événements.
Cette cavité est, paraît-il, la résidence d’un « weikza » (personnage doté de pouvoirs surnaturels) qui s’est rendu invisible afin de pouvoir attendre la venue du futur Bouddha Maitreya. Beaucoup de croyants ont vu ce weikza et le décrivent comme un nain très timide, mais capable de voler. Quand il veut s’isoler, il se réfugie dans un recoin de la voûte principale. Il revient souvent dans sa petite grotte qui est maintenant bien aménagée. Dès lors, il peut s’incarner dans le visiteur innocent ! On dit que c’est très impressionnant. Surtout quand le visiteur se met à baver et à parler d’une voix chevrotante. Cœurs sensibles s’abstenir.
La grande grotte s’enfonce dans la falaise sur trois cent mètres. Bien éclairée, elle révèle ses voûtes, plusieurs salles, coins et recoins, vasques, piliers sculptés, des milliers de statues du Bouddha, stalactites et stalagmites, autels pour les génies, culs de-sac, cloches en bronze (celle de l’entrée est datée de 1842 et pèse 6,4 tonnes), et l’odeur lancinante des chauves-souris. Dans tous les recoins on trouve des statues du Bouddha, toutes différentes sous une apparence d’uniformité. Beaucoup sont en briques stuquées et laquées, d’autres sont en albâtre, en bois, en laque, en grès… A côté du stoupa se tient un pilier aux mille Bouddhas, en bois. Une antiquité ! Mais les « rénovations » chères aux fidèles sont passées par là. Les plaques de marbre qui sont aux pieds des statues portent les noms des donateurs.
La grotte se termine par un siphon bouché par des concrétions calcaires. Un autre réseau de galeries inexplorées se trouve sous la grande grotte. La légende précise que la grotte est reliée à Pagan. On dit que deux novices y seraient descendus avec un chien et ne seraient jamais remontés. Pas surprenant, car la spéléologie n’est pas enseignée dans les monastères. Les parents des jeunes moines auraient réclamé l’aide du weikza pour les retrouver, mais celui-ci leur aurait sagement conseillé de fermer le siphon.
Non loin de là, se trouvent trois stalactites phonolithes qui rendent un son musical quand on les frappe légèrement avec un bambou. Le festival de Pindaya a lieu pendant la pleine lune de mars. Un bon moment pour visiter les lieux. Le marché se tient tous les cinq jours à Pindaya, selon un rythme traditionnel en pays Shan. Il a lieu les autres jours à Pwé Hla, Aunbgan, Kalaw ou Hého. On peut encore y rencontrer de nombreux montagnards en costumes traditionnels (Palaung, Taunggyo, Danou, Lissou, Pa-Oh). Il y a beaucoup de rats dans la ville mais ici on fait confiance aux chats pour s’en occuper. En 1975, les habitants de la ville inscrivaient sur la porte de leur cuisine que chaque rat attrapé serait vendu 15 pyas (150 kyats désormais). Il se dit qu’ils ont tous déguerpi.
Guy Lubeigt (texte et photos)
Membre de l’Ecole doctorale de Géographie de Paris, chercheur partenaire de l’Institut de Recherche sur l’Asie du Sud-Est Contemporaine (IRASEC), ancien directeur de la Mission permanente du CNRS en Birmanie.
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