Notre ami Ioan Voicu, ancien Ambassadeur de Roumanie en Thaïlande, tente de répondre à cette question difficile : cela veut dire quoi, vieillir ?
« Plus je vieillis, plus je me rends compte que je suis le produit de mes expériences, de mon environnement et de mes choix. »
— Carl Gustav Jung (1875 – 1961 ; psychiatre, psychothérapeute et psychologue suisse).
Vieillir au 21e siècle
Observations préliminaires
Dans le cadre du suivi de la deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement (2002), un événement diplomatique important a eu lieu au sein de la Troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU). L’Autriche, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, le Canada, la Croatie, l’Allemagne, Malte, le Mexique, le Portugal, la Slovénie, la Turquie et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont soumis en novembre 2024 un projet de résolution intitulé Suivi de la deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement.
L’Ouganda, en sa qualité de président du G77 et la Chine ont également coparrainé cette résolution au nom des 134 États membres des Nations Unies qui sont membres de ce groupe et de la Chine, y compris les dix pays membres de l’ASEAN.
Il est utile de rappeler que la source principale de la résolution susmentionnée est la deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement qui s’est tenue à Madrid en 2002.
Avant d’aller plus loin, répondons à la question : comment interpréter l’expression « personnes âgées » ?
Selon les données de l’ONU, par « personnes âgées », il faut entendre la part mondiale des personnes âgées de 65 ans et plus, qui a presque doublé, passant de 5,5 % en 1974 à 10,3 % en 2024. Ce chiffre devrait atteindre 20,7 % d’ici 2074, le nombre de personnes âgées de 80 ans et plus ayant plus que triplé. Actuellement, les pays développés ont la plus forte proportion de personnes âgées, tandis que les pays en développement connaissent généralement un vieillissement rapide de leur population. Le vieillissement de la population mondiale est lié à l’amélioration de l’espérance de vie moyenne et à la baisse des taux de fécondité dans de nombreux pays. En Asie et dans le Pacifique, le nombre de personnes âgées devrait plus que doubler, passant de 630 millions en 2020 à environ 1,3 milliard en 2050.
Agir en solidarité
Par le texte de la résolution mentionnée ci-dessus et approuvée par consensus, l’Assemblée générale des Nations Unies reconnaît l’impact négatif de la pandémie [de coronavirus] sur la sécurité financière des personnes âgées, appelant les États à s’attaquer aux obstacles sur les marchés du travail et aux systèmes de protection sociale inadéquats, et à lutter contre la maltraitance des personnes âgées et toutes les formes de discrimination et d’inégalités dont elles sont victimes.
Ce document diplomatique encourage les États à adopter des politiques sociales qui favorisent le développement de services communautaires pour les personnes âgées, en tenant compte des aspects psychologiques et physiques du vieillissement et des besoins particuliers des femmes âgées et des personnes âgées handicapées.
Nous ne pouvons pas résumer ici un texte de 12 pages, comprenant un long préambule et 71 paragraphes opérationnels, mais, en raison de leur grande importance, nous ne ferons référence qu’aux paragraphes traitant de la solidarité du point de vue des personnes âgées.
Il convient de garder à l’esprit que la Déclaration de la deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement qui s’est tenue à Madrid en 2002 contient 9 références expresses à la solidarité. Nous reproduirons in toto la plus significative d’entre elles qui dit : « La solidarité entre les générations à tous les niveaux — dans les familles, les communautés et les nations — est fondamentale pour la réalisation d’une société pour tous les âges. La solidarité est également une condition préalable majeure à la cohésion sociale et un fondement des systèmes formels de protection sociale et de soins informels. L’évolution des circonstances démographiques, sociales et économiques nécessite l’ajustement des systèmes de retraite, de sécurité sociale, de santé et de soins de longue durée pour soutenir la croissance économique et le développement et pour assurer un maintien des revenus et une prestation de services adéquats et efficaces ».
Tout d’abord, dans la résolution de 2024, l’Assemblée générale des Nations Unies a reconnu les besoins et les contributions des personnes âgées pour relever les défis mondiaux, entre autres, dans l’action climatique, la réduction des risques de catastrophe, la technologie et l’innovation, et a reconnu en outre expressis verbis « l’importance de la solidarité intergénérationnelle dans les efforts de développement durable ».
Une autre reconnaissance concerne les défis liés à la jouissance de tous les droits de l’homme auxquels les personnes âgées sont confrontées dans différents domaines et ces défis nécessitent une analyse et une action approfondies pour combler les lacunes en matière de protection.
L’Assemblée générale des Nations Unies appelle tous les États à promouvoir et à assurer la pleine réalisation de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales des personnes âgées, notamment en prenant progressivement des mesures pour lutter contre la discrimination fondée sur l’âge, la négligence, les abus et la violence, ainsi que l’isolement social et la solitude, pour assurer une protection sociale, l’accès à la nourriture et au logement, aux services de santé, à l’emploi, aux technologies de l’information et de la communication, y compris les nouvelles technologies, les technologies d’assistance, la capacité juridique et l’accès à la justice, et pour traiter les questions liées à l’intégration sociale et à l’inégalité des sexes en intégrant les droits des personnes âgées dans les stratégies de développement durable, les politiques urbaines et les stratégies de réduction de la pauvreté, “en gardant à l’esprit l’importance cruciale de la solidarité intergénérationnelle pour le développement social.” (italiques ajoutées)
Dans le même contexte, l’Assemblée générale des Nations Unies encourage les États membres à renforcer leurs efforts pour développer les capacités nationales afin de répondre à leurs priorités nationales de mise en œuvre identifiées lors de l’examen et de l’évaluation du Plan d’action de Madrid en envisageant et en élaborant des stratégies qui prennent en compte l’ensemble du parcours de vie humain et favorisent la solidarité intergénérationnelle, le renforcement des mécanismes institutionnels, la recherche, la collecte et l’analyse de données et la formation du personnel nécessaire dans le domaine du vieillissement.
Une recommandation cardinale est adressée aux États membres pour qu’ils intensifient leurs efforts afin de faire connaître le Plan d’action de Madrid et d’identifier les domaines prioritaires clés pour sa mise en œuvre, notamment l’autonomisation des personnes âgées et la promotion de leurs droits, en gardant à l’esprit l’importance cruciale de l’interdépendance, de la solidarité et de la réciprocité familiales intergénérationnelles pour le développement social, en sensibilisant aux questions liées au vieillissement et en renforçant les capacités nationales, ainsi qu’en promouvant et en soutenant les initiatives visant à promouvoir une image publique positive des personnes âgées et de leurs multiples contributions à leurs familles, communautés et sociétés et en travaillant avec les commissions régionales, selon les besoins, et en sollicitant l’aide du Département de la communication globale du Secrétariat de l’ONU pour rechercher une attention accrue aux questions liées au vieillissement.
Enfin, l’Assemblée générale des Nations Unies reconnaît l’importance de renforcer les partenariats intergénérationnels et la solidarité et, à cet égard, appelle à nouveau les États membres à promouvoir les possibilités d’interaction volontaire, constructive et régulière entre les jeunes et les générations plus âgées au sein de la famille, du lieu de travail et de la société en général.
Conclusion
Tout en saluant l’adoption par consensus par 193 États membres de l’ONU de cette résolution programmatique, il convient de souligner que sa véritable mesure de triomphe sera déterminée par ce qui suivra.
La victoire dans la défense des droits des personnes âgées réside dans la mise en œuvre effective des recommandations spécifiques qui leur sont dédiées au niveau national après qu’un instrument cardinal de diplomatie multilatérale, impliquant 193 acteurs participants, ait clairement exprimé leur position sur la question.
Le véritable succès de la résolution dépendra de la capacité de la communauté internationale des nations à transformer les paroles en actes persuasifs. Nous sommes en présence d’un défi de taille et d’une épreuve sans précédent pour la résilience et l’efficacité du multilatéralisme dans les domaines économique, social et culturel.
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Il en va des institutions comme des hommes…et des femmes comme l’image qu’illustre cette chronique. Notre “vénérable” ambassadeur nous relate depuis longtemps l’agonie d’un système institutionnel qui s’épuise en “constats” et “résolutions” d’autant plus tonitruants qu’ils manifestent l’impuissance. Un long cantique de l’impuissance psalmodié par ses prêtres bêlants : litanies, liturgies, léthargie. Et comme lorsque la caravane des déclamations ressassées passe les chiens ne font qu’aboyer leur désespérance. L’impuissance d’un “être en fin de vie”, au seuil d’un coma qu’exhalent leurs propos vides et vains. Notre ambassadeur semble, lui aussi, s’épuiser dans une course poursuite au commentaire haletant et halluciné.
Pendant qu’ici on s’évertue à encenser la vieillesse, on s’ingénie ici à la supprimer ; la dissimuler ne suffit pas. Relire P. Aries et ses “Essais sur l’histoire de la mort en Occident : du moyen-âge à nos jours”, éd du seuil, 1975 et “L’homme devant la mort”, éd du seuil 1977″; “cachez ce sein que je ne saurais voir”. Il faut l’évacuer. Deux pistes : l’une consiste à organiser le suicide “assisté “, l’autre,” muskien” à prolonger la vie au delà de l’humain, deux modalités du trans-humanisme.
la mort d’Emma, dont la description fût, entre autre reprochée à Flaubert par le juge Pinard, se rappelle à ma mémoire. Un paradigme de la fin des institutions dont le coma semble imminent ? Des institutions atteignant dans un état presque moribond leur 80ième année.
” Cependant elle n’était plus aussi pâle, et son visage avait une expression de sérénité, comme si le sacrement l’eût guérie.
Le prêtre ne manqua point d’en faire l’observation ; il expliqua , même à Bovary que le Seigneur, quelquefois, prolongeait l’existence des personnes lorsqu’il le jugeait convenable pour leur salut ; et Charles se rappela un jour o’u, ainsi près de mourrier, elle avait reçu la communion.
– Il ne fallait pas se désespérer , pensa-t-il
En effet, elle regarda tout autour d’elle , lentement, comme quelqu’un qui se réveille d’un songe ; puis, d’une voix distincte, elle demanda son miroir, et elle resta penchée dessus quelque temps, jusqu’au moment o’u de grosses larmes lui découlèrent des yeux. Alors elle se renversa la ta tête en poussant un soupir et retomba sur l’oreiller. Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. La langue toute entière lui sortit de la bouche ; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampes qui s’éteignent, à la croire déjà morte, sans l’effrayante accélération de ses côtes, sécouées par un soufle furieux, comme si l’âme yeût fait des bonds pour se détacher. Félicité s’agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets, tandis que M.Canivet regardait vaguement sur la place. Bournisien s’était remis en prière, la figure inclinée contre le bord de la couche, avec sa longue soutane noie qui trainait derrière lui dans l’appartement. Charles était de l’autre côté, à genoux, les bras étendus vers Emma. Il avait pris ses mains et il les serrait, treassillant à chaque battement de son coeur, comme au contrecoup d’une ruine qui tombe. A mesue que le râle devenait plus fort, l’écclésiastique préciptait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmures des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche.
Tout à coup, on entendit sur le trottoir, un bruit de gros sabots, avec la frôlement d’un bâton ; et une voix s’éleva, une voix rauque qui chantait :
Souvent la chaleur d’un beau jour
Fait rêver la fillette à l’amour.
Emma se releva comme un cadavre que l’on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.
Pour amasser diligemment
Les épis que la faux moisonne.
Ma Nanette va s’inclinant
Vers le sillon qui nous les donne.
– L’Aveugle, s’écria t-elle.
Et Emma se mit à rire, d’un rire atroce, fénétique, désepéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.
Il souffla bien fort ce jour là,
Et le jupon court s’envola !
Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus.
Gustave Flaubert , Madame Bovary , 1857, texte integral sur le site de la bibliothèque nationale “Gallica’ ; Paris, Charpentier, 1881. aux éd Gallimard, coll folio classique , 2001, troisième partie, chapitre VIII, pages 419 et 420.