Une analyse de Philippe Bergues
Le secrétaire général du Pheu Thai, Sorawong Thienthong, a confirmé le 27 août que le parti Palang Pracharat ne fera plus partie de la coalition dirigée par le Pheu Thai, bien que plus de 20 des 40 députés du Palang Pracharat sous le commandement du secrétaire général du parti, Thammanat Prompow, continueront d’apporter un soutien solide au nouveau gouvernement dirigé par Paetongtarn Shinawatra.
Sorawong a déclaré que la plupart des députés du Pheu Thai ont trouvé que le leader du Palang Pracharat, Prawit Wongsuwon, était « très peu coopératif » envers le Pheu Thai en tant que noyau de la coalition et a décidé d’évincer l’ancien troisième plus grand partenaire de coalition. Car Prawit ne s’est pas présenté lors du vote au Parlement le 16 août afin d’élire la fille cadette de Thaksin comme Premier ministre, tout comme il était absent l’an dernier pour lors du vote qui avait investi Srettha Thavisin.
De plus, Thaksin Shinawatra et le Pheu Thai soupçonnent plus que sérieusement le général Prawit d’être à l’origine de la décision d’un groupe de 40 anciens sénateurs de demander à la Cour constitutionnelle de révoquer l’ancien chef de gouvernement pour avoir nommé Pichit Chuenban comme ministre du Cabinet alors qu’il fut précédemment condamné.
Les juges ont suivi cette requête en destituant Srettha Thavisin il y a deux semaines par 5 voix contre 4. L’occasion était donc belle pour Thaksin et le Pheu Thai de prendre leur revanche sur Prawit Wongwuson, d’une part en profitant de la scission du Palang Pracharat en deux ailes (et en s’assurant que les hommes de Thammanat soutiendraient toujours la coalition), d’autre part en invitant leurs vieux ennemis du Parti Démocrate à la rejoindre, en profitant des envies de postes gouvernementaux de l’actuelle direction (au risque de menacer d’expulsion du parti son ancien leader, Chuan Leekpai, ennemi de toujours du clan Shinawatra).
Prawit Wongsuwon, la fin d’une époque ?
Avec cette mise à l’écart du général Prawit, nous assistons à la fin d’une longue période d’influence de sa part. Impliqué directement dans le coup d’État du 22 mai 2014 pour évincer Yingluck Shinawatra de son poste de Premier ministre, Prawit était l’une des composantes des 3P qui ont dicté leur loi dans le cycle militarisé de la politique thaïlandaise depuis le précédent coup d’État de 2006 qui avait destitué Thaksin.
Ses deux compères au P majuscule étaient les généraux Prayut Chan-o-cha et Anupong Paochinda, tous deux aujourd’hui retirés de la vie politique. Prayut est devenu conseiller privé du roi pour bons offices (mais son parti, l’United Thai Nation fera toujours partie de la coalition dirigée par Paetongtarn) et Anupong est sorti du jeu en ne se représentant pas aux élections de 2023. Prawit Wongsuwon avait été réélu en mai 2023 et son ambition était de devenir chef de gouvernement, lui qui s’était habitué à la fonction en remplaçant par intérim Prayut pendant quelques semaines à la fin de l’été 2022. Le goût du pouvoir pour l’un des derniers généraux « dinosaures », âgé de 79 ans.
Les Démocrates font la paix avec Thaksin ?
Il est maintenant possible que le Parti démocrate, plus ancien parti politique du pays, rejoigne la coalition menée par une Shinawatra. Cela ne manque pas de sel. Depuis l’entrée en politique de Thaksin à la fin des années 1990, les Démocrates ont toujours combattu Thaksin et ses différents partis jusqu’à provoquer le renversement de Yingluck en 2014. En organisant de vastes manifestations contre elle à cause d’une volonté d’amnistier Thaksin alors en exil.
Rassemblements orchestrés par le baron du Sud, Suthep Thaugsuban, la partie méridionale thaïlandaise étant alors un fief incontesté du Parti démocrate et très majoritairement anti-Shinawatra. Et aujourd’hui, les Démocrates s’allieront avec le Pheu Thai, du jamais vu et un cas d’école d’une coalition qu’on pourrait qualifier de coalition des contraires tant les deux partis se sont combattus par le passé.
Le leader démocrate Chalermchai Sri-on et le secrétaire général du parti Det-it Khaothong se verront probablement attribuer des sièges ministériels et la coalition gouvernementale obtiendra le soutien d’une majorité des 25 députés démocrates. Car les historiques du parti doivent aujourd’hui avaler des couleuvres : l’ancien président de la Chambre lors de la précédente législature, Chuan Leekpai, figure morale du parti, se serait fait « menacé d’éviction » par la direction actuelle s’il contribue à empêcher le rapprochement politique avec le Pheu Thai et les autres formations coalisées. Les postes promis auront donc prévalu sur la ligne ancienne, deux ministres à venir viendraient des rangs démocrates.
Ces évolutions importantes de la politique thaïlandaise, l’éviction de Prawit et l’entrée des Démocrates dans un gouvernement dirigé par Paetongtarn et le Pheu Thai montrent de façon certaine la patte de Thaksin dans ces mouvements encore peu pensables il y a un an. La grâce royale obtenue récemment par l’ancien premier ministre est un signal manifeste que l’ennemi d’hier de l’establishment est devenu aujourd’hui le rempart contre la menace des réformistes du parti populaire. Il lui faut donc donner des gages et renforcer une coalition de « bonnes personnes » pour préserver l’ordre traditionnel.
Philippe Bergues
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