L’océan Indien, cet espace culinaire méconnu, une chronique gastronomique et sociétale de François Guilbert
Bahari en langue swahili signifie l’océan. Voilà donc un manuscrit consacré à la cuisine de l’océan Indien mais dont l’objet va bien au-delà de la description des recettes de près d’une centaine de plats. Pour nous en faire saisir toute la complexité de leurs origines, deux lieux d’ancrages ont été retenus, peu usuels d’ailleurs : l’archipel de Zanzibar et le sultanat d’Oman.
C’est un des charmes de ce livre d’avoir planté l’attention en ces lieux mais l’un et l’autre point de départ qui ont à voir avec l’histoire familiale de l’auteure. Ils sont surtout un excellent moyen pour dépeindre les imbrications historiques, géographiques, économiques, et politiques qui lient entre eux les pays du pourtour de l’océan Indien et leurs habitants. Cependant ici, le récit se lit à l’échelle d’une saga familiale, des déambulations de ses membres et de leurs enracinements territoriaux successifs. Il est abondamment illustré et fait de nombreuses anecdotes personnelles qui nous conduisent, pas à pas, dans un univers culinaire rarement exposé et interprété. Toutes les étapes aident à mieux comprendre comment s’articule un des grands carrefours du monde, celui menant depuis des siècles de la mer Méditerranée à l’Asie – Pacifique.
Ce livre est une incessante invitation au voyage, une ode à la mixité des produits, des tables et des cultures. L’arrêt au port de Sur est d’ailleurs l’occasion de rappeler combien ce lieu, notamment avant l’ouverture du canal de Suez, était un point de rencontre entre les gens de la mer d’Arabie, du golfe persique et de l’Asie du sud-est. Quant à l’héritage cognatique, il nous rappelle fort à propos, l’ampleur et l’ancienneté des réseaux d’implantation iraniens dans toute la région ; une réalité souvent ignorée quand sont évoqués les héritages culinaires de cette partie du monde.
Pour nous conduire de l’île aux épices au sous-continent indien, Dina Macki est une guide habile. La trentenaire britannique est, elle-même, le produit de la mixité qu’elle décrit. Elle est issue d’une famille irano-omanaise, originaire de Zanzibar. Au travers de ses proches, de ses relations amicales et professionnelles, elle met en lumière les réseaux commerçants ayant structuré depuis des siècles l’aire maritime afro-asiatique, leurs effets culturels et leurs influences sur les cuisines locales.
Ces données introduisent judicieusement, avec de cours énoncés, les recettes proposées et les chapitres d’introduction. Ces derniers se consacrent, tour à tour à Mascate, les régions rurales de l’intérieur du sultanat d’Oman, le sud notamment la région du Dhofar proche de l’Etat du Yémen ou encore, la zone côtière. Ce périple nous conduit jusqu’à …Portsmouth. La référence à la cité du Hampshire pourra surprendre. Certes, c’est là où est née et a été élevée la rédactrice mais c’est aussi la ville côtière du sud de l’Angleterre où s’est installée au milieu des années 60 ses aïeuls comme bon nombre de Zanzibari-Omanais ayant fui leur archipel après la déposition en 1964 du dernier sultan Jamshid ben Abdallah suite à la naissance de la République unie de Tanzanie.
Là aussi la cuisine de l’Orient se métisse, tout en valorisant les multiples héritages passés. Au final, indéniablement, ce livre a du goût. Ses saveurs ont d’ailleurs retenu en 2023 l’attention des jurés du prix Jane Grigson Trust, créé en mémoire de l’éminente écrivaine culinaire, britannique Jane Grigson (1928 – 1990), pour récompenser un livre de non-fiction sur la nourriture et la boisson écrit par un auteur débutant, et dont l’ouvrage a été commandé mais pas encore publié. C’est maintenant chose faite, pour le plus grand plaisir des lecteurs et de ceux qui voudront s’adonner à réaliser les recettes proposées.
Dina Macki : Bahari, recipes from an Omani kitchen and beyond, DK, Londres, 2024, 38,9 €
François Guilbert
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