La cuisine royale cambodgienne, un héritage à préserver, une chronique culinaire et sociétale de François Guilbert
Après avoir publiée avec Nataly Lee en 20019 un premier ouvrage de recettes cambodgiennes (Nhum : RotanakFoodMedia, Phnom Penh, 239 p), la cheffe Nak a décidé cette fois-ci de mettre à l’honneur le caractère extrêmement raffiné des repas servis autrefois au Palais et de saluer les efforts pionniers de la princesse Samdech Preah Reach Kanitha Norodom Rasmi Sobbhana (1898 – 1971) dans la préservation de l’héritage de la culture culinaire du Royaume.
Dès le milieu des années 1950, dans un souci de pédagogie et de transmission des savoirs, la. Grand-tante du roi Norodom Sihamoni, la sœur cadette du souverain Suramarit, le père du Roi-Père Norodom Sihanouk, s’est en effet employée à rassembler des matériaux qui ont donné naissance à un livre « mémoire » d’exception de 245 pages : « L’art culinaire du Cambodge ». Réédité dans un volume bilingue en anglais et en khmer six décennies plus tard (Culinary Art of Cambodia, A Templation Angkor Resort/MAADS/Angkor Database Publication, Siem Reap, 2021, 184 p), ce manuscrit est demeuré une référence pour tous les amateurs de cuisine khmère et ceux qui ont cru voir disparaître un héritage d’exception suite au régime génocidaire khmer rouge. Pour preuve, le travail d’assemblement de Samdech Kanitha est même devenu un élément mis en avant lors de la promotion d’Etat urbi et orbi de la cuisine cambodgienne intitulée « Food Diplomacy 2021–2023 ».
Lancée par le ministère des Affaires étrangères au travers d’un recueil de 38 recettes rassemblées sous le titre The Taste of Angkor et présentées par le chef Sopheak Sao, cette campagne diplomatique a servi de véritable célébration du bon goût cambodgien. Mais la contribution passée apportée par Samdech Kanitha témoigne, elle, de la cuisine d’un autre temps, celui des premières décennies de l’ère Sihanouk, sans toutefois se consacrer à sa seule table. C’est pourquoi, l’ouvrage de Rotanak Ross n’est pas une encyclopédie de la cuisine royale mais un pont érigé entre le passé et le présent, faisant valoir une cuisine fondée sur des produits frais et de qualité. Pari mémoriel et éditorial réussi puisque son récit a été primé le 28 novembre 2023 à Riyadh lors des 29ème Gourmand World Cookbook Awards. Un succès qui lui a valu au début de cette année d’être reçue en audience privée par la Reine-mère Norodom Monineath Sihanouk.
Contrairement à son prestigieux devancier, le livre des recettes proposées par la cheffe et consultante quasi-quadragénaire, restauratrice depuis 2017, l’est avec tous les éléments pesés des ingrédients. Magnifié dans un luxueux coffret ; par de magnifiques illustrations et des propos pédagogiques sur les protéines localement accessibles ; les fruits et les légumes ; les tiges, les feuilles et les fleurs comestibles ; les épices du pays ; les produits fermentés, ce guide est fait pour nous aider à découvrir les assiettes élaborées pour la famille Norodom, les en-cas (ex. crabe et viande de porc na taing), les nouilles de riz fraiches (Num Banh Chok) ; des salades diverses (ex. meang chrouk, au jeune jacquier crémeux, au crabe avec pomélo et crème de noix de coco), une quinzaine de soupes différentes et, pour finir, près d’une dizaine de desserts.
Au total, près de soixante-dix plats sont dépeints et photographiés ; de quoi plaire aux palais les plus affinés. Ce répertoire culinaire à vocation à être largement diffusé. C’est pourquoi, le volume existe en deux versions, l’une en anglais, l’autre en langue khmère.
Toutefois, il ne donne qu’une simple idée de la cuisine royale, de ses influences provinciales, communautaires et/ou étrangères (ex. Nam Ya Neur). Par certains aspects, il est encore marqué par l’empreinte du souverain disparu le 15 octobre 2012. Les plats détaillés sont, par exemples, très peu épicés et bien moins que communément. Le monarque Norordom Sihanouk, tout comme son fils Norodom Ranariddh (1944 – 2021) élevé par Samdech Kanitha, n’appréciait guère les plats relevés, le prahocou encore la pâte fermentée de crevettes (kapi). En conséquence, très peu de recettes retenues ici les intègrent mais ces composés ne sont pas pour autant totalement absents du volume (cf Kapi Phao). Voilà un écueil qui pourrait bien conduire un jour ou l’autre à l’édition d’un ouvrage encore plus exhaustif sur la cuisine cambodgienne et celle de son Palais Royal ; pour notre plus grand plaisir !
Rotanak Ros : Saoy, Royal Cambodian Home Cuisine, Chef Nak, Phnom Penh, 2022, 240 p, 59 €
François Guilbert
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