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Michel Barnier se targue toujours d’être un « montagnard ». Mais il ne suffit pas de bons appuis pour gravir des pentes devenues trop glissantes. Il faut aussi pouvoir se fier à sa cordée, et être sûr qu’elle ne va pas céder au premier vent contraire. Or cette fois, le bon skieur et alpiniste qu’est Barnier, chef du gouvernement français depuis le 5 septembre 2024, aurait mieux fait de vérifier son matériel avant d’escalader Matignon par la face Macron. Sauf énorme surprise, les 48 heures prochaines devraient en effet être celles d’une avalanche en forme de motion de censure qui emportera tout sur son passage. Lui comme premier ministre. L’ensemble de son gouvernement. Et les dernières illusions sur la possibilité de gouverner la France au centre. Avec comme cordes de rappel, le pragmatisme, l’arrimage européen et le sens de l’État face aux périls extérieurs ou financiers.
Marine Le Pen était, depuis l’automne, la passagère clandestine de la cordée Barnier. C’est vers elle que s’était discrètement tourné ce premier ministre de droite, depuis trop longtemps éloigné de la politique domestique. Mauvais casting alpin. La candidate déjà déclarée à la prochaine présidentielle (après celles de 2012, 2017 et 2022) n’a pas supporté d’être la dernière de cordée. Pas question pour elle, menacée d’inéligibilité par les juges qui statueront le 31 mars, d’éviter à ses adversaires de tomber dans les crevasses qu’ils ont eux-mêmes creusées.
Le savoyard Michel Barnier aurait dû se méfier. Chez les Le Pen, famille bretonne de la Trinité sur Mer, les bourrasques ont la fâcheuse habitude de finir en tempêtes. Surtout quand le ciel politique français est uniformément gris.
Bonne lecture, d’autant que la montagne est belle !
(Pour débattre: richard.werly@ringier.ch)
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Depuis le début Barnier était sur un siège éjectable, c’est Marine qui a appuyé sur le bouton.
Au cas ou Madame Genetet risque de ne pas être reconduite à son poste ou nommée à un autre poste gouvernemental, les choses sont “bien faites”… Elles évitent une élection partielle. Elle pourra de nouveau sillonner les vastes espaces de son ex-circonscription électorale avec, si bon lui semble, son ex suppléant ayant dû quitté son habit de député à part entière. Madame Genetet pourra alors connaitre une “seconde vie” de parlemetaire. Monsieur Pajot devra s’armer de patience : attendre 5 ans ou une dissolution de l’Assemblée nationale.
Une bonne nouvelle ? A quand son retour, ses messages de revoyure et ses visites bangkokiennes ?
L’article 23 de la Constitution prévoit que” les fonctions du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire”. Cela signifie que si un député est nommé au gouvernement, il ne pourra plus exercer sa fonction parlementaire. Il est, ipso facto, remplacé par son suppléant élu en même temps que lui (article LO 176 du code électoral). Lorsque sa mission prend fin avant les élections législatives suivantes, l’ex-ministre récupère sa fonction de député. Le schéma vaut pour un sénateur. Il n’ y donc pas d’élection partielle.
Prenons l’exemple d’E. Borne. Elle est nommée Première ministre en mai 2022 tout en étant candidate à la députation en juin 2022. Lorsqu’elle a été élue députée de la 6ème circonscription du Calvados, elle a dû laisser, au terme d’un délai de choix très court et imposé, son siège de député à son suppléant pour conserver son poste à Matignon. La règle vaut pour tout membre d’une équipe gouvernementale. C’est donc son suppléant qui a officié en tant que député du Calvados jusqu’à la fin de la mission gouvernementale d’E. Borne qui, ipso facto, a retrouvé les bancs de l’Assemblée nationale.
Il en serait autrement si, hypothèse impossible constitutionnellement dans les circonstances actuelles et selon les interprétations générales (1), une nouvelle Assemblée était élue alors qu’un député était devenu ministre avant la nouvelle élection. Une fois remercié, et écarté de la nouvelle équipe gouvernementale, il perdrait alors son poste de parlementaire ; il lui faudrait alors se présenter à une élection partielle dans son ex-circonscription (ou une autre). Il serait alors mis fin au mandat du député suppléant devenu pleinement député et une élection législative (ou sénatoriale) dite partielle serait organisée pour remplacer le démissionnaire qui emporterait son suppléant avec lui… Ce scénario envisagé n’est, évidement, à ce jour, qu’une pure éventualité…
(1) Dans l’hypothèse d’un dissolution avant le délai d’un an, le décret de dissolution pris par le Président de la République serait manifestement contraire à l’article 12, al 3 de la Constitution. Juridiquement il semble que, si d’aventure il était pris, il ne pourrait être contrôlé ni par le Conseil d’État sur la base de la théorie (et de la jurisprudence constante) des “Actes de Gouvernement inssuceptibles de recours contentieux ni par le Conseil constitutionnel seulement habilité à ne contrôler que la constitutionnalité des lois mais pas des décrets. Un précédent a eu lieu en 1962 lorsque le Président de la République décide de recourir à l’article 11 et non 89, expressément réservé à la procédure de révision, par raisonnement a-contrario, excluant toute autre procédure pour réviser la Constitution. Les contrôles pourtant intentés furent rejetés.
La motion de censure a été votée avec 331 voix favorables. Le gouvernement Barnier est donc tombé. Le Président de la République doit prendre la parole aujourd’hui à 20 heures, peut-être pour annoncer un nouveau premier ministre qu’il pourrait exhiber lors des cérémonies de l’inauguration de Notre Dame restaurée. Afficher une “reprise en main” et une “situation sous contrôle” afin de couper sous le pied la progression de la rumeur rampante et de plus en plus insistante concernant l’urgence de son départ.
Quelle que soit la personne nommée, son espérance de vie politique sera faible et dépassera difficilement le mois de janvier 2025 vu la diminution de la durée de vie des gouvernements qui se succèdent depuis 2022 et qui suit l’allure d’une courbe logarithmique négative.
Le Président de la République affirme qu’il ne démissionnera pas mais les 2/3 des Français interrogés le souhaitent et les médias, toujours plus nombreux, brisant le tabou, entonnent l’hymne du départ. Une dissonance qui pourrait bien hâter un départ anticipé. La forme importe peu : la démission dans un cadre insurrectionnel activé par une crise économique et sociale ou la destitution. Ce dernier scénario jugé jusqu’alors fantaisiste ne l’est plus tant. En effet, à la conjonction des voix “extrêmes” lors de la motion de censure à laquelle pourrait se rallier d’autres forces aussi bien issues de la droite classique ( JF. Copé) que de franges centriste (De Courson) et conduire à la réunion d’un congrès et l’obtention de la majorité requise. Une version Ben-Ali (dont la destitution fût votée après son départ en Arabie Saoudite) ou Hosni Moubarrak.
Dans ces derniers évènements, le plus essentiel est de noter que pour la deuxième fois, une motion de censure à été votée sous la Vème République. La première en 1962, visait, en s’opposant à une présidentialisation du régime, à s’opposer à l’élection du Président de la République au Suffrage universel. Elle échoua. Le régime politique Français accentua son orientation césariste- monarchite- autoritaire en décalage avec le modèle en vigueur en Europe, un modèle de type parlementaire dont les institutions originelles de 1958 portaient encore la marque selon la volonté de Michel Debré et les caciques de la IV ème République.
Depuis hier, le gouvernement a cessé d’être responsable devant le chef de l’État et le parlement à reconquis son pouvoir. Le régime de la Vème, République, une anomalie constitutionnelle depuis 1962 semble progresser dans l’accouchement d’un régime plus conforme aux standards des régimes politiques européens, comme au Portugal et en Pologne.
L’absence de majorité gouvernementale bien qu’issue d’un scrutin majoritaire qui aurait, normalement dû en accoucher, a produit les effets d’un scrutin proportionnel qui acte la relative suprématie de l’Assemblée et la responsabilité du Premier Ministre devant celle-ci et l’effacement du Président de la République. Comme pour le chrysalide la mutation est en marche quelles que soient les institutions qui perdent leurs substances et deviennent des squelettes vermoulus. L’alignement des institutions Française sur ses voisines en Europe semble bien en marche ; Nous semblons être à l’orée d’un “processus révolutionnaire” dont les modalités, encore inconnues, peuvent osciller entre des épisodes de dérapages façon 1793 ou de mutation plus ou moins contenus et plus paisibles. Le départ de Président de la République semble représenter l’étape nécessaire du dépassement d’un verrou majeur. Les circonstances particulières dans lesquelles la France se trouve, crise budgétaire, crise financière et crise sociale, une “gilet-jainisation” généralisée risquent d’être le ingrédients réunis pour hâter la décomposition d’une exception politique française qui aura duré un peu plus de 70 ans.
Dans quelques jours, L’Allemagne va connaitre un épisode semblable avec le renversement du Chancelier et une élection législative en début d’année avec l’éviction probable du SPD du gouvernement de coalition et l’ascension de l’AFD. Ce parti n’est pas actuellement crédité d’une majorité même relative. Elle risque d’être en progression si ce n’est forte. Deux poids lourds dans les institutions européennes qui ne manqueront pas, en cas d’infléchissements politiques majeurs et qui plus est, dans un contexte international très tendu, notamment face à la Russie, actant ainsi les divisions au sein de l’ensemble déjà instable, d’avoir des répercussions sur l’Union et son avenir.
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L’opinion publique crédite M. Barnier d’immenses talents de “négociateur”. Son expérience gouvernementale n’a pas contribué à accréditer ce qui apparait désormais comme une légende. Fort de sa superbe et de sa morgue il a su s’attirer les hostilités et les haines recuites et congelées. D’abord celles de son prédécesseur qui n’a pas apprécié d’être morigéné et publiquement et qui s’est ingénié à lui savonner les planches de son cercueil. Mais aussi de M. Le Pen qu’il a tenu à distance par ses postures dédaigneuses si policées alors qu’elle tenait la corde d’un pendu en sursis. Une dernière de cordée à moins que ce ne fût la première… Une reconnaissance minimum mais trop tardivement concédée et exprimée et contrariée par un réquisitoire potentiellement mortel pour sa candidature future ont fait le reste. Quitte à signer une motion de censure dont le texte élucubré par le chef du parti antisémite la couvre, paradoxalement, d’opprobre.
Il reste au Président, faute d’obtenir un asile à Djeddah, comme ce fût naguère le cas pour Ben Ali, de s’empresser de nommer un successeur à Matignon faute de hâter un enterrement de première classe dont l’imminence ne cesse d’enfler. Doué d’un sens insurpassable de l’humour et bien conseillé par une épouse aux petits soins, deux suggestions possibles : soit nommer M. Barnier et redécouvrir une variante du mouvement perpétuel ; Soit nommer, en cette période Noël, M. Sapin. Dans les deux cas les obsèques ne manqueraient pas de suivre et dans le deuxième cas, le choix aurait été particulièrement judicieux. Il importerait, pour cette option, de prévoir un caveau à deux places, le titulaire de l’Élysée pourrait suivre. Ce sont, semble t-il les vœux mortifères de ceux qui, au delà des anathèmes, vont joindre leur sang au bas de la motion de censure, ce pacte faustien…