Nous publions ici une tribune du chef de l’opposition cambodgienne en exil Sam Rainsy.
Comment j’ai voté à Paris ce 30 juin 2024 ?
A chaque élection en France à laquelle je tiens à participer, j’essaie de concilier deux amours : celui qui me lie à ma patrie de naissance, le Cambodge, et celui que j’éprouve pour ma patrie d’adoption, la France. Ces deux amours ne sont pas du tout incompatibles mais chaque élection m’oblige à réfléchir à certains aspects du jeu politique en France.
Rien ne pourra me faire oublier le Cambodge. Au moment de glisser mon bulletin dans l’urne, j’ai toujours une pensée pour le pays de mes ancêtres.
Ce 30 juin 2024, dans un bureau de vote situé dans une école du 15ème arrondissement de Paris, je veux éviter de voter pour le candidat du bloc macroniste. Je ne pardonne pas au président Emmanuel Macron d’avoir accueilli tout récemment et successivement Hun Sen et Hun Manet — le Papa Doc et Bébé Doc cambodgiens — sans dire un mot de la situation déplorable des droits humains au Cambodge. A leurs retours respectifs à Phnom Penh à quelques mois d’intervalle, forts du “soutien de la France” avec l’onction élyséenne, ces dictateurs et usurpateurs de père en fils ont aussitôt fait procéder à de nouvelles arrestations d’opposants politiques, défenseurs des droits humains, chefs syndicalistes et militants écologistes.
J’ai un sentiment de soulagement en constatant la perte de vitesse (c’est un euphémisme) du bloc macroniste dont le chef à l’Élysée fait preuve de suffisance et d’inconscience dans certaines de ses décisions. Et cela, pas seulement en politique étrangère, mais aussi au plan national, comme dans la décision de dissoudre l’Assemblée nationale avec le risque de provoquer inopportunément un chaos qui n’est pas dans l’intérêt de la France. Grand président visionnaire ou apprenti sorcier ?
Comment traduire son amour pour la France par un bulletin de vote qui n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan ?
D’abord, il me faut rassembler toutes celles et tous ceux qui, venant des mêmes horizons, partagent avec moi le même amour et les mêmes préoccupations.
Comme chef de l’opposition cambodgienne en exil je me suis adressé aux quelque 200 000 Français d’origine cambodgienne en âge de voter. Je leur ai transmis cette consigne de vote postée sur ma page Facebook qui compte plus de 5 millions de sympathisants à travers le monde : “Votez pour les candidats qui peuvent vous assurer que leur parti s’engage à respecter et faire respecter les Accords de Paris de 1991 sur le Cambodge. Il en va de la survie du Cambodge et de l’honneur de la France.”
Les Accords de Paris obligent le Cambodge et tous les autres signataires — dont la France — à mettre ou à aider à mettre en place un régime démocratique de type libéral qui doit se traduire par le pluralisme politique. Malheureusement cette clause se trouve maintenant aux antipodes du régime autoritaire et répressif à parti unique que Hun Sen a mis en place à Phnom Penh. Pourquoi la France reste-elle silencieuse et oublie-t-elle ses principes et ses engagements ?
Je souhaite que la France reste conforme à la France que j’aime, c’est-à-dire la France des Lumières et des Droits de l’Homme.
On ne peut pas ne pas aimer la France quand on a eu la chance d’être formé à l’école française. Dans mon cas, ce fut depuis la maternelle dans une école française à Phnom Penh jusqu’à Sciences Po Paris, en passant par Janson de Sailly.
Contrairement à beaucoup d’émigrés je ne suis pas attiré par le rêve américain qui ne se réalise qu’avec de l’argent. Ce qui m’a toujours attiré, c’est le génie français fait de lumière et d’humanisme. C’est ce génie français qui tente constamment de réaliser sur la place publique la devise républicaine “Liberté, Égalité, Fraternité”.
Français de souche et Français d’adoption, nous devons tous cultiver ce génie français pour maintenir la grandeur de la France et continuer à promouvoir les idéaux de la République.
Ces idéaux se sont incarnés dans plusieurs grands partis politiques dont la diversité est l’apanage de la démocratie. C’est pour contribuer à préserver tous les grands courants de la pensée politique que j’ai voté socialiste lors des élections européennes de 2019 afin que le PS, à ce moment-là dans une position incertaine, pût dépasser la barre fatidique des 5% pour être représenté au Parlement européen. Cela aurait été une grande perte politique et spirituelle pour la France si ceux et celles qui sont maintenant dans la lignée de Jean Jaurès et Léon Blum avaient été éliminés de la scène politique.
Concernant les problèmes d’immigration et d’intégration je partage les préoccupations et les inquiétudes de millions de Français dont le courant politique classé “nationaliste” ne doit pas être diabolisé. Quand vous allez — et surtout quand vous vivez — dans un pays qui n’est pas votre pays de naissance, il faut respecter les lois ainsi que les us et coutumes du pays qui a la générosité de vous accueillir.
Sam Rainsy
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