Si le centre Buddhamonthon est un lieu relativement connu des bouddhistes thaïlandais, sa découverte est souvent le résultat d’un heureux hasard pour les autres. Coincé entre la banlieue de Bangkok et la province de Nakhon Pathom, Buddhamonthon, de par ses dimensions hors-normes et sa forme similaire à un énorme mandala (ces diagrammes cosmogoniques indo-bouddhiques qui définissent la géographie du monde politico-religieux), apparaît comme une anomalie dans un paysage désordonné.
Le parc s’étend sur 2500 raïs (400 hectares). Cette dimension n’est pas le fruit du hasard mais rappelle que Buddhamonthon a été inauguré en 1957 pour fêter les 2500 ans de l’ère bouddhiste.
A l’inverse de nombreux autres centres connus pour leurs bâtiments ou leur gigantisme ostentatoire tels que le fameux temple Dhammakaya, il a été bâti sur la base des préceptes du Bouddha.
Pour cela, une place significative a été donnée à la nature : on y trouve des cours d’eau, des petits bassins et des lacs qui ponctuent un paysage de forêts et de clairières. Le visiteur ou le pèlerin trouve ici un cadre idéal pour la méditation, ou du moins pour un retour aux sources loin des tumultes du quotidien.
De la grande route longeant le centre bouddhique, on aperçoit rien de particulier : à peine un temple au loin qui ne semble d’un grand intérêt. Les hautes herbes laisseraient même à penser qu’il s’agit là d’un lieu peu fréquenté ou d’un projet encore inachevé. Et pourtant.
Lors de Visakha Bucha, les fidèles tournent trois fois autour de Phra SI Sakkaya en tenant une bougie, une fleur de lotus et des bâtons d’encens.
La porte monumentale, formée de deux axes qui fusionnent, est un premier signe de l’importance du lieu. De l’autre côté, on découvre des petites douves qui marquent l’entrée dans un lieu sacré. Ici, tout est taillé ou du moins entretenu.
L’aménagement de l’espace reflète parfaitement les ordonnances précises du Mandala. La première est celle qui distingue l’extérieur de l’intérieur. Les douves créent une frontière symbolique et sont là pour rappeler aux visiteurs qu’ils pénètrent dans un sanctuaire spirituel. Si Buddhamonthon est un parc où l’on peut se promener, piqueniquer ou faire du sport (l’entrée est payante), il est avant tout un lieu dédié au Bienheureux.
En effet, une fois passé ces cours d’eau, on entre dans le cœur de Buddhamonthon, symbolisé par une statue en bronze du Bouddha réalisée par le mentor de l’université Silapakorn, l’Italien naturalisé thaïlandais Silpa Bhirasri (1892-1962).
Mesurant plus de 15 mètres de haut, c’est une des plus grandes statues de Bouddha au monde. Au centre du parc, elle est le repère primordial dans ce mandala géant. En raison de son style et de son élégance, le roi Bhumibol Adulyadej la baptisa du nom de « Phra Si Sakkaya Thotsaphonlayan Prathan Phutthamonthon Suthat », en référence au Bouddha historique Siddhārtha Gautama. Cette reconnaissance royale en fait une des statues les plus vénérées en Thaïlande.
Ainsi, à chaque fête bouddhiste telle que lors du Visakha Bucha (qui commémore à la fois la naissance, l’illumination et la mort du Bouddha), de grandes cérémonies attirent une foule fervente et dévouée. La statue a un style unique. Debout, le Bouddha s’avance avec la paume de la main tendue vers le visiteur dans un geste d’apaisement, comme s’il adressait un message de paix et d’espoir au nouveau venu.
Elle présente toutefois une particularité. Si le haut de la tête, avec le chignon tressé qui rappelle le kiritamukuta, typique du style d’Ayutthaya, est conforme aux canons habituels, une inversion apparaît clairement concernant la main levée faisant le signe de l’apaisement et de la bienveillance.
Ce geste qui marque l’absence de crainte (abhaya mudrâ), est en principe effectué avec la main droite levée à la hauteur des épaules. La main gauche, elle, pend habituellement le long du corps. Ici, c’est l’inverse. Il s’agit peut-être d’une volonté d’épouser la deuxième ordonnance du Mandala, celle du secret. Un secret que seuls les initiés peuvent comprendre, ou peut-être une volonté de bousculer des codes et des habitudes de rituels trop bien établis.
Une invitation
Tout le parc est construit de manière symétrique autour de la statue. De chaque côté, on trouve des sites qui rappellent les principales étapes de la vie du Bouddha : les sculptures en granit en forme de fleurs de lotus (sattabongkot) symbolisant sa naissance dans la partie nord-ouest du parc, la roue de la doctrine (dharmachakra) rappelant le chemin de l’Éveil, au sud-ouest, etc.
Toutes ces stations sont des sites aménagés, presqu’îles pour certains, petites clairières pour d’autres. Les visiteurs ou les pèlerins peuvent ainsi se rendent dans chaque lieu en traversant des îlots de verdure et, en même temps, assimiler les différentes étapes nécessaires pour arriver (ou du moins espérer arriver) à l’Illumination. Dans tous les cas, cette approche pédagogique permet de profiter pleinement du cadre en invitant le visiteur à la balade.
Un petit îlot au sud-ouest du parc où se trouve la Roue de la Doctrine (Dharmachakra).
En poursuivant leur chemin, ils pourront passer devant la résidence du Patriarche suprême – le leader hiérarchique de la communauté monastique de Thaïlande. Si elle ne se visite pas, on peut toujours admirer le style moderne et typiquement thaï.
Puis ils rejoindront le jardin des banians. L’arbre est sacré. Dans d’autres cultures, il est appelé l’arbre qui marche, tant ses racines ont cette capacité à gagner du terrain et à s’accrocher à la moindre aspérité. Dans le bouddhisme, sa feuille est devenue un symbole et même un porte bonheur. C’est sous cet arbre que le Bouddha a atteint l’illumination. C’est donc un élément à part entière de la cosmogonie bouddhique que l’on retrouve également dans les mandalas.
Plusieurs hectares sont consacrés à des jardins, comme le jardin des manguiers, avec ses trente-deux variétés, situé au sud-ouest du parc, ou bien encore le jardin des herbes médicinales et le jardin aux bambous (venuvana), au nord. Ce dernier est le plus éloigné, le plus protégé et possède en son cœur un petit patio pour la méditation.
De la nature à la culture
Buddhamonthon n’est pas uniquement dédié aux choses de la nature, c’est aussi et avant tout un lieu hautement spirituel où l’accent est mis sur l’enseignement et la conservation des textes sacrés.
Sans aucun doute, un des principaux intérêts de Buddhamonthon est le temple de marbre Tripitaka. Il est situé sur une petite île juste derrière la grande statue du Bouddha. Le temple possède un beau chedi doré entouré de neuf autres plus petits.
Si l‘édifice a une certaine allure avec ses toitures bleues, on vient surtout le visiter pour son trésor inestimable. Il possède en son cœur 84 000 paroles de Bouddha (le terme Tripitaka désigne les recueils des textes fondateurs du bouddhisme Theravada) gravées sur 1418 stèles en marbre.
A l’origine, les textes sacrés étaient rédigés sur des feuilles de palme. A l’image de la paya kuthodaw à Mandalay, sont gravés les textes fondateurs de la religion bouddhique.
Il y a ici une forme d’écho au dernier précepte du Mandala, lié à la nature de l’esprit. Le temple de marbre semble y répondre. Ses stèles transmettent un savoir qui permet de suivre la voie de Bodhisattva, celui qui a les capacités d’enseigner le dhamma
Reproduction en cire d’un des grands Vénérables enseignant le dharma.
Autre espace consacré au savoir, la bibliothèque Sirinad. Tout comme les autres bâtiments, son toit est fait de tuiles bleues. Le bâtiment est immense et possède un fonds documentaire conséquent, avec 23 885 livres et 6909 vidéos.
Ce fonds est considéré comme la première bibliothèque internationale sur le bouddhisme. C’est une référence mondiale. Le lieu est essentiellement fréquenté par des étudiants en bouddhologie ou en sanskrit. Il faut dire que deux universités sont voisines : l’université Silpakorn et son département de sanskrit et l’université Mahidol. Le fonds est patronné par plusieurs pays de l’ASEAN qui participent à son financement et surtout à son rayonnement en Asie du Sud-Est.
A la droite du bâtiment, se trouve le musée du bouddhisme de Buddhamonthon. Massif, il est composé de deux parties circulaires. C’est surtout un lieu destiné aux écoliers. En effet, si le hall d’exposition et le musée antique peuvent présenter un intérêt pédagogique pour des jeunes enfants, il est peu instructif pour des adultes et surtout pour les étrangers.
On peut quand même découvrir dans une salle sombre les reproductions de plusieurs maîtres. Le musée n’est pas celui de Madame Tussaud, mais les représentations sont cependant très réussies, même si elles perdent de leur humanité tant le cadre les dessert…
Alignement de chaussures d’écoliers à l’entrée d’une des classes du musée du bouddhisme.
Un autre lieu quelque peu surprenant et en pleine adéquation avec la philosophie bouddhique est le refuge pour chiens. A l’extrémité du parc, une île abrite une association de protection des chiens. Les animaux y sont recueillis, soignés, stérilisés puis proposés à l’adoption.
La faune est d’ailleurs très présente dans le parc, avec quelques espèces d’oiseaux qui y ont élu domicile, comme les drongos noirs ou les tourterelles tigrines.
A cela s’ajoute dans tous les points d’eau la présence de carpes et de tortues qui profitent pleinement de la nourriture donnée abondamment par les visiteurs. C’est d’ailleurs une des activités préférées des Thaïlandais qui viennent le week-end en famille avec de gros sacs de pain de mie ou de boulettes pour poissons.
Un des nombreux cours d’eau et îlots composant le majestueux parc de Buddhamonthon.
Différents aménagements ont été construits pour qu’un maximum de personnes viennent passer la journée à Buddhamonthon. On s’y rend aussi bien pour la sieste que pour se promener.
D’autres profitent du cadre pour faire du sport : jogging ou vélo – ce dernier étant le meilleur moyen pour découvrir le parc. Les routes y sont parfaitement aménagées et toute la famille peut profiter d’un cadre sûr et protégé.
Attention toutefois, le parc n’est ni un espace dédié à la bronzette, ni à la consommation d’alcool, interdite. Des panneaux rappellent aux visiteurs que vous êtes avant tout dans un lieu spirituel qui s’affiche fièrement comme le centre du bouddhisme.
Stéphane Courant
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