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BIRMANIE – SOCIÉTÉ : Que cache le recensement de la population birmane ?

Date de publication : 07/10/2024
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Une chronique du conflit birman par François Guilbert

 

Alors qu’un million de Birmans sont toujours confrontés aux affres créées le 9 septembre par le typhon Yagi, la junte est, elle, déjà résolument tournée vers les élections qu’elle souhaite orchestrée en novembre 2025. Son appareil d’État et de propagande est intensément mobilisé pour mettre en scène l’opération. Il s’agit de souligner urbi et orbi combien la Birmanie est sur la voie d’un retour à une démocratie dirigée et de la normalisation. En effet, des opérations de recensement de la population peuvent être conduites dans des zones tenues par des groupes ethniques armés puissants (ex. Wa) voire des villes de provinces troublées (ex. Sittwe dans l’État Rakhine). Pas question cette fois-ci que le dénombrement de la population soit un échec, une opération avortée, comme cela fut le cas en janvier 2022 et janvier 2023.

 

Top départ à un recensement des populations programmé jusqu’au 15 octobre

 

Depuis le 1er octobre et dans certaines régions avant même cette date, des agents publics font du porte-à-porte de 7h00 à 18h00. Ils sont chargés de remplir sur des tablettes électroniques les bulletins de recensement de plus de 13 millions de foyers. Pour la plupart, ce sont des fonctionnaires des ministères de l’Éducation nationale et de l’Immigration et de la population. Officiellement, 40 000 personnes sont mobilisées pour intervenir sur 110 000 zones de comptage. Bien évidemment, elles sont présentées comme autant de « volontaires ». Elles n’en sont pas moins défrayées à hauteur de quelques milliers de kyats par jour. Néanmoins rien de très alléchant financièrement. Il s’agit d’à peine un euro quotidien mais c’est déjà cela, dans un pays où un Birman sur deux vit sous le seuil de pauvreté.

 

Quant aux fonctionnaires qui auraient décidés d’échapper au rôle d’enquêteur, par conviction ou pour raisons d’insécurité, gare à eux. Rapidement, ils pourraient bien faire l’objet de mesures de représailles allant d’amendes à des peines de prison. En attendant, la propagande des putschistes clame le succès de l’opération qui s’engage mais pourrait s’écouler pendant trois mois pour pouvoir toucher les territoires en insécurité. Elle y voit la confiance du peuple en la politique des dirigeants et une preuve de l’avancée de la démocratie dirigée. Dans cette perspective, elle met en scène des enregistrements opérés aux quatre coins du pays, comme si la nation n’était pas confrontée sur une bonne partie de son sol à des luttes armées. Images à l’appui et valorisation des généraux oblige, il est fait état des visites aux domiciles des pontes de l’armée. Au côté de leurs conjoints, on les voit se prêter de bonne grâce à l’exercice, tout sourire et en tenues décontractées. Signe que tout se déroule de manière optimale, dès le premier jour de collectes des données, des informations sur 400 000 habitants auraient été rassemblées. Bien évidemment, il n’est fait mention d’aucune répartition géographique de cet assemblement et de morts parmi les collecteurs de données.

 

Aux vues de la situation sécuritaire de la Birmanie, il est vrai que dans de nombreux États et régions, aucune opération n’a été conduite et n’y sera menée. Le Conseil de l’administration de l’État (SAC) s’est d’ailleurs bien gardé de dire combien d’enquêteurs ont été déployés dans les États Chin, Kayah, Kayin ainsi que dans les régions de Magway et Mandalay alors que dans d’autres provinces des données parcellaires ont été rendues publiques.

 

Le recensement s’opère le plus fréquemment sous haute surveillance

 

Dans leur tournée des maisonnées, les agents publics, féminins pour la plupart, sont accompagnés par les responsables des villages et des quartiers. Ces derniers sont tous inféodés au SAC. Ils ne sont toutefois pas les seuls à se rendre aux domiciles des personnes décomptées. L’opération mobilise souvent des hommes en armes. Ceux-ci sont issus des rangs de la police, des forces armées, des unités de sécurité publique (PST) récemment établies ou encore des milices pro-régimes (ex. Armée nationale karen, Forces des gardes-frontières (BGF), KNU/KNLA-Conseil pour la paix, Pyusawhti…). Des déploiements de forces intimidants ! Le SAC les explique par son souci de la sécurité des agents envoyés sur le terrain, le ciblage des fonctionnaires par les « terroristes » et les adversaires de la démocratie.

 

Une chose est sûre, cette démonstration de force ne dénote pas un climat politique apaisé, ni une grande confiance des citoyens. Les questionnaires sont remplis dans les habitations ou dans des espaces collectifs (ex. hôpitaux, hôtels,…), non pas devant une ou deux personnes agréées mais plutôt devant tout un groupe d’ « observateurs ». Une promiscuité qui n’est pas faite pour s’exprimer en confiance, en toute transparence, d’autant que de nombreuses questions ne relèvent pas des objectifs affichés ostensiblement par le régime. De-ci,-delà, il semble que les questions posées peuvent varier, un manque de rigueur possible mais plus encore un signe que les enquêteurs sont parfois à la recherche d’informations n’ayant pas grand-chose à voir avec l’objet de l’enquête énoncé.

 

Le recensement engagé est à même de remplir plusieurs objectifs

 

Le conseil militaire en fait valoir facialement deux. Non seulement, il présente le questionnement comme indispensable à l’établissement des listes électorales d’ici la fin décembre 2024, et remédier ainsi aux 10 millions d’erreurs prêtées à la votation du 8 novembre 2020 invalidée par le coup d’État mais également comme le décompte décennal usuel des populations. Un dénombrement essentiel pour ajuster aux mieux les politiques publiques, à commencer par celles relevant de l’éducation et de la santé. Ce double dessein explique d’ailleurs officiellement le grand nombre des questions posées. Leur nombre a cru par rapport au dernier recensement de 2014 (+40%), leur degré de précision aussi. En conséquence, un temps prolongé pour y répondre, allant selon les témoignages de quinze à vingt minutes par lieu de vie.

 

Les questionnés ne sont pas dupes. Ils subodorent qu’aux delà des interrogations déjà posées lors du recensement soutenu il y a dix ans par la communauté internationale (ex. Fonds des Nations unies pour la population) se cachent des intentions moins louables, notamment en termes de recherches de renseignements à des fins de coercitions politiques et sociales. En tout état de cause, la junte s’embrouille dans ses réponses publiques. Elle se récrit, par exemple, de vouloir collecter des informations à visées économiques et fiscales. Ce n’est pourtant pas ce que lui reproche de premier abord les citoyens, même si ponctuellement il a été rapporté des dérives, des pratiques de racket de familles lors des visites des habitations. La pratique est loin d’être systématique mais elle reflète l’air du temps, à savoir la grande corruption du régime militaire installé depuis février 2021 par le général Min Aung Hlaing.

 

Ce recensement ne peut que susciter de la suspicion et de la peur

 

Il est vrai que pour établir un rôle électoral fiable, il n’est pas nécessaire d’interroger les citoyens sur 68 items. Une dizaine de questions aurait suffi. On est là dans la confusion des genres. S’il est parfaitement compréhensible que pour les listes électorales il est impératif de disposer d’informations nominatives sur les citoyens, ce degré de détail ne fait pas sens pour aider à la définition territoriale des politiques de l’État. En outre, pour définir le corps électoral, il n’y aucune raison de venir interroger les religieux de toute obédience puisqu’ils ne disposent pas par la loi de droits de vote. A contrario, il faut bien prendre en compte les étrangers résidents pour adapter au mieux les infrastructures à tous ceux qui habitent le pays. A n’en pas douter, une des raisons d’être du recensement est de continuer à enraciner la peur de l’État-militaire au plus profond de la société.

 

Le nombre important de question sur les parcours professionnels des habitants visent à identifier les fonctionnaires réfractaires et en désobéissance civile. Celles portant sur les migrations familiales ont pour objet de mieux connaître ceux qui cherchent à fuir la conscription instaurée en début d’année ou ont rejoint les combattants des mouvements de résistance depuis plus longtemps. Les précisions sollicitées sur les valeurs (im)mobilières pourront, elles, permettre de cibler ceux qui participent à des transferts « illégaux ». L’enquête se déroule donc dans un climat de peur. Les familles ont été enjointes de s’organiser pour être présentes lors de la venue des agents publics. Il leur a été rappelé qu’apporter des réponses erronées le jour venu est passible de peines en vertu de la loi de 2013 sur les recensements.

 

Les angoisses sont accentuées par les postures adoptées par les groupes d’opposition. La population est prise entre deux feux. Les ministres de l’Intérieur et de la Justice du gouvernement d’opposition ont appelé le 16 septembre au boycott pur et simple du recensement. L’Alliance des frères chins a mis en garde ceux qui s’y prêteraient en disant qu’ils contribueraient à proroger le régime militaire. L’Union nationale karen (KNU) a, elle, dénoncé une opération visant à légitimer un régime honni. Les Forces de défense du pays chin (CDF) sont allées plus loin encore. Elles n’ont pas caché qu’elles s’en prendraient aux collecteurs de données, ce qu’elles n’ont pas hésité à faire dès le premier jour du décompte. Elles ne sont pas les seules à avoir émis non seulement de tels avertissements mais aussi à être passées à l’action.

 

En pays bamar, plusieurs groupes des Forces de défense du peuple (PDF) ont agi ainsi. Dans la plupart des cas, des individus ont été visés (administrateurs encadrants, collecteurs de données), plus rarement les unités de sécurité déployées ou des bureaux de l’administration générale (GAD) et du ministère de l’Immigration et des populations. Des cas ont été toutefois rapportés ici ou là. Il est toutefois difficile d’établir un bilan précis notamment des victimes, assurément toutefois déjà plus d’une dizaine de personnes ont été tuées. Si le recensement 2024 risque d’être coûteux en vies, il le sera également financièrement. Son devancier s’est élevé à 74 millions de dollars. Le SAC sera cette année seul à porter cette charge à son budget. Qu’à cela ne tienne ! Le pseudo-recensement permet d’accroître la répression contre les opposants, de distiller la peur dans la société par les relais politico-administratifs de proximité de la junte et de donner un semblant de normalité démocratique à ceux qui veulent bien se montrer bienveillant vis-à-vis du régime putschiste de février 2021.

 

François Guilbert

 

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