Une analyse de Philippe Bergues
Le report ce lundi 19 août du jugement pour lèse majesté dans l’affaire impliquant Thaksin Shinawatra pour ses propos tenus le 21 mai 2015 en Corée du Sud, termine la séquence de deux semaines intensives pour le remodelage de la politique thaïlandaise. Avec ce procès ajourné jusqu’en juillet 2025, Thaksin et sa batterie d’avocats auront le temps de montrer que l’accusation de lèse-majesté n’a pas lieu d’être.
La Cour constitutionnelle a en revanche dissous le Move Forward Party et banni de vie politique onze de ses figures, dont Pita Limjaroenrat, pendant 10 ans, de même qu’elle a destitué Srettha Thavisin de son poste de premier ministre pour atteinte à l’éthique. Le MFP s’est réinventé en Parti du peuple et Paetongtarn Shinawatra, 37 ans, est devenue premier ministre après approbation royale. La deuxième femme du pays à occuper ce poste après sa tante Yingluck. Soutenue par les mêmes partis que ceux qui composaient la précédente coalition dirigée par Srettha Thavisin.
Une lune de miel entre Thaksin et l’establishment militaro-royaliste qui dure
Cette lune de miel persistante entre les conservateurs militaro-royalistes et le Pheu Thai n’est pas si surprenante. Ils ont compris que s’ils ne maintenaient pas la coalition formée il y a un an et qu’on allait vers de nouvelles élections, le risque était de voir le nouveau People’s Party accentuer son nombre de sièges.
Unis, ils restent au pouvoir, divisés, ils pouvaient tomber. Cette réflexion stratégique s’est appliquée chez tous les pontes des partis composant la coalition. Tous leurs députés ont voté comme un seul homme pour la fille cadette de Thaksin, hormis le général Prawit Wongsuwon toujours élu, absent lors du scrutin pour cause de réception des médaillés olympiques thaïlandais en sa qualité de président du Comité olympique national.
Les rumeurs disent que Prawit aurait intentionnellement choisi la même date pour ne pas à avoir à voter pour une Shinawatra suite à une brouille avec Thaksin. Son agression d’une journaliste de Thai PBS qui l’interrogeait sur Paetongtarn à la sortie de cette cérémonie montre clairement toute l’aigreur du général, lui qui aurait sans doute souhaité finir sa carrière politique comme chef de gouvernement (après l’avoir été par intérim de Prayut à la fin de l’été 2022).
Un consensus toujours basé sur une fidélité absolue à la monarchie et contre le parti du peuple
Les coulisses du remplacement de Srettha Thavisin montrent l’alpha et l’omega du consensus pour conserver la même coalition gouvernementale. D’une part, limiter la croissance du parti du peuple, qui a repris toutes les bases réformistes de l’ex-MFP. D’autre part, ne pas toucher à l’article 112 du code pénal ou crime de lèse-majesté.
Anutin Charnvirakul, leader de Bumjaithai, avait annoncé la couleur en déclarant « qu’il soutiendrait tout candidat du Pheu Thai au poste de Premier ministre, à condition qu’il ne soutienne pas l’amendement de l’article 112 du code pénal ». Cela expliquerait le rejet de Chaikasem Nitisiri initialement candidat chef de gouvernement retenu par le Pheu Thai, lequel aurait soutenu l’amendement de la réforme de l’article 112 lors de la campagne de 2023.
Le parti des Shinawatra n’a donc eu d’autre choix que d’entériner la candidature Paetongtarn, alors qu’il semble que sa mère, Potjaman Na Pombejra, ait craint qu’elle puisse subir le même sort que son ex-mari Thaksin ou que Yingluck, contraints à l’exil. Il semble que Thaksin lui-même aurait préféré qu’elle gagne en expérience politique pour la préparer aux élections générales de 2027.
Il est évident que la nomination de Paetongtarn comme premier ministre met encore plus Thaksin et le clan Shinawatra dans la ligne de mire des royalistes. Ils seront surveillés de près et sans doute contrôlés par tous les contre-pouvoirs offerts aux ultra-monarchistes, de l’armée aux oligopoles familiaux économiques en passant par les institutions judiciaires et hauts fonctionnaires bureaucratiques. Ce n’est pas un hasard si Thaksin Shinawatra s’est présenté au tribunal ce lundi 19 août sans costume-cravate, mais vêtu d’une chemise jaune bien identifiable comme signe à la monarchie et au souverain.
Philippe Bergues
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