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Pyongyang Parano

Date de publication : 30/11/2024
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Un voyage chocolaté en Corée du Nord, une chronique de François Guilbert

 

Pour « aller où personne ne va », rares sont les journalistes occidentaux qui n’ont pas eu recours à un subterfuge pour pouvoir un jour conter la Corée du nord. Certes, il y a les correspondants de presse enracinés dans la région, dont le sérieux et la rigueur ne sont plus à démontrer (cf. Philippe Pons : Corée du Nord, un État-guérilla en mutation, Gallimard, 2016, 720 p), les compagnons de route du régime (ex. Pierre Boudot : Diamants noirs au pays du matin clair, Berger-Levrault, 1987, 206 p) mais tous les autres ont dû le faire incognito (ex. Philippe Grangereau : Au pays du grand mensonge, Sdemer Capharnaum Editions, 2001, 161 p), en s’inventant une vie parfois avec la bienveillance d’un voyagiste (cf. Jean-Luc Coatalem : Nouilles froides à Pyongyang, Grasset, 2013, 237 p) ou encore en bénéficiant d’une opportunité telle celle de participer au marathon de Pyongyang (cf. Jacky Schwartzmann : Pyongyang 1071, Paulsen, 2019, 163 p).

 

Pour se rendre dans la République populaire démocratique de Kim Jong-un, Antoine Dreyfus, ancien grand reporter à VSD, a fait preuve d’imagination. Il s’est fait passer en négociant en chocolat. Certes, c’est ne pas la première fois qu’un homme d’affaires rend compte de ses pérégrinations au pays de la dynastie instaurée par Kim Il-sung (cf. Arnaud Duval : Le dernier testament de Kim Jong-il, Michalon, 2012, 276 p) mais dans le cas d’espèce A. Dreyfus et une consœur ne connaissent rien à la filière.

 

Avant de s’envoler pour leur destination, les deux compères ont pris quelques renseignements mais delà à être des consultants crédibles il y a de la marge, au moins auront-ils appris quelques termes (conchage, lécithine, mucilage) leur permettant de faire illusion le temps d’un court séjour. Qu’à cela ne tienne, ils misent sur l’appétit de dollars de leurs interlocuteurs nord-coréens et proverbiales gourmandises de Kim Jong-il puis Kim Jong-un.

 

Pour donner du crédit à leur couverture, les deux insensés ont glissé des échantillons de chocolat dans leurs bagages, fouillés dès leur arrivée à l’hôtel, offerts leurs ballotins aux responsables économiques rencontrés et n’ont pas hésité à s’intéresser à l’alimentation dans les magasins d’État où d’ailleurs figuraient de nombreux produits périmés que l’on pouvait acquérir contre des monnaies étrangères (dollar, euro, won.

 

Ils se sont sustentés de kimchi tout en s’impatientant de ne pas rencontrer des interlocuteurs liés à leurs projets, le comité d’accueil les baladant de sites historiques en bâtiments idéologiques (salutations aux statues du Grand Leader et Cher Dirigeant, la place Kim Il-sung, la Maison Mangyongdae, la tour du Juché, le palais des expositions des Trois Révolutions, la zone démilitarisée (DMZ)…). Quand vient enfin le moment de l’entrevue avec les partenaires économiques désignés, c’est la douche froide.

 

Les interlocuteurs sont « disposés » à vendre quelques boîtes dans deux échoppes d’État. Leurs locaux industriels sont inappropriés. Une partie des matières premières sont des produits prélevés sur les livraisons humanitaires onusiennes. Tout contact avec les employés sont explicitement prohibés. Quant aux mouvements financiers internationaux, ils doivent se faire en liquide à l’entrée et à la sortie du territoire nord-coréen. Bref, en un mot les pseudo-investisseurs se sont fait balader dans tous les sens du terme. Une expérience qui ne leur est pas propre, tous ceux qui les accompagnent ne sont pas plus satisfait.

 

Ce reportage graphique est une excellente illustration des absurdités des pratiques des affaires avec Pyongyang. Plus encore, il fait ressentir aux lecteurs toutes les émotions qui étreignent ceux qui se trouvés au moins une fois dans leur vie en Corée du nord : que suis-je in fine venu faire ici ? La peur de faire un impair protocolaire, de se voir démasquer, mise en cause pour ses mensonges et retenu dans le pays contre son gré. L’overdose de propagande se fait ressentir rapidement. La peur de parler aussi. Enfin, même si le pays a dépassé les affres des années 90, la malnutrition et la sous-alimentation de nombreux nord-coréens sont encore là. Elles contrastent avec la profusion des tables de banquet qui s’enchainent en l’honneur des honorables étrangers. L’exotisme nord-coréen atteint rapidement ses limites.

 

Bravo à E. Delacomptée, A. Dreyfus et F. Briant pour avoir su dépeindre la chape de plomb qui pèse quotidiennement sur les Nord-Coréens ; tout cela grâce à la magie du chocolat et reportage bien rythmé.

 

Emmanuelle Delacomptée – Antoine Dreyfus – Franny Briant : Pyongyang Parano, Marabulles, 2024, 126 p, 23,95 €

 

François Guilbert

 

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